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Chasse, chiens et fièvre aphteuse

Cette année, dans un certain nombre de départements français, l'ouverture de la chasse a été d'abord retardée, puis autorisée, mais « sans chiens ». Motif ? ... Mesure prophylactique contre l'épizootie de fièvre aphteuse qui, en 1952, sévit dans le pays avec une virulence rare.

Sans chien ! ... Sentez-vous bien ce que cela veut dire ? Sans chien ! ... C'est le départ silencieux dans la traversée du village endormi ... Adieu, les quêtes angulaires et les arrêts cataleptiques ! Silence aux fanfares des courants égrenant dans les halliers les éclats nuancés de leur gorge. L'absence de notre ami à poil long ou à poil ras aura changé en un jour gris un jour qui devait être rose ...

Au moins ce sacrifice est-il utile à la collectivité ? L'intérêt général aura-t-il bénéficié de ce refoulement de l'intérêt particulier ? La chose vaut d'être examinée.

Le chien est-il vraiment un élément de transmission de la fièvre aphteuse ? Sans contredit, oui. Le chien est un des vecteurs animés, parmi les plus importants, du virus aphteux. Entendons-nous sur le sens qu'il y a lieu d'accorder au terme vecteur. Chacun sait que les principales espèces affectées par la maladie sont les bovins et les porcins. Le chien ne contracte pas la fièvre aphteuse, si ce n'est d'une manière expérimentale et dans son tout jeune âge. Il transporte simplement le contage comme on transporte la boue à la semelle de ses souliers. Dans ces conditions, on comprendra que le chien n'est pas le seul vecteur. Il y en a beaucoup d'autres. L'homo sapiens, l'homme d'abord, avec son indiscipline et sous toutes ses variétés : chasseur, pêcheur, fermier, facteur, boucher ; les oiseaux sauvages et domestiques ; les insectes, depuis l'élégant papillon jusqu'au noir bousier, en passant par la mouche importune. Le vent lui-même, prétendent certains, serait capable, sur ses ailes, de véhiculer les particules infectantes. Alors ? ... Pourquoi jeter l'exclusive sur le chien, quand, parmi tant d'autres, le chasseur aussi est un vecteur animé (oh combien !), qui, plus que tout autre peut-être, propage la fièvre aphteuse. Pourquoi ressusciter le bouc émissaire ?

La logique eût voulu que ni chasseurs ni chiens n'entrassent en campagne, ce qui aurait eu pour résultat d'interdire la chasse en France en 1952. Vous entendez d'ici le concert des chasseurs « pour » et des chasseurs « contre », des chasseurs « tant pis » et des chasseurs « tant mieux ». Et puis songez à l'incidence d'une pareille éventualité sur le budget de l'État ! ... Pour ces raisons, psychologiques et pécuniaires, la continence totale était impossible. La solution « sans chiens » ne correspond à aucune indication sérieuse de prophylaxie. Elle a visiblement été prise dans le but de ménager des susceptibilités. Elle apparaît à la majorité comme une brimade.

Mais il n'y a pas que les chiens de chasse qui ont été visés : les chiens dits « de berger » ont dû être gardés à l'attache. Ici le problème « chasse-chien-fièvre aphteuse » prend un autre aspect. Il n'y a pas, dit-on, de mal qui ne serve à bien. Dans la mesure où les prescriptions réglementaires ont été observées, la reproduction du gibier a été favorisée par une plus grande tranquillité des couveuses et des hases. Il nous vient de toutes parts que les compagnies de perdreaux sont plus nombreuses et que le lièvre est moins rare. Le repos cynégétique imposé aux chiens de ferme de tous poils y est sûrement pour quelque chose.

Quoi qu'il en soit, à l'heure actuelle, la fièvre aphteuse est partout en régression grâce aux interventions médicales des services vétérinaires et aussi, il faut bien le dire, grâce à la complaisance du « génie épidémique ». Sous cette désignation, les anciens avaient déifié un ensemble de facteurs, dont quelques-uns sont encore mystérieux et qui président à l'évolution des épidémies. Cette évolution se déroule, en général, suivant une courbe qui comprend trois périodes : une période ascendante, un plateau plus ou moins onduleux, enfin une période de décroissance. L'épizootie qui nous occupe amorce (mi-septembre) le troisième temps de la courbe. Les éléments climatiques de la saison d'automne semblent influencer favorablement cette décroissance, sans qu'il soit possible pour le moment de faire la part d'activité qui revient à chacun de ces éléments : température, pluie, vent, ensoleillement, nébulosité, degré hygrométrique.

On peut admettre en conclusion que la chasse avec chiens, à l'arrière-saison surtout, ne peut être un facteur de contagion suffisant pour influencer en sens inverse la courbe descendante de la fièvre aphteuse. Quant aux chasseurs qui ont su chasser sans chiens à l'ouverture et qui se sont faits leur propre rabatteur et retriever, ils auront reçu une bonne leçon de philosophie : ils se seront rendu compte par défaut, s'il en était besoin, combien sans chiens ils sont aveugles, sourds et paralytiques. Et ce ne pourra que resserrer les liens d'amitié qui les unissent à leur compagnon à quatre pattes.

TRÉMORGAT.

Le Chasseur Français N°670 Décembre 1952 Page 712