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Les produits de la forêt française

La culture des bois à fibres et des bois de mine

Nous avons exposé, dans les deux numéros précédents du Chasseur Français, les caractéristiques des bois à fibres (c'est-à-dire des bois destinés aux papeteries, cartonneries, usines de panneaux à fibres et aux usines utilisant la cellulose comme matériau de l'industrie chimique) et des bois de mines. Nous avons vu que l'approvisionnement de la France en ces deux catégories de bois posait de graves problèmes qu'il appartient aux reboiseurs de résoudre pour l'avenir. Il n'est pas chimérique, en effet, pour ces bois, de parler d'avenir et de « culture », car ils peuvent être produits dans un court laps de temps, compatible non seulement avec la durée de la vie humaine, mais avec les fluctuations des débouchés, fluctuations souvent rapides dans notre siècle d'intenses progrès industriels.

En gros, les bois à fibres et les bois de mines doivent présenter les caractéristiques suivantes :

    — être sains, ce qui nécessite leur abattage hors sève et la réalisation de conditions permettant un bon séchage ;

    — posséder des qualités intrinsèques de valeur des fibres ou de résistance mécanique liées à l'essence, à la race et à l'influence de la station ;

    — être calibrés, longueurs et grosseurs étant fixées par des usages commerciaux ou des cahiers des charges (le plus souvent, il s'agira de bois de diamètre inférieur ou égal à 25 centimètres) ;

    — posséder certaines qualités de forme (rectitude, cylindricité) et être nets de défauts graves ;

    — être présentés selon certaines règles commerciales (rainage, demi-écorçage, écorçage blanc-blanc, etc. ...).

Nous verrons successivement comment l'exploitation peut, dès maintenant, recruter des bois à fibres ou des bois de mines dans les coupes et comment le reboiseur doit, pour l'avenir, orienter ses efforts en vue de la production de ces deux catégories de bois.

L'EXPLOITANT peut recruter de tels bois, soit dans des coupes de taillis simple ou de taillis sous-futaie, soit dans des éclaircies de futaie régulière, soit dans des coupes jardinatoires, soit dans des coupes à blanc de jeunes plantations.

Les taillis donnent des perches d'essences feuillues en général de faible diamètre (8 à 12 centimètres de diamètre en moyenne avec le charme ou le chêne, 12 à 15 centimètres avec le bouleau, le tilleul, le tremble, le robinier, 15 à 45 centimètres avec l'aune et le châtaignier, par exemple).

Dans l'état actuel des choses, ces essences donnent peu de bois à fibres, les feuillus de petit diamètre n'étant utilisés qu'assez faiblement par les usines françaises, sauf certains bois comme le tremble et, dans une certaine mesure, le bouleau. Dans l'avenir, il se peut que l'industrie utilise davantage de feuillus : aunes, hêtres, peut être aussi charme et tilleul.

Par contre, les taillis peuvent donner une certaine proportion de bois de mines : étais de 2e et 3e classe, queues et même rallonges. Les taillis de chêne et de charme, flexueux et de faible diamètre, ne donnent pas de bois de voie. Par contre, les taillis de châtaignier et de robinier donnent des rallonges et même des bois de voie. De toute façon, un fournisseur de bois de mine ne trouvera pas, dans un taillis, toutes les catégories d'étais nécessaires à la réalisation des proportions prévues par les marchés.

Les éclaircies de futaies feuillues régulières produiront une plus forte proportion de bois droits et des bois de plus fort diamètre, d'essences variées, mais principalement de chêne, hêtre et charme.

Les mêmes remarques que ci-dessus sont à faire en ce qui concerne les bois à fibres. Il y a lieu de noter cependant qu'une grande usine de cellulose de l'Est de la France se préoccupe de recruter, pour sa fabrication, une très importante quantité de rondins de hêtre. Diverses autres usines françaises ont fait également de gros efforts pour s'adapter en vue de l'utilisation de feuillus divers.

Les éclaircies de futaies résineuses régulières produisent une grosse quantité de bois intéressant les papeteries ou les mines. Les résineux sont généralement droits, cylindriques et bien calibrés. En ce qui concerne les bois à fibres, d'importantes sources d'approvisionnement sont constituées par les sapinières vosgiennes, les forêts d'épicéas et de sapins du Jura et des Alpes de Savoie (pâte mécanique et pâte au bisulfite) et la forêt de pins maritimes des Landes (pâte kraft). De même les principales sources de bois de mine (bois de voie en particulier) sont également constituées par la forêt landaise, les autres forêts de pins maritimes du Sud-Ouest et de l'Ouest de la France et aussi par les forêts de pins sylvestres spontanées ou artificielles des Alpes, du Massif .Central et des Vosges ou par certains grands massifs forestiers de plaine (régions de Rouen, d'Orléans, Sologne, pourtour du Massif Central, Alsace, etc. ...). D'autres essences résineuses contribuent également à l'approvisionnement des mines grâce aux éclaircies qui y sont pratiquées (mélèze, pin noir, pin à crochets dans les Alpes du Sud et les Pyrénées-Orientales, douglas, mélèze, pin noir dans le Massif Central.

Les coupes jardinatoires, en particulier celles des forêts résineuses, peuvent fournir une certaine quantité de bois de mine ou de bois à fibres, mais ces coupes, comportant à la fois des gros bois, des bois moyens et des petits bois, intéressent surtout les scieurs, qui tirent partie au maximum des grumes, même petites, pour leur industrie, et cela semble plus normal que de transformer de grosses grumes en bois de râperie. Dans certaines régions, des échanges sont pratiqués entre scieurs et papetiers au mieux des besoins de chacun.

Les coupes à blanc de plantations résineuses (et les coupes de régénération de jeunes futaies régulières) fournissent elles aussi une quantité notable de bois à fibres ou de bois de mine, d'autant plus grande que les peuplements sont cultivés à plus courte révolution. Nous citerons par exemple, en ce qui concerne la production de bois à fibres, les peuplements d'épicéas plantés en plaine ou en basse montagne et, en ce qui concerne les bois de mine, les peuplements de pins (noir ou sylvestre) de Champagne et de nombreux savarts ou landes un peu partout en France, les régénérations de pin maritime par coupe rase, etc. ... À noter aussi que certains papetiers envisagent même des cultures de peupliers en vue d'en tirer des bois à fibres. Ceci nous amène à la dernière partie de notre exposé relative à la culture.

Le REBOISEUR doit, dès maintenant, songer à l'approvisionnement en bois à fibres et en bois de mine, et la majeure partie des plantations doivent être consacrées à la production de ces bois.

On plantera donc de préférence les essences les plus demandées pour ces deux usages, en choisissant autant que possible des plants de bonne race, mais on ne perdra pas de vue qu'il s'agit avant tout de produire des bois sains. On ne plantera donc que des essences parfaitement adaptées à la station, c'est-à-dire au climat, à l'altitude, à l'exposition et au sol du lieu à boiser. Pour ce faire, le reboiseur peut bénéficier des conseils de l'Administration des Eaux et Forêts. Dans chaque Conservation, un ingénieur est chargé spécialement de ces questions et, en particulier, il peut apporter aux reboiseurs l'aide matérielle du Fonds forestier national. En ce qui concerne la technique des reboisements, on se reportera avec profit à l'excellent ouvrage de Jean Pourtet : Les repeuplements artificiels, édité par l'École nationale des Eaux et Forêts et vendu par la Librairie Agricole de la Maison Rustique, 26, rue Jacob, à Paris (6e). On peut trouver, dans la seconde partie de cet ouvrage, une nomenclature complète des principales essences de reboisement donnant pour chacune d'elles des renseignements précis sur ses exigences, sa culture et les résultats obtenus.

Outre le problème du choix de l'essence adaptée à la station à reboiser se pose le problème de la densité à donner à la plantation. Ici, les avis diffèrent en apparence. Il y a lieu, toutefois, de bien décider à l'avance de ce qu'on veut produire. Si on veut faire du bois de râperie, il n'y a pas lieu de planter serré et de produire des bois à accroissements fins. Si on veut faire des bois de mines, le problème est un peu différent, bien qu'il semble que, chez les pins, le douglas, le mélèze, la résistance mécanique décroisse peu quand les accroissements annuels sont larges. Par exemple, les résineux à croissance rapide destinés à faire des bois à fibres seront plantés à 2 mètres en tous sens (2.500 plants à l'hectare), ceux destinés à donner des bois de mines seront plantés à 1m,50 en tous sens (4.444 plants à l'hectare). Bien entendu, ces chiffres n'incriminent en aucune façon les habitudes qui existent dans certaines régions de France, où, pour produire de gros bois de qualité exceptionnelle, on plante à très forte densité des plants de races nobles : le problème est, là, tout différent.

La plantation des bois à fibres, à 2.500 plants à l'hectare, après des regarnis éventuels, produira de 6 à 15 mètres cubes par hectare et par an, suivant les sols. Dans les Vosges, par exemple, on trouve des peuplements d'épicéas de trente ans ayant un diamètre moyen à hauteur d'homme de 22 centimètres et pouvant donner, par coupe rase, 360 à 400 mètres cubes de râperie par hectare.

Les peuplements pour bois de mines, plantés à 4.444 plants par hectare, devraient bénéficier de soins complémentaires : enlèvement à vingt-cinq ans des sujets morts, dominés ou tarés, complété par un élagage artificiel sur 5 mètres de hauteur.

L'élagage artificiel a pour but de faire recouvrir les nœuds noirs par une couche de tissus cicatriciels fibreux qui renforcent la résistance mécanique des bois.

Nous avons vu par exemple, en Lorraine, des peuplements de pins noirs qui, malheureusement, n'avaient jamais été éclaircis ni élagués et qui, cependant, à l'âge de quarante ans, avaient un diamètre moyen à hauteur d'homme de 15 centimètres et pouvaient produire 240 mètres cubes par hectare, dont 200 mètres cubes de bois de mines.

Dans les Vosges encore, un peuplement de douglas de quarante ans avait un diamètre moyen à hauteur d'homme de 29cm,5 et pouvait produire, par coupe rase, 560 mètres cubes à l'hectare, dont 450 mètres cubes de bois de mines et de sciage.

Après abattage, on s'efforcera de façonner des bois répondant parfaitement au cahier des charges et on les maintiendra en excellent état de conservation : écorçage, bon isolement du sol, empilage des bois de mines en grilles bien aérées, livraisons aux utilisateurs dans les délais réglementaires. Comme toujours, défendre la qualité, c'est défendre le matériau bois contre ses concurrents.

LE FORESTIER.

Le Chasseur Français N°670 Décembre 1952 Page 741