C'est un parasite externe des poissons assez fréquent et que
tout pêcheur est susceptible de rencontrer. C'est ainsi que, l'an dernier, j'ai
péché au lac de Biscarosse un beau panier de perches allant de une demi-livre à
une livre et demie, dont plus de la moitié portaient quelques-uns de ces
parasites collés sur leurs écailles et leur rostre enfoncé dans la chair des
poissons.
L'argule n'est pas un insecte, comme sa forme pourrait
le faire croire, mais bien un petit crustacé, très déformé par sa vie parasitaire.
Il a la forme d'un disque assez plat prolongé par deux nageoires de petite
taille et portant, sur les côtés cinq paires de pattes, dont quatre aux
extrémités plumeuses. Ce disque a un diamètre qui va de 2 à 8 millimètres ;
il est donc parfaitement visible à l'œil nu, bien que de teinte générale
translucide. On trouve à l'avant deux yeux noirs en forme de petites taches
rondes. Si on le retourne, on aperçoit deux forts crochets qui lui servent à se
fixer sur le corps du poisson. En dessous des yeux et un peu plus bas que les
deux crochets, sont placées deux ventouses circulaires extrêmement puissantes.
Ainsi, l'argule se colle à sa victime à la fois par ses crochets et par ses
ventouses ; il est d'ailleurs assez difficile de le décoller. Près de la
bouche en forme de trompe se trouve un rostre très puissant et pointu qui lui
sert à percer sa victime jusqu'au sang. Dans le trou fait par le rostre,
l'argule peut ainsi se nourrir par succion en introduisant sa trompe. À part la
première paire de pattes dont l'extrémité est munie de crochets, les quatre
autres paires sont pourvues de palmes qui lui servent à nager ; l'argule
peut ainsi, lorsqu'un poisson passe à sa portée et reste tant soit peu
immobile, nager vers lui et se cramponner. Il y a lieu de remarquer que le
rostre qui lui sert à piquer son hôte communique avec une glande à venin qui
intoxique plus ou moins le malheureux poisson. Le poisson, d'ailleurs, semble
ressentir vigoureusement les piqûres de son parasite ; dans les aquariums,
où il est très fréquent, on voit le poisson chercher à se débarrasser de lui en
se frottant entre les cailloux du fond ou les solides immergés ; il est
d'ailleurs bien rare qu'il parvienne à s'en débarrasser, il ne fait, le plus
souvent, qu'aggraver les blessures qui lui sont faites. L'argule, d'ailleurs,
n'est pas un parasite permanent : dès qu'il est gavé, il abandonne son
hôte et va se reposer sur des végétaux aquatiques.
L'argule est surtout fréquent dans les eaux dormantes. On
peut aussi le rencontrer dans des eaux assez courantes et même dans les
rivières à truites à cours point trop rapide.
L'espèce de loin la plus répandue est l'argule foliacé, qui
est surtout fréquent dans les eaux de deuxième catégorie. On l'a trouvé sur le
gardon, la carpe, la tanche, le brochet et la perche. Certains auteurs
prétendent qu'il a une préférence pour les poissons à l'allure lente, tels que
les carpes et les tanches. Personnellement, je l'ai surtout observé sur les
perches. On trouve aussi l’Argulus coregoni, dont le diamètre arrive au
double de l'autre argule, et qui attaque les salmonidés, truites, corégones et
ombres.
L'argule, lorsqu'il est isolé, nage de façon saccadée ;
grâce à la position de ses quatre paires de pattes lui servant de nageoires, il
se déplace aussi bien horizontalement que verticalement.
Il est très fécond et se reproduit surtout pendant la belle
saison. Il pond sur les végétaux aquatiques et les pierres quelques centaines
d'œufs qui éclosent au bout de trente jours. Les jeunes argules peuvent se
reproduire deux mois après l'éclosion. Comme chaque femelle peut pondre
plusieurs fois par an, on conçoit que, dans une pièce d'eau, sa pullulation à
la fin de l'été puisse être prodigieuse.
Ses inconvénients sur le poisson sont graves. Les alevins
succombent rapidement, tant par amaigrissement et perte de substances que par
l'action physiologique défavorable du venin et des maladies secondaires qui se
greffent sur les plaies et plus spécialement la mousse. Sur les poissons de
forte taille, son action est peut être moins nocive, mais, dans un étang, le
poisson couvert d'argules est toujours déprécié.
Il est peu de remèdes pour le combattre dans la nature. Dans
les pièces d'eau libre, on conseille bien de mettre des fagots contre lesquels
le poisson pourra se frotter pour s'en débarrasser : le remède ne vaut
guère mieux que les grattoirs autrefois distribués aux galeux dans les hôpitaux
militaires. Dans les étangs que l'on peut vider pour la pêche, on peut soigner
les poissons atteints avant de les mettre en vente en les immergeant dans des
bacs contenant une solution de lysol au 5/1.000, soit 2 centimètres cubes par
litre. Il ne faudra surtout pas dépasser cette dose, au delà de laquelle le
poisson serait tué. Les sujets argulés seront mis dans une épuisette à grandes
mailles et plongés au plus cinq secondes dans le bain indiqué. Immédiatement
après, les poissons seront mis dans un bassin d'eau pure et si possible
courante. Les argules, très fortement attaqués par le lysol, tombent dans l'eau
courante et périssent au fond. S'il s'agit de reproducteurs que l'on tient
spécialement à garder, on peut soit les épouiller un à un, soit, de préférence,
pour éviter les plaies formées par l'expulsion de force des parasites, toucher
chaque argule avec la solution indiquée de lysol ; mais, je le répète, on
n'oubliera pas que le lysol est un redoutable toxique du système nerveux.
Dans les étangs de pisciculture, il faudra mettre
soigneusement le fond en assec pendant tout l'hiver. S'il s'agit de bassins à
truites ou de viviers, l'assèchement devra durer au moins un mois pour
interrompre le cycle des parasites.
Enfin, à l'empoissonnement des étangs, on évitera
soigneusement de mettre des poissons argulosés.
Dans les eaux libres, à part les fagots-grattoirs dont j'ai
parlé plus haut, le seul remède consistera à introduire des vairons qui,
paraît-il, mangent les argules ; il est de fait qu'il n'a jamais été
trouvé de vairons portant d'argules.
Nous sommes donc assez désarmés pour lutter en eau libre
contre ce parasite.
DELAPRADE.
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