Dans Le Règne animal, Georges Cuvier affirme qu'il
n'est point de famille de mammifères dont les descriptions soient plus
incomplètes que celle des cétacés.
S'il vivait de nos jours, l'ancien secrétaire perpétuel de
l'Académie des Sciences aurait pu ajouter à la famille des dauphins l'espèce
nouvelle que constitue le « pêcheur sous-marin ».
Car il apparaît bien que l'homme a rejoint l'ordre des
Cétacés en adoptant l'un des caractères morphologiques les plus apparents de
ces mammifères et qui les distingue à priori des poissons : l'organe de
propulsion — la queue — situé dans un plan horizontal.
Les palmes, ou « pattes de canard » du plongeur
moderne, agissent exactement comme la nageoire caudale d'un cétacé ; par
un mouvement alternatif de haut en bas et de bas en haut, accompagné d'une
flexion de l'organe lui-même sous un angle moyen de 45 degrés, elles font sur
l'eau un effort dirigé vers l'arrière, qui, par réaction, pousse le nageur vers
l'avant. C'est ainsi d'ailleurs qu'agissent la rame et l'hélice ; on
repousse l'eau avec un engin plat aussi large que possible — compte tenu
de la force du « moteur », — engin solidaire d'un véhicule
offrant à l'eau, perpendiculairement au plan propulseur, un profil étroit et
effacé dans le sens où l'on veut avancer. Ainsi, la face travaillante d'un
aviron ou d'une pale d'hélice est celle qui est tournée vers l'arrière.
Dans les cas du poisson, du cétacé et de l'homme chaussé de
palmes, les deux faces de la « nageoire » font alternativement
et également pression sur l'eau.
Il serait dès lors superflu d'insister sur l'importance de
ces accessoires pour le plongeur.
Nous avons vu que le plongeur sous-marinier descend au fond
par ses propres moyens ; mais, alourdi qu'il est par son équipement, il ne
remonte pas comme un bouchon. Il doit donc, chose encore plus importante,
revenir à la surface à la force de ses pieds chaussés de palmes.
Ces appareils en caoutchouc, pour donner leur maximum de
rendement, doivent autant que possible être proportionnés et à la vigueur et à
la corpulence de celui qui les utilise.
Leur degré de souplesse est aussi à prendre en considération ;
des palmes trop souples manœuvrées vigoureusement plient à angle droit, et le
plongeur peine sans progresser. Inversement, des palmes exagérément rigides ne
commencent à travailler utilement que sous un angle très ouvert, astreignant le
plongeur à des battements de jambes de grande amplitude qui le fatiguent et, au
surplus, effarouchent le poisson.
La manière d'utiliser les palmes a également une grande
influence sur leur efficacité.
Les pieds doivent être allongés vers l'arrière dans
l'alignement des jambes, mais sans tension excessive susceptible d'occasionner
une crampe, en souplesse, dans une position aussi rapprochée que possible de
celle des pieds d'une danseuse de ballet qui fait des pointes.
Les battements se font la jambe entièrement allongée, le
genou tendu. Ce sont les muscles de la cuisse et du bassin — les plus
puissants précisément — qui doivent travailler, principalement le
couturier, le biceps crural, le demi-tendineux et le grand fessier ; la
ceinture abdominale également participe à l'effort, tout au profit de
l'esthétique ... Des muscles de la jambe, seuls les jumeaux interviennent
pour maintenir en permanence le pied allongé.
Il convient d'y insister, car le débutant commet fréquemment
l'erreur de « casser » la jambe, ce qui est proprement cafouiller.
Le mouvement alternatif des jambes, en ciseaux, doit être de
peu d'amplitude, une quarantaine de centimètres étant le maximum d'écart entre
les deux pieds ; plus il est rapide, plus il est puissant.
Dans les cas d'urgence, l'efficacité n'est à attendre que de
l'accélération de la cadence de battement sous une amplitude réduite.
Mais la grande règle est souplesse avant tout ; la
souplesse contrebalance la puissance et peut souvent même la primer.
Attendu qu'en surface les palmes ont un rendement médiocre
dans leur mouvement ascendant (moins d'eau au-dessus), il y a lieu de compenser
par un mouvement plus accéléré. Au fond, l'efficacité est maximum, donc
mouvements normalement moins précipités.
Le plongeur muni de palmes se dirige dans l'eau simplement
en inclinant le haut de son corps dans la direction qu'il veut prendre ;
quand il est bien entraîné, il parvient aussi à faciliter ses chargements de direction
à droite ou à gauche en accentuant l'effort sur l'une de ses palmes, mais cela
ne peut s'apprendre qu'à l'usage.
En ce qui concerne la manière de respirer avant de plonger
et la meilleure utilisation de la provision d'air emportée au fond, il en est
un peu comme du tir de la bécassine ; chacun a sa méthode. Il y a l'école
de ceux qui professent qu'on doit tirer avant les crochets de l'oiseau, celle
qui assure qu'on peut trouver la bonne cible pendant les crochets et celle qui
soutient qu'avec un plomb un peu fort on n'a qu'à attendre tranquillement que
la reine des marais ait pris la ligne droite ; enfin il y a aussi l'école
du sage, dont la méthode consiste à ne pas avoir de méthode et à tirer « quand
on peut ».
Eh bien, en matière de plongée, pour une fois l'école du
sage n'est pas à recommander. Il ne faut pas respirer n'importe comment ;
il existe indiscutablement, dans ce domaine, une méthode supérieure aux autres.
En premier lieu, il est salutaire de se « balayer »
les poumons préalablement à la descente, en faisant deux ou trois inspirations
et expirations profondes (sans excès), à une cadence plutôt ralentie, afin de
ne pas lancer le cœur dans un galop précipité. De la sorte, le sang s'est bien
épuré et enrichi, en même temps que les voies respiratoires se sont vidées des
résidus de gaz carbonique qui subsistent toujours plus ou moins dans les
parties basses des bronches, dans la respiration imparfaite courante.
Au moment de s'enfoncer dans l'eau, vaut-il mieux avoir les
poumons vides ou, au contraire, pleins ? Autrement dit, faut-il expirer
avant d'entrer sous l'eau, ou aspirer une provision d'air ?
En appliquant la première méthode, on descend plus aisément
du fait de l'augmentation de la densité d'ensemble du corps d'environ 500
grammes ; par contre, on remonte moins facilement. Jusqu'à ce que l'homme,
par un phénomène de transformisme à rebours, se voie pousser des branchies,
remonter en surface sera pour lui plus essentiel que plonger ; le choix
s'impose ainsi à priori : il est préférable de descendre avec les poumons
pleins d'air.
D'autre part, il est constant que le plongeur qui vide ses
poumons atteint rarement — toutes choses égales d'ailleurs — la durée
d'immersion de celui qui descend avec une provision d'air, et cela s'explique :
l'air qui a pénétré dans les bronches n'est jamais du premier coup complètement
vidé de tout son oxygène ; en le gardant dans ses poumons, le plongeur
peut l'utiliser au maximum, car les globules rouges y trouvent encore un reste
du précieux gaz.
Au surplus, en position d'inspiration, la pression du
diaphragme contribue à maintenir les viscères de la cavité abdominale, créant
une sensation de confort dans les mouvements des membres inférieurs.
Avant de s'enfoncer sous l'eau il convient donc de faire une
inspiration normale, à fond, mais sans s'efforcer à « faire Tarzan »,
ce qui provoquerait rapidement un sentiment d'oppression.
Certains qui sont déjà ralliés à cette méthode croient
néanmoins qu'en rejetant l'air en cours de plongée ils régénèrent leur pouvoir
de rétention respiratoire. En procédant ainsi, on ne fait que renoncer au seul
avantage de la première méthode (descente rapide), sans, pour autant,
s'épargner ses divers inconvénients.
Le rejet de l'air sous l'eau s'accompagne même d'un besoin
physiologique immédiat de reprendre du souffle, plus sensible souvent que celui
qu'éprouve le plongeur parti à vide.
En outre, l'évacuation d'air, avec ses glouglous et ses
bulles ascendantes, est bien fait pour éloigner le poisson.
En conclusion, il est de beaucoup préférable de garder sa
provision d'air jusqu'à la fin de la remontée. Si on éprouve alors une gêne
trop pénible, on peut l'expulser aux approches de la surface, mais le plongeur
qui a bien ménagé sa marge de sécurité ne rejette sa provision d'air qu'en fin de
remontée ; faisant alors deux coups d'une pierre, il chasse ainsi l'eau
entrée dans son « tuba » et peut immédiatement se remplir les poumons
d'air frais.
Nous entendons bien qu'il existe des systèmes de valves
ayant pour but d'empêcher l'eau de pénétrer dans le tuyau de respiration, mais,
dans l'agitation de l'action de chasse et durant la remontée, il arrive que
cette valve ne soit pas dans les meilleures conditions pour fonctionner ;
et puis les constructions humaines, si ingénieuses soient-elles, ne peuvent
être parfaites !
Si vous voulez donc éviter la désagréable surprise d'aspirer
contre votre gré une gorgée de l'onde amère, suivez notre conseil :
soufflez toujours dans votre « tuba » en arrivant en surface ;
juste en cas ...
Le chasseur sous-marin partant en expédition sans être muni
d'un solide couteau ferait bien mieux de rester sur la terre ferme à lire Mon
cent millième Requin, si ce bouquin existe ... Ça n'est dangereux
parfois que pour la réputation de l'auteur.
Il n'est pas question de considérer si vous n'avez en vue
que de chasser des bars (des « loups » comme on dit en Méditerranée),
ou de ne faire qu'un petit tour. C'est absolument indispensable.
Il faut avoir un puissant couteau-poignard, la lame protégée
par une gaine solide passée à la ceinture. L'arme doit être maintenue en place
dans son fourreau par un système quelconque évitant qu'elle ne tombe par
mégarde, mais un système simple permettant d'en disposer instantanément,
sans opération préalable laborieuse.
Cette arme doit pouvoir aussi bien trancher que frapper
d'estoc ; elle doit donc avoir un tranchant parfaitement affûté et un bout
pointu robuste, nous y insistons car ce n'est nullement un accessoire de parade
destiné à impressionner les populations, mais un outil d'usage.
Un très fort couteau de scout, bien en main, fera l'affaire,
même s'il n'est pas en acier inoxydable ; vous en serez quitte pour en
graisser copieusement la lame, et, après chaque partie de chasse, pour
l'essuyer soigneusement et la graisser à nouveau. L'acier ordinaire présente
même l'avantage de se réaffûter aisément sur une pierre ou sur une pièce
métallique quelconque. Toutefois, évitez les garnitures où le bronze voisine
avec l'acier ; dans l'eau de mer, les deux métaux se « mangent »
par électrolyse.
Par ailleurs, il n'est pas indispensable que l'arme ait une
poignée en liège.
Les circonstances où le chasseur sous-marin peut avoir
besoin de son couteau-poignard sont si nombreuses et variées que nous n'en
citerons que quelques-unes parmi les plus courantes, en laissant de côté, dès
l'abord, le combat homérique avec le requin-tigre de quatre mètres ou avec la
pieuvre géante aux bras gros comme des cuisses d'hercule ...
Notez cependant que les squales (les requins comme on les
nomme généralement, à tort du reste) ne sont pas absents de nos eaux
territoriales, puisque dix-sept espèces au moins peuvent se rencontrer en
Méditerranée, et que les grandes pieuvres ne sont pas toutes sorties de
l'imagination des romanciers.
Mais si tous les squales ne sont pas des « anges »
— comme le très authentique et inoffensif Squatina squatina, — la
question de leur agressivité, sous nos latitudes du moins, a déjà donné lieu à
trop de polémiques pour que nous nous aventurions aujourd'hui dans cette
galère.
D'autre part, et toujours sous nos latitudes, les pieuvres
sont de taille modeste, et généralement craintives. Il nous est arrivé
cependant d'avoir eu les pieds littéralement liés par une petite pieuvre tapie
dans son trou et qui, ne voyant de notre personne que les extrémités inférieures,
s'était probablement trompée sur la taille de la proie ; nous n'en dûmes
pas moins couper trois tentacules pour nous libérer.
On peut en passant tirer de ce petit incident une leçon
distincte de celle qui concerne l'utilité du couteau-poignard : éviter de
poser les pieds sans nécessité au voisinage immédiat des rochers présentant des
trous susceptibles d'abriter des poulpes.
Mais voici une circonstance banale où le couteau est
indispensable ; le chasseur qui a pris une murène ne peut se permettre de
suspendre cette succulente prise à son accroche-poisson. La murène est, en
effet, d'une férocité qui n'a d'égale que sa vitalité ; il faut
immédiatement lui trancher la tête si on veut éviter une morsure qui peut
d'ailleurs être dangereuse.
Autre cas : vous avez harponné une raie pastenague (Trygon
pastinaca), ou raie à aiguillons ; si vous ne lui coupez pas aussitôt
la queue — très résistante ! — au ras du corps, le ou les
aiguillons empoisonnés peuvent vous infliger des blessures graves.
Et puis vous pouvez avoir à décoller une huître ou un gros
mollusque d'un rocher ; ou encore un mérou blessé peut descendre le long
d'une paroi rocheuse et se réfugier dans un trou d'où il est impossible de le
déloger. Quelle autre solution que de couper la ligne pour ne pas laisser choir
le fusil dans un gouffre où on ne pourrait plus le récupérer ? Certes,
c'est un cas peu fréquent, mais nullement exceptionnel.
À ce propos, lorsque le chasseur sous-marin se trouve
au-dessus d'un fond qu'il peut atteindre sans imprudence, et qu'il a harponné
une proie rétive, qu'il n'essaye pas de mener du premier coup la lutte à son
épilogue au prix d'un effort épuisant. Il n'a tout simplement qu'à lâcher son
fusil au fond, remonter respirer à l'aise, puis redescendre ramasser son arme et
reprendre la bagarre ; il peut au besoin renouveler plusieurs fois cette
tactique. Pendant ce temps, le poisson blessé perd des forces, alors que le
chasseur ménage les siennes : chi va piano va sano, chi va sano va lontano ...
Sur cette citation chère à nos amis méditerranéens,
saisissons le couteau-poignard pour couper opportunément, pour aujourd'hui, la
communication.
Henri CHENEVÉE,
Directeur du Centre d'Études sous-marines.
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