Accueil  > Années 1952  > N°670 Décembre 1952  > Page 731 Tous droits réservés

Le jeu et le sport

Pour l'enfant, le jeu constitue la base de toute activité spontanée. Le jeu n'est même pas, comme le rire, le propre de l'espèce humaine : le jeune chat, le jeune chien jouent aussi. J'ai même possédé un « gouttière pure race » qui rapportait à mes pieds les bouchons que je lui jetais. Ce félin était-il un phénomène ? À cette question, je n'ose répondre.

« L'enfant, a écrit Shakespeare, est le père de l'homme. » Descendants de nos propres rejetons, nous jouons également, moins assidûment, faute d'ingénuité et de loisirs.

Entre le sport et le jeu existe-t-il une frontière bien tracée ? Le vocabulaire ne saurait nous renseigner de façon précise. Il est équivoque, le mot jeu englobant des occupations aussi diverses, voire aussi opposées que les échecs, le billard, le bridge, le football et le rugby. Pour s'y reconnaître, il est nécessaire de choisir un exemple. Les boules nous le fourniront.

En Provence, dans le Lyonnais, le Dauphiné, les boules constituent un exercice entre tous populaire, qui a d'ailleurs gagné d'autres régions. À Paris même, on « pointe » et on « tire » dans le noble jardin des Tuileries.

L'aire géographique est, d'ailleurs, sans importance. Nul n'oserait dénier le titre de sport à la pelote basque, confinée dans un territoire moins étendu.

Du sport, les boules possèdent la plupart des caractères. Si d'innombrables pratiquants se contentent de parties dominicales à l'ombre de quelque auberge, des tournois réguliers opposent les champions en présence d'un public passionné. Des fédérations dirigent la masse des licenciés, des règles strictes sont imposées. Les prix mis en compétition représentent souvent des sommes considérables. Les tournois de boules sont des événements auxquels les journaux locaux consacrent des colonnes.

Ces colonnes, les fervents du sport les parcourent, le plus souvent, d'un regard méprisant. Elles occupent une place qui, selon eux, serait plus dignement occupée par le cyclisme, le football ou le basket. Cette opinion est partagée par les quotidiens et périodiques sportifs. Ces organes spécialisés ignorent les boules, alors qu'ils adoptent le ping-pong ou le billard.

Quelles sont les causes de cet ostracisme ? Il n'est pas si facile de les discerner qu'il pourrait paraître. Tentons de les passer en revue.

Les boules seraient un exercice trop immobile, trop statique ? Le tir à la cible est classé, fort légitimement, parmi les sports olympiques. Et, si nous reconnaissons que la « pétanque » marseillaise ne réclame aucune dépense d'énergie, la « longue » exige de ses « tireurs » des élans vifs et vigoureux.

Les boules offriraient un spectacle sans grâce ni beauté ? Que de dessinateurs, de peintres se sont ingéniés à fixer les attitudes de l'homme courbé souplement alors qu'il vise le but ou des groupes accroupis pour mesurer un point litigieux.

Les boules pourraient être assimilées à des coutumes locales simplement pittoresques comme les quilles ou le tir à l'arc, fort goûtés encore dans certaines provinces ? Nous avons répondu d'avance à ce grief en évoquant la pelote basque. Et que dire du rugby, qui n'a guère essaimé au dehors de notre Sud-Ouest et qui reste classé comme un sport majeur, même par ceux qui n'ont jamais assisté aux vols entrecroisés du ballon ovale ?

Manque de virilité, amusement de « pépères » bedonnants ? Ici, l'objection devient plus sérieuse, quoique, encore un coup, le tennis de table, le golf ne semblent pas particulièrement masculins et puissent être pratiqués à tout âge.

La vérité, instinctivement aperçue par les sportifs intransigeants, est que les boules n'exigent pas un entraînement rigoureux, une discipline. Débonnaires, elles autorisent tous les écarts de régime, appellent trop les apéritifs d'honneur et les banquets. Elles sont délassantes, hygiéniques et, à ce titre, sympathiques. Mais, trop bonnes filles, elles admettent trop de haltes à l'ombre des tonnelles. Le rythme des parties est assez lent pour qu'on ait tout le temps de reprendre son souffle et de frotter ses reins courbatus.

Un domaine familier aux lecteurs du Chasseur Français nous permettra de délimiter le domaine du sport et celui du jeu ou du délassement. Ce domaine est bordé d'eau : mer, fleuve ou rivière. C'est celui de la pêche. Nous distinguons la pêche au coup, amie des rêveurs, dont nous nous garderons de dire du mal, mais qui, confessons-le, frères en flânerie paresseuse, est bien confortable, et la pêche dite sportive. Cette dernière est parfaitement baptisée puisqu'elle astreint ses fervents à des marches, à des escalades le long des torrents ou à de dures expéditions sur des vagues revêches, au maniement de lourds filets.

Il faut de tout pour faire un monde et pour distraire les hommes. Sport ou jeu, au fond qu'importe, s'ils sont bien choisis et permettent de gorger ses poumons d'air pur, de chasser de son cerveau soucis, papillons noirs, pensées moroses.

Et, si ce jeu nous plaît, sans remords jouons aux boules.

Jean BUZANÇAIS.

Le Chasseur Français N°670 Décembre 1952 Page 731