Pour l'enfant, le jeu constitue la base de toute
activité spontanée. Le jeu n'est même pas, comme le rire, le propre de l'espèce
humaine : le jeune chat, le jeune chien jouent aussi. J'ai même possédé un
« gouttière pure race » qui rapportait à mes pieds les bouchons que
je lui jetais. Ce félin était-il un phénomène ? À cette question, je n'ose
répondre.
« L'enfant, a écrit Shakespeare, est le père de
l'homme. » Descendants de nos propres rejetons, nous jouons également,
moins assidûment, faute d'ingénuité et de loisirs.
Entre le sport et le jeu existe-t-il une frontière bien
tracée ? Le vocabulaire ne saurait nous renseigner de façon précise. Il
est équivoque, le mot jeu englobant des occupations aussi diverses, voire aussi
opposées que les échecs, le billard, le bridge, le football et le rugby. Pour
s'y reconnaître, il est nécessaire de choisir un exemple. Les boules nous le
fourniront.
En Provence, dans le Lyonnais, le Dauphiné, les boules
constituent un exercice entre tous populaire, qui a d'ailleurs gagné d'autres
régions. À Paris même, on « pointe » et on « tire » dans le
noble jardin des Tuileries.
L'aire géographique est, d'ailleurs, sans importance. Nul
n'oserait dénier le titre de sport à la pelote basque, confinée dans un
territoire moins étendu.
Du sport, les boules possèdent la plupart des caractères. Si
d'innombrables pratiquants se contentent de parties dominicales à l'ombre de
quelque auberge, des tournois réguliers opposent les champions en présence d'un
public passionné. Des fédérations dirigent la masse des licenciés, des règles
strictes sont imposées. Les prix mis en compétition représentent souvent des
sommes considérables. Les tournois de boules sont des événements auxquels les
journaux locaux consacrent des colonnes.
Ces colonnes, les fervents du sport les parcourent, le plus
souvent, d'un regard méprisant. Elles occupent une place qui, selon eux, serait
plus dignement occupée par le cyclisme, le football ou le basket. Cette opinion
est partagée par les quotidiens et périodiques sportifs. Ces organes
spécialisés ignorent les boules, alors qu'ils adoptent le ping-pong ou le
billard.
Quelles sont les causes de cet ostracisme ? Il n'est
pas si facile de les discerner qu'il pourrait paraître. Tentons de les passer
en revue.
Les boules seraient un exercice trop immobile, trop statique ?
Le tir à la cible est classé, fort légitimement, parmi les sports olympiques.
Et, si nous reconnaissons que la « pétanque » marseillaise ne réclame
aucune dépense d'énergie, la « longue » exige de ses « tireurs »
des élans vifs et vigoureux.
Les boules offriraient un spectacle sans grâce ni beauté ?
Que de dessinateurs, de peintres se sont ingéniés à fixer les attitudes de
l'homme courbé souplement alors qu'il vise le but ou des groupes accroupis pour
mesurer un point litigieux.
Les boules pourraient être assimilées à des coutumes locales
simplement pittoresques comme les quilles ou le tir à l'arc, fort goûtés encore
dans certaines provinces ? Nous avons répondu d'avance à ce grief en
évoquant la pelote basque. Et que dire du rugby, qui n'a guère essaimé au
dehors de notre Sud-Ouest et qui reste classé comme un sport majeur, même par
ceux qui n'ont jamais assisté aux vols entrecroisés du ballon ovale ?
Manque de virilité, amusement de « pépères »
bedonnants ? Ici, l'objection devient plus sérieuse, quoique, encore un
coup, le tennis de table, le golf ne semblent pas particulièrement masculins et
puissent être pratiqués à tout âge.
La vérité, instinctivement aperçue par les sportifs
intransigeants, est que les boules n'exigent pas un entraînement rigoureux, une
discipline. Débonnaires, elles autorisent tous les écarts de régime, appellent
trop les apéritifs d'honneur et les banquets. Elles sont délassantes,
hygiéniques et, à ce titre, sympathiques. Mais, trop bonnes filles, elles
admettent trop de haltes à l'ombre des tonnelles. Le rythme des parties est
assez lent pour qu'on ait tout le temps de reprendre son souffle et de frotter
ses reins courbatus.
Un domaine familier aux lecteurs du Chasseur Français
nous permettra de délimiter le domaine du sport et celui du jeu ou du
délassement. Ce domaine est bordé d'eau : mer, fleuve ou rivière. C'est
celui de la pêche. Nous distinguons la pêche au coup, amie des rêveurs, dont
nous nous garderons de dire du mal, mais qui, confessons-le, frères en flânerie
paresseuse, est bien confortable, et la pêche dite sportive. Cette dernière est
parfaitement baptisée puisqu'elle astreint ses fervents à des marches, à des
escalades le long des torrents ou à de dures expéditions sur des vagues
revêches, au maniement de lourds filets.
Il faut de tout pour faire un monde et pour distraire les
hommes. Sport ou jeu, au fond qu'importe, s'ils sont bien choisis et permettent
de gorger ses poumons d'air pur, de chasser de son cerveau soucis, papillons
noirs, pensées moroses.
Et, si ce jeu nous plaît, sans remords jouons aux boules.
Jean BUZANÇAIS.
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