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Gibier blessé

Dans le tir de chasse, la plupart des pièces atteintes par le plomb ne sont pas tuées sur le coup. Qu'elles soient prises par les chiens ou par le chasseur, il est nécessaire le plus souvent de les achever.

C'est le point le plus douloureux de la chasse, celui qui provoque des gestes dont la nécessité n'atténue en rien l'inélégance. Aussi le coup est-il parfait lorsque le lièvre ou le perdreau reste au sol, tué proprement sans grosses blessures sanglantes et privé de toute vie. Mais il faut bien reconnaître que cela ne se produit pas assez souvent.

Achever un lièvre ou un lapin, c'est peu de chose. Le coup sec derrière les oreilles est rapide et définitif. Mais, pour les oiseaux, c'est une autre affaire. Étouffer en serrant sous les ailes un perdreau dont une aile est seulement cassée est un acte assez rebutant. L'assommer, ce n'est guère beau, mais cela a du moins l'avantage d'abréger son agonie.

En bordure d'une vigne j'avais touché un gros coq qui resta immobile sur un chaume. Mon cocker me l'ayant rapporté, il manifesta dès qu'il fut dans mes mains une vitalité extraordinaire. Le vieux bourdon ne voulait pas mourir. Et je luttai avec maladresse contre la vie de ma victime. Ce ne fut qu'au bout d'un long moment qu'enfin inerte je le mis au carnier en poussant un soupir de soulagement.

Ah ! comme j'aurais voulu l'avoir manqué !

Beaucoup d'auteurs cynégétiques ont été émus par ce revers de la chasse. Ernest Bellecroix a conté d'émouvantes histoires de chevreuil blessé et le dégoût qu'il ressentit vis-à-vis de certains chasseurs dont l'insensibilité grossière empêchait tout mouvement de pitié. Le chasseur doit être l'ami de la nature et, si l'amour de la chasse est impérieux, il doit laisser la brutalité au braconnage.

En plus des pièces dont on s'empare, il y a celles qui sont perdues. Blessées, elles ont encore assez de force pour fuir.

Que deviennent-elles ? On tue parfois du gibier portant les traces apparentes de blessures anciennes et complètement guéries. J'ai vu un perdreau qui n'avait qu'un moignon à la patte droite, un lapin dont une patte arrière s'était ressoudée, les deux morceaux côte à côte comme dans un dessin de Dubout. D'autres animaux laissent apparaître les traces de blessures superficielles cicatrisées. La bécasse, dit-on, se panse elle-même, et j'en ai tué une qui avait un bourrelet pétri de terre et d'herbe sèche autour d'une patte.

Mais on retrouve rarement du gibier atteint de blessures profondes. Il est probable alors qu'il devient la proie facile de bêtes de rapine qui l'éliminent dans un temps assez bref.

Le gibier conserve une grande énergie malgré des atteintes mortelles. Seules les atteintes dans les organes vitaux ou les membres moteurs l'immobilisent. Un sanglier touché au ventre peut faire encore beaucoup de kilomètres. Un lapin, les reins cassés, a la force de s'engouffrer dans son terrier. On connaît les difficultés qu'il y a pour retrouver un perdreau désailé. À peine a-t-il touché le sol dans une chute qui paraît foudroyante, il se redresse et court, puis disparaît. Seuls les très bons chiens peuvent alors le retrouver. Je désailai un perdreau un jour que je buissonnais avec un griffon vendéen. Celui-ci prit la piste, et ce n'est qu'après avoir parcouru plusieurs centaines de mètres en donnant de la voix qu'il saisit l'oiseau.

Quant aux canards, on en ramasse bien moins qu'on n'en tue. Avec l'eau, ils sont dans leur élément. Ils savent y disparaître. Aussi que de carcasses rongées trouve-t-on dans les marais ! On a souvent tiré dans un groupe au petit jour ou au crépuscule. On ignore le sort de ceux qui ont été atteints par les plombs de la périphérie de la gerbe.

D'ailleurs, le tir dans les bandes d'oiseaux provoque autant de blessés que de morts, blessés perdus pour tout le monde et voués à une fin misérable.

Que de gibier perdu ! C'est sur ce chapitre que l'éducation des chasseurs serait nécessaire,

Personnellement, j'apporte une grande attention à récupérer les blessés. Mais il est impossible de les retrouver tous. Au cours d'une saison, avec 296 pièces tuées, j'ai noté, en outre, la perte de deux marouettes, cinq perdreaux et un lapin. Il y aurait certainement lieu d'ajouter à ces chiffres quelques animaux qui, n'ayant peu ou pas accusé le coup, n'en ont pas moins reçu une atteinte mortelle.

Beaucoup trop de chasseurs se font illusion sur la portée de leur arme.

Les lois qui régissent la propulsion d'une gerbe de plombs sont intangibles. Les modes de chargement les plus savants, l'allongement ou le raccourcissement des douilles, l'usage de calibres nouveaux n'influencent que dans de faibles proportions la résistance de l'air, qui croît rapidement avec l'augmentation de la vitesse initiale.

Bien des pièces sont perdues parce qu'elles ont été tirées trop loin. Quelques coups de hasard mis à part, au delà de quarante-cinq mètres les cinq atteintes nécessaires pour provoquer l'état d'inhibition ne peuvent pas se produire. Lièvres, perdreaux et canards destinés aux renards et aux oiseaux de proie en font la triste expérience. Chasser le perdreau en bute-avant est mortel pour l'espèce. C'est une méthode primaire qui consiste par cinq ou six tireurs à poursuivre les compagnies rapidement. On tire et on ramasse ce qu'on peut, et les carniers, bien souvent, ne contiennent pas seulement la moitié des victimes.

Chasseurs, recherchez sans vous lasser les pièces blessées, n'utilisez votre arme que dans la limite de ses possibilités. Vous éviterez des souffrances inutiles au gibier et vous contribuerez au repeuplement de nos chasses.

Jean GUIRAUD.

Le Chasseur Français N°670 Décembre 1952 Page 713