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Viticulture

Impressions de voyage

Au mois d'août dernier, au cours d'un de nos déplacements, nous avons été amené à séjourner au milieu d'une région très spéciale du Centre de la France.

Le sol de cette région, laquelle s'étend sur une partie de trois départements, est formé d'alluvions argilo-siliceuses craignant la sécheresse, le sous-sol est constitué par des roches calcaires de formation géologique ancienne et en grande partie décomposées.

C'est essentiellement un pays d'élevage, où la prairie de pâture occupe une certaine place ; c'est aussi un bon pays pour les céréales et les cultures sarclées.

Chose curieuse, la vigne y tient un rang honorable, le sol et le sous-sol lui convenant parfaitement.

Quand nous aurons dit que cette région est légèrement vallonnée, permettant ainsi l'écoulement des eaux, qu'elle possède de nombreux arbres fruitiers, que les clôtures des champs et des prés sont constituées par des haies plantées et que bois et forêts agrémentent le paysage, nous aurons donné une idée assez exacte de ce riche pays.

Mais, cette année, il a eu à subir deux calamités : d'abord une excessive sécheresse donnant aux prairies la couleur des chaumes et, ensuite, la fièvre aphteuse, qui a été un véritable désastre. Au milieu de cette sécheresse, la vigne est florissante. Sa culture est assez ancienne et se transmet par tradition dans ce pays où la dépopulation et l’émigration des campagnes ont été moins graves qu'ailleurs. Aussi la transmission de la propriété se fait-elle, en général, dans la même famille ou dans une famille latérale.

La vigne est conduite sur fil de fer ; les rangs de ceps sont écartés de 1 mètre à lm,10. Le travail se fait à la main et, plus souvent, avec un cheval pour les pièces d'une certaine importance. Nous avons vu les sarments taillés de telle façon que la rangée des plants présentait un alignement parfait en hauteur et en largeur. Sur le sol, pas d'herbes.

Les plants greffés sont, pour le blanc, un cépage noble, le plus souvent vinifié seul, et, pour le rouge, des noms locaux cultivés depuis fort longtemps.

Les porte-greffes sont du groupe des Riparia. Ces vignes produisent des petits vins de table consommés sur place.

Un certain nombre de vignerons, qui sont parfois des artisans, cultivent la vigne pour leur consommation personnelle.

Notons en passant qu'à quelques kilomètres du lieu où nous séjournions existe un grand vignoble donnant des vins blancs, à appellation contrôlée, vins produits par deux cépages différents et dont les qualités se complètent.

Dans cette région, le vigneron soigne sa futaille aussi bien que sa vigne. Son habitation, comprenant un rez-de-chaussée, est construite sur cave ; les murs sont épais ; le toit à forte pente est recouvert de tuiles plates autrefois fabriquées sur place.

De telles caves assurent aux vins une conservation parfaite. Le même genre d'habitation se retrouve dans les exploitations agricoles, les bâtiments sont spacieux, surtout ceux abritant bétail et machines. On ne voit dehors, après les grands travaux, aucune machine agricole.

L'État, en l'espèce le ministère de l'Agriculture, a fort bien compris l'importance de cette région, car il y a installé un centre viticole. Nous ne parlerons pas de l'organisation de ce centre, car, par suite de circonstances indépendantes de notre volonté, nous n'avons pu le visiter.

Quelles conclusions devons-nous tirer de ce qui précède ? Tout d'abord, quand on replante une vigne en remplacement d'une ancienne, et que sa culture se fait à la main, avec un animal ou un motoculteur, on a intérêt à adopter l'espacement de 1m,10 entre les lignes. Si on adopte la même distance entre les ceps d'une même ligne, on aura théoriquement 8.265 pieds à l'hectare.

Au contraire, si on est obligé de planter à 2m,20 entre les lignes et laisser 1m,12 d'intervalle entre les ceps d'une même ligne, on n'aura que 4.000 pieds environ par hectare, soit la moitié en moins, pour une même surface de terrain.

Il est naturel qu'il faudra diminuer de ces chiffres la surface des fourrières et des chemins de desserte.

La plantation large sera donc réservée toutes les fois que le travail se fait soit avec deux bêtes de front, soit avec un tracteur, ou dans les régions où le sol et le climat l'exigent.

Ensuite on a intérêt, comme cela se pratique presque toujours, à vinifier ensemble deux ou plusieurs cépages de même maturité et dont les qualités se complètent.

Il ne peut y avoir d'exception que dans des cas très spéciaux.

Enfin, une chose que nous avons écrite et répétée : il faut soigner sa futaille comme sa vigne ; inutile de vinifier de bons produits s'ils doivent se gâter en cercles.

Mettez-vous le lait à bouillir dans un récipient souillé ? Non ; alors, soignez votre futaille.

Nous répéterons également ce que nous avons écrit si souvent : inutile de faire du bon vin et de le mettre dans des tonneaux sains s'ils ne sont pas entreposés dans un local qui les mette à l'abri des chaleurs du printemps.

Les vignerons dont nous venons de parler n'ont jamais de vins gâtés.

Ne croyez-vous pas, en fin de compte, que ce serait une immobilisation de capital rentable que de construire une bonne cave, fraîche et aérée ? Il y aurait en tout cas moins de vins malades que l'on est obligé de soigner et qui encombrent le marché qui, lui, dans l'état actuel des transactions, n'a nul besoin d'être surchargé de tels produits.

Nous croyons qu'en viticulture et en vinification l'ère des facilités est finie, et c'est peut-être tant mieux.

V. ARNOULD,

Ingénieur agronome.

Le Chasseur Français N°670 Décembre 1952 Page 740