— Un crocodile de quatre mètres somnole à trente pas de
l'eau. Un somono s'en approche en rampant ; son corps est enduit d'une
pâte de poissons broyés à laquelle il a mêlé une dose d'un mucus odorant que
sécrètent les glandes anales des crocodiles. Il est armé d'une solide perche à
un bout de laquelle est fixée une boucle coulissante en câble d'acier ; à
l'autre bout se trouve un manchon qui fixe un épieu perpendiculaire ...
L'homme est près de la bête. Dans le temps d'un éclair. Il introduit la boucle
derrière la protubérance du museau, ferre et s'écrase de tout son poids sur
l'épieu qu'il maintient cloué en restant à plat ventre ... Le crocodile,
saisi, fait un bond qui soulève l'homme, puis ne cesse de tirer en arrière ...
Pour rompre son entrave, il fouette son encolure rigide avec une violence
inouïe ; sous les coups qu'il assène, le filin métallique vibre comme un
violon ... Bondissant, se vrillant dans le sol, il gravite autour de son
pivot et projette au ciel des nuages de sable ... Sous la couche de poussière
qui s'est agglutinée à son enduit, l'homme a l'air d'un démon. Il est entraîné
dans un mouvement giratoire qui lui fait creuser dans le sol des sillons
concentriques et le fait douloureusement tressauter. Il a un rictus atroce et
semble fasciner son adversaire. La bête ne faiblit, de temps à autre, que pour
réagir avec plus de violence ... Ce n'est que lorsqu'elle aura épuisé le
dernier filament de son corps fibreux que l'homme finira par l'assommer.
J. GRAND.
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