Quels sont les pouvoirs des maires en matière de chasse ?
C'est cette délicate question que nous nous proposons d'aborder à l'occasion d'interdictions
émanant de magistrats municipaux et qui nous ont été soumises récemment.
Il convient de préciser d'abord que la législation
proprement dite de la chasse semble ignorer complètement le maire ; et, si
des pouvoirs réglementaires sont bien reconnus à l'Administration, ils
appartiennent (depuis 1941) en totalité au ministre de l'Agriculture. Mais le
maire, dans sa commune, que ce soit par la loi du 5 avril 1884 (art. 97),
la loi des 18 septembre-6 octobre 1791 (art. 9 du titre II)
ou la loi du 21 juin 1898 (art. 1er), détient des pouvoirs
de police, et c'est à ce titre qu'il peut être amené (souvent obéissant
d'ailleurs aux injonctions d'autorités supérieures) à prendre des règlements
intéressant la chasse et les chasseurs.
Tentons une incursion dans le difficile domaine du Droit
administratif. On peut définir opération de police l'opération qui consiste
à apporter des restrictions aux droits et libertés des individus, par voie
générale ou individuelle, dans le but d'assurer la tranquillité, la sécurité et
la salubrité publiques, parce qu'il y a trouble ou menace de trouble à cette
tranquillité, cette sécurité ou cette salubrité. De cette définition se
dégage naturellement les limites mêmes du pouvoir de police :
1° Le pouvoir de police se trouve limité à son but :
la sauvegarde de la tranquillité (la tranquillité signifiant l'ordre
public matériel, c'est-à-dire l'absence de désordre ou de trouble), de la sécurité
(la sécurité signifiant l'absence des accidents ou risques d'accidents qui
causent des dommages aux personnes et aux choses), ou de la salubrité
(la salubrité signifiant l'absence de maladies ou risques de maladies).
2° Le pouvoir de police se trouve limité à son motif :
l'existence évidente d'un trouble ou d'une menace de trouble à cette
tranquillité, cette sécurité ou cette salubrité publiques.
3° Le pouvoir de police est limité à son objet :
des mesures appropriées, autorisées par la loi, et qui doivent être adéquates
au but à atteindre, qui ne doivent pas être trop rigoureuses, qui ne doivent
pas apporter des restrictions trop grandes aux droits et libertés des
individus.
Dans tous les cas où les limites ainsi fixées sont
dépassées, l'acte de police est illégal ; cette illégalité, pour détournement
de pouvoir ou pour excès de pouvoir, peut être constatée par la juridiction
administrative (Conseil d'État), qui, si elle est saisie d'un recours,
annule l'acte, ou par la juridiction pénale (tribunal de simple police),
qui, à l'occasion de poursuites, refuse de condamner les contrevenants.
Ceci dit, il nous est demandé ce que nous pensons des
arrêtés pris par des maires concernant dans certaines communes la chasse
dans les vignes. De telles interdictions provoquent toujours beaucoup
d'émotion parmi de nombreux chasseurs ... Illégalité ... Illégalité ...
disent-ils. Peut-être, mais ce n'est pas toujours certain : tel arrêté
peut être légal, tel autre peut être illégal parce que les limites imposées au
pouvoir de police sont dépassée.
On ne peut généralement pas contester que de tels arrêtés
interviennent bien dans un but de police (assurer la sécurité publique)
et pour un motif de police (il y a trouble ou menace de trouble à la
sécurité publique), car on doit convenir que, dans les régions de vignobles, le
tir de coups de fusil par des chasseurs dans des vignes où peuvent se trouver
des vendangeurs au travail est susceptible de provoquer fréquemment des
accidents. Mais quelles mesures sont exactement prises, quels moyens
sont employés, quelles restrictions aux droits et libertés des
particuliers sont imposées ? Tout le problème de la légalité et de
l'illégalité de l'arrêté est généralement là.
Lorsque nous lisons dans un arrêté : « La chasse
est interdite dans les vignes avant le 15 octobre ... (ou telle autre date
déterminée) », nous disons que la mesure prise n'est pas adéquate au but à
atteindre ; elle est trop rigoureuse, parce qu'aucune distinction
n'est faite entre les vignes non dépouillées de leur récolte et celles dont
la vendange est faite ; il y a là restriction inadmissible des droits
et libertés des particuliers, en l'espèce des chasseurs ; il y a excès
de pouvoir ; il y a illégalité.
Lorsque nous lisons dans un arrêté plus précis : « Il
est interdit de pénétrer dans les vignes non dépouillées de leurs récoltes
porteur d'une arme de chasse ... » nous disons encore que la
mesure est trop rigoureuse, parce que ce n'est pas le port d'une arme de
chasse dans une vigne vendangée ou non qu'il est nécessaire de prohiber, mais
bien seulement le tir avec une arme de chasse dans une vigne non vendangée ;
il y a là encore restriction inadmissible des droits et libertés des
particuliers ; il y a excès de pouvoir ; il y a illégalité.
Il nous est, d'autre part, signalé par des correspondants
que, dans certaines communes, sont intervenus de la part de maires des arrêtés
d'un autre genre : des arrêtés retardant purement et simplement
l'ouverture de la chasse, sous prétexte d'épidémies de fièvre aphteuse.
Là, le but recherché serait évidemment un but de salubrité publique ;
soit, et nous voulons également croire que le motif existe bien :
existence dans chaque commune intéressée d'un trouble ou menace de trouble à la
salubrité publique. Mais alors nous ne pouvons être d'accord avec l’objet
de la réglementation, avec la mesure prise : trop de rigueur, trop
grande restriction aux droits et libertés des particuliers. Que l'on s'en
tienne à prohiber, si cela est nécessaire, la circulation des chiens de chasse
considérés comme agents de propagation de la maladie ... nous voulons bien
y souscrire ; mais prohiber absolument l'exercice de la chasse, interdire
à un chasseur de circuler sous prétexte d'une épidémie de fièvre aphteuse (pourquoi
pas à un pêcheur ou à un chercheur de champignons ?), voilà qui paraît à
l'évidence pour le moins exagéré ; il y a, sans aucun doute, excès de
pouvoir ; il y a illégalité.
Qu'il y ait à regretter ce fatras de textes compliqués, dont
la légalité pour les uns est discutable, dont l'illégalité pour les autres est
flagrante, et où les juristes ont grand’peine à se reconnaître, les chasseurs
qui sont de braves gens généralement respectueux de la loi et des autorités
établies, mais qui sont en définitive les victimes de cette incohérence, ne
nous diront sans doute pas le contraire ...
JACQUES GUILBAUD,
Docteur en droit.
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