La difficulté d'obtenir un plus grand nombre d'athlètes de
grande classe vient en premier lieu de ce fait que le style — qui a pour
but d'adapter le geste de l'athlète à l'acte sportif qu'il cherche à accomplir
— est essentiellement personnel et individuel.
S'il s'agissait, comme à l'école du soldat, d'imposer à
tous les mêmes gestes à la même cadence pour former une compagnie ou une
section homogène dont la discipline constitue la force, le problème serait
relativement facile à résoudre, ayant pour but de plier le sujet moyen à
quelques gestes élémentaires et de difficulté moyenne.
Mais il s'agit ici de développer au maximum les aptitudes
naturelles d'un sujet déjà doué et sélectionné, possédant de ce fait une
personnalité, une susceptibilité, des tendances qui lui sont propres, et qu'il
ne faut contrarier que dans la mesure où cela lui sera profitable, ce qui est
beaucoup plus difficile. Le rôle de l'adjudant est d'enseigner l'a, b,
c du geste, celui de l'entraîneur sportif de diriger et de perfectionner
gestes et styles déjà préformés et plus ou moins « installés ».
Car le style de l'athlète, s'il dépend, pour une large part,
de la bonne technique qu'il a apprise du saut, du départ, de la foulée, du
smash ou du revers, du coup de rame ou de pédale, il relève, pour une part au
moins égale, des caractéristiques de sa morphologie, de son comportement
nerveux et psychique, de sa personnalité et de ses aptitudes personnelles. Le
style, « c'est l'homme même », peut-on dire en matière de sport comme
on a pu le dire dans le domaine de l'art, de la musique, de la danse, de la
littérature, du caractère. Un style ne s'imite que dans ses grandes lois, il se
crée selon la personnalité de chacun. Et si un jeune athlète s'attache trop
étroitement à vouloir imiter le style ou la foulée d'un grand champion qu'il
admire avec ses yeux d'adolescent comme un demi-dieu, le chronomètre et le
décimètre sont là, juges impartiaux et impitoyables, pour le ramener à la
réalité.
Si le style trouve sa personnalité dans les qualités et les
aptitudes de l'individu, il la trouve aussi dans ses faiblesses.
On trouve un exemple typique de ce fait dans la danse. Selon
qu'une jeune femme est bréviligne ou longiligne, selon que son comportement
neuro-végétatif est dominé par le sympathique ou, au contraire, vagotonique, la
même danse, apprise sur la même musique et par le même maître, aura un
caractère et une grâce tout à fait différents chez l'une que chez l'autre.
Il en résulte que, pour obtenir le maximum de rendement,
l'athlète doit se discipliner à un travail long et minutieux de ses attitudes
et de ses mouvements, exactement comme un orateur ou un écrivain sur les
éléments de la forme littéraire ou de la phonétique. C'est dans ces conditions
que l'on peut considérer le sport comme un élément d'expression intime, et
parfois tout aussi émouvant que les autres, de la personnalité, et, pour les
plus doués, du talent.
C'est ainsi que, parvenu aux hautes cimes de la performance,
au voisinage des records, il faudra à un athlète des mois de travail presque
quotidien pour gagner encore quelques centimètres ou quelques dixièmes de
seconde. Un nageur, par exemple, pour gagner un cinquième de seconde sur un
virage ou sur un sprint, ou un sauteur en hauteur pour gagner un centimètre,
étudient parfois pendant des mois l'attaque de l'eau par leurs mains,
l'amplitude du coup de ciseaux, l'enroulement du corps autour de la barre, pour
y parvenir. Et, à morphologie et à puissance égales, c'est celui qui aura le
mieux adapté son style à ses moyens qui sera le champion.
C'est ainsi, et c'est pour cela, que le sport est aussi un
art.
Dr Robert JEUDON.
|