Depuis ses débuts en mars 1951, l'épizootie actuelle de
fièvre aphteuse, qui sévit aussi en plusieurs pays de l'Europe centrale,
Angleterre et Suisse comprises, qui pensaient bien en être préservées par
l'application de mesures sanitaires draconiennes, a pris en France une gravité
et une extension tout à fait alarmantes.
Tant et si bien que les Pouvoirs publics, les Services
vétérinaires et ceux du ministère de l'Agriculture ont donné dans les milieux
ruraux l'impression d'avoir été surpris, débordés, imprévoyants et dépourvus de
l'unité de directives et d'action qui eût été indispensable pour circonscrire
le fléau dès son apparition, en jugulant les progrès de la contagion.
À ce sujet, une campagne de presse, conjuguée dans les
journaux agricoles et ceux d'information, défendant ou accusant les uns ou les
autres, souvent avec plus de véhémence que de bonnes raisons, a fini par semer
l'inquiétude dans toute la population. Et la fièvre aphteuse est devenue objet
de conversation et de préoccupation courante pour beaucoup de personnes,
surtout au point de vue des répercussions de l'épizootie sur le ravitaillement
général, lait et viande spécialement, dont les quantités et qualités sont en
voie de diminution, alors que les prix accusent au contraire une tendance marquée
à la hausse.
Ces conséquences, dont nous ne serons informés exactement
que plus tard, ont déjà été chiffrées approximativement, par des personnes
autorisées, à plus de cent milliards de francs, représentant les pertes subies
par l'ensemble de notre cheptel, alors que, jusqu'à plus ample informé, le
gouvernement ou les ministères intéressés n'ont annoncé que le déblocage d'un
milliard pour venir en aide aux propriétaires dont les animaux sont morts, ou
dont la maladie a été cause d'une déficience de rendement et de frais
supplémentaires pendant la durée du traitement.
De l'avis de nombreux vétérinaires dans les campagnes, ces
différentes sortes de pertes seront fort difficiles à estimer équitablement,
car, chez certains animaux, qui semblaient guéris en apparence, la maladie a
provoqué des séquelles, notamment des lésions cardiaques, rarement constatées
dans les épidémies précédentes, entraînant des abattages d'urgence ou des
ventes prématurées pour la boucherie.
Fort heureusement, en espérant qu'il ne soit pas trop tard
pour bien faire, on nous annonce la prochaine utilisation d'un nouveau vaccin
polyvalent, contenant toutes les souches de virus identifiées : il y en a
une demi-douzaine ! et possédant une grande puissance prophylactique,
vérifiée et confirmée par de récents travaux de laboratoire.
Et, dans une interview récente, M. Quillet, commissaire
général de la lutte contre la fièvre aphteuse, a déclaré que, dans l'ensemble
des départements, on note déjà une sensible régression de la maladie. Cependant,
a-t-il ajouté, à la faveur de mouvements importants de bétail et notamment des
retours de transhumance, une nouvelle poussée de fièvre aphteuse reste toujours
possible dans les semaines qui vont suivre. Malgré l'accroissement de la
production française de vaccin, celle-ci reste encore inférieure aux besoins,
bien que dépassant plus de deux cent mille doses par semaine, et il est
indispensable de continuer l'importation de vaccins étrangers à des tarifs fort
onéreux. Car, pour des qualités identiques, il s'agit du vaccin Vallée,
Schmidt, Waldmann, le premier en date, les prix sont fort différents. Le vaccin
français produit par l'Institut de la Fièvre aphteuse, à Lyon, coûte 9.800
francs le litre brut ; le vaccin allemand monovalent 12.500 francs, bivalent
18.250 francs, trivalent 23.750 francs ; le vaccin danois bivalent (O2-A5)
environ 15.000 francs. Depuis le 1er juillet dernier, les
interventions vaccinales comportent une baisse de 5 p. 100, qui certes a
été bien accueillie, mais ne diminue que fort peu les dépenses à engager. Aussi
il n'est pas trop surprenant que des « inventeurs » et autres « conseilleurs »,
bien intentionnés nous n'en doutons pas, mais pour la plupart peu renseignés
sur la nature exacte de la maladie, profitent de la circonstance pour
recommander les traitements les plus imprévus, c'est le moins qu'on puisse en
dire, et dont l'efficacité est à la mesure de leur économie.
En ces derniers temps, certains journaux d'information nous
ont offert la « méthode arabe » de M. Roux, maire de Mourmiaville
(Algérie), qui guérit la fièvre aphteuse en trois jours, et voici comment :
application de citron sur les aphtes, puis de miel ; purgation à l'aide
d'une tisane de chiendent, de lin ou d'orge ; bains répétés de sulfate de
cuivre pour les pattes et saupoudrage à la chaux des endroits où passent les
animaux. Et rien de plus, ni vaccination, ni isolement, ni mesures sanitaires ...
libre à chacun d'en essayer, S. G. D. G. (sans garantie de
guérison !).
Ensuite ce fut l'annonce de la « médication de choc »,
du Dr Jouane, de Paris, à l'aide d'un produit baptisé « Aphtolysine »,
capable de procurer la guérison dès le deuxième jour de traitement, mais dont
nous ne saurions dire plus, le placard de publicité qui nous est tombé sous les
yeux restant muet sur la nature du médicament et ses références. Nous en
pourrions citer d'autres, des meilleurs ou des pires, mais nous nous en
tiendrons à l'exemple suivant tout à fait démonstratif de l'imagination de
certains « inventeurs ».
Nous avons reçu directement au Chasseur Français,
d'un médecin homéopathe d'un département du Centre de la France, très éprouvé
par l'épizootie, une méthode de traitement dont il nous dit avoir obtenu des
guérisons remarquables et qu'il désire confier à la diffusion considérable de
la revue, « la question étant assez sérieuse pour que tout Français doive
s'y intéresser ».
Sur ce dernier point, nous sommes tout à fait d'accord, et
nous lui cédons volontiers la parole : « Il y a quelques années, nous
dit-il, j'ai eu occasion de soigner trois chattes qui, à l'exception des
symptômes des pattes, ont présenté tous les signes classiques (?) de la
fièvre aphteuse. En cinq jours, mes trois malades ont été guéries, par des
prises de bichromate de potasse, en solution homéopathique (0gr,05
dans un litre d'eau), distribuées, matin et soir, dans la boisson, sans autre
intervention médicamenteuse.
» Fort de cette expérience, j'ai soigné ici où
j'exerce, gratuitement, car il y a aussi un vétérinaire (?), une quinzaine
de vaches, dont deux très gravement atteintes. En trois jours — moins que
pour les chattes — guérison de treize bêtes et, trois jours après,
guérison des deux autres, qui pouvaient à peine marcher, avec la même
médication de bichromate de potasse, en solution à la dose d'un verre matin et
soir dans la boisson. »
Du fait de l'incognito absolu qui nous a été demandé et sans
vouloir désobliger personne, il nous sera bien permis de dire que c'est trop
beau pour que ce soit vrai ! Et nous espérons bien que notre correspondant
nous le pardonnera, puisque, selon son désir, nous permettons à ceux de nos
lecteurs qui le jugeraient à propos « d'utiliser ses conseils ».
Un traitement homéopathique pour des ruminants et sous cette
forme est déjà chose assez imprévue, mais, quand il est préconisé à la suite de
la guérison d'une fièvre aphteuse, jusqu'à ce jour inconnue chez les chats,
cela devient de la pure fantaisie, avec illusion et déformation
professionnelle.
Quels que soient les médicaments dont on puisse disposer, il
n'y a pas de traitement spécifique de la fièvre aphteuse et tous ceux se
réclamant d'une publicité plus ou moins tapageuse et mystérieuse ne sauraient
faire ni plus, ni mieux que des soins de propreté et d'hygiène surtout
alimentaire.
La vaccination, l'hémo-prévention, associées à des mesures
sanitaires qui ont fait leurs preuves, restent la base et l’essentiel des
interventions les plus recommandables, sans oublier, ce qui est trop souvent
négligé et contribue à la dissémination de la contagion, la déclaration
immédiate à la mairie du premier cas de la maladie constaté dans une étable ou
une exploitation agricole.
L'indiscipline de certains cultivateurs, se mettant
sciemment en contravention avec la loi, n'est pas seulement une faute, dont ils
seront du reste les premiers à supporter les conséquences, mais, en plus, une
mauvaise action, dont auront à souffrir leurs voisins d'abord et, plus ou moins
rapidement, tous les propriétaires d'animaux d'une même région.
J.-H. BERNARD.
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