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Automobile

Essai d'une voiture d'occasion

Mon ami Pierre est un mécanicien consciencieux et, de plus, connaît son métier de A à Z. j'ai entièrement confiance en lui et aujourd'hui je lui présente la voiture d'occasion que j'ai l'intention d'acquérir afin de lui faire subir un essai complet et une vérification sérieuse. Pierre est bavard. D'ailleurs, quand il n'a pas d'interlocuteur devant lui, il parle tout seul. En écoutant et en observant, je pourrai donc apprendre beaucoup de choses sur la mécanique automobile. Avec le moteur, dit-il, la plus grave maladie devant laquelle on peut se trouver, c'est la remontée d'huile. C'est toujours un signe de vieillesse ou de mauvais état général, qui risque d'entraîner, pour y remédier, de gros frais. Comment se décèlent les remontées d'huile ? Laissons tourner quelque temps le moteur au ralenti ou, mieux, procédons à notre vérification après une longue descente avec freinage au moteur, et démontons les bougies. Si celles-ci sont couvertes d'huile, c'est que le lubrifiant passe du cylindre à la chambre d'explosions par suite du mauvais état des cylindres ou des segments de pistons. Quelquefois, un ou deux cylindres seuls présentent des symptômes d'usure. Ce sont, sur un type de moteur donné, toujours les mêmes. Un moteur qui remonte l'huile fume fortement à l'accélération. Il brûle à ce moment une partie de son excédent d'huile ; cela se traduit par une consommation élevée de lubrifiant. Pierre me montre les bougies. Elles ont les électrodes propres, sèches, légèrement rousses. Il est rassuré. Je le vois approcher la paume de la main de la sortie du tube d'échappement, durant que le moteur tourne au ralenti ; après quelques minutes, il me montre sa main. « S'il y avait des remontées d'huile, me dit-il, elles seraient confirmées par de fines gouttelettes à l'échappement. » Bien sûr, un moteur qui remonte l'huile n'est pas un moteur perdu. Il faut alors prévoir un réalésage des cylindres ou un échange des chemises amovibles — si vous avez la chance que votre moteur en soit pourvu — accompagné d'un remplacement des pistons et segments. Et pour peu que la ligne d'arbre et les coussinets de bielles présentent un peu de jeu, c'est toute la réfection du moteur qui se dresse devant l'usager. Autant envisager l'échange standard. Le prix d'un échange standard varie de 45.000 francs environ pour la 2 CV Citroën et la 4 CV Renault, à près de 100.000 francs pour la Vedette et l'Aronde en passant par 70.000 francs pour la traction avant Citroën. Pierre me montre son marteau en souriant :

« Voici mon stéthoscope, dit-il, nous allons ausculter le moteur. » C'est en effet au ralenti qu'un moteur se découvre et laisse apparaître ses tares à des yeux avertis. On se trouve en présence de plusieurs sortes de bruits, qu'avec un peu de pratique on peut différencier. À savoir :

  1. la distribution (jeu dans la chaîne ou aux dentures des pignons) : bruit saccadé, sourd, avec une commande à pignons et plus métallique avec une chaîne ;
  2. le piston (jeu dans le cylindre), bruit régulier se manifestant à chaque changement de sens du piston, très caractéristique, sensible surtout avec le moteur froid ;
  3. l'axe de piston (jeu dans la bague du piston), claquement sec à chaque changement de sens de l'effort du piston ;
  4. l'embiellage (jeu des bielles sur les manetons du vilebrequin ou encore de ce dernier sur les portées), bruit sourd de galopade.

Pierre, en appliquant son oreille sur l'extrémité de son marteau, se rend compte de l'intensité respective de chacun de ses bruits. Après avoir promené son stéthoscope improvisé d'un bout à l'autre du moteur, Pierre conclut que tout est normal, si ce n'est un léger bruit d'axe des pistons des cylindres 1 et 4 ; bruits sans grande importance d'ailleurs, mais qui situe l'âge, du moteur autour de 30 à 35.000 kilomètres.

Voyons la batterie. Peu de voitures d'occasion sont vendues avec une batterie en état. Pierre, muni de son pèse-acide et de son voltmètre, est fixé, à peu près, sur l'état de cet important accessoire électrique. Comme je ne prendrais possession de ma voiture, en cas d'achat, qu'une huitaine de jours après le paiement du prix, Pierre m'invite à relever les numéros de la batterie et des cinq pneus. Il sait, le bougre, que ces articles, faciles à remplacer, changent parfois de destination en étant relayés par d'autres en mauvais état. Pour éviter toutes contestations futures, Pierre me conseille de faire un état des différents accessoires existant sur la voiture. Mais voici que la voiture est déjà sur le pont de graissage, et Pierre examine attentivement la coque, le châssis et tous les dessous. Pas de soudure, rien de faussé, tout est en ordre. Il dévisse déjà le bouchon de vidange du carter de boîte à vitesses en soutirant un demi-verre d'huile épaisse de graissage. L'huile est propre, verdâtre, et ne contient aucun corps étranger. Même vérification pour le pont arrière. Tout est bien. Décidément, mon expert fait bien les choses. En quelques secondes, la voiture est descendue du pont et mise sur cric. Il secoue les roues avant l'une après l'autre afin de se rendre compte si les pivots d'essieu n'ont pas de jeu, ainsi que les différentes connexions de la direction et la direction elle-même. Pierre sifflote gaiement. C'est que tout est pour le mieux. Il continue maintenant avec les roues arrière. Là, ce sont les roulements qui passent l'examen, ainsi que le jeu général de la transmission.

Le mécanicien cède la place à l'électricien. Mon ami vérifie la bonne charge de la dynamo. L'ampèremètre du bord entre franchement en mouvement dès que le moteur accélère. Les phares allumés, plein feu, la dynamo charge encore un peu sur les accus. Parfait !

Le démarreur attaque franchement, sans bruit de ferraille. Coup d'œil sur l'eau du radiateur : celle-ci est claire. Au moment où Pierre se penche sur les pneumatiques, je lui fais signe que cela me paraît inutile, ceux-ci étant dans leur neuf, si j'en juge par l'état des dessins. Mais le voilà qui s'approche vers moi. « Voyez ce cercle sur tout le flanc du pneumatique, me dit-il, c'est le joint du moule qui a servi à rechaper ces pneus ; d'ailleurs les dessins sont anciens et, à l'origine, c'était des « stop » qui équipaient cette voiture. » Le vendeur, présent, en convient de bonne grâce.

Reste la consécration de la route. Nous voici tous assis dans la voiture, Pierre au volant. On démarre lentement. En prise à 30 à l'heure, le conducteur accélère au maximum possible. Pas de ratés dans la reprise. Ainsi, côté allumage, tout est bon. C'est l'embrayage qui maintenant est à l'ordre du jour. Pierre se livre à une drôle de gymnastique sur les pédales. Il freine et accélère en même temps. En se tournant vers moi, il m'explique qu'au cours de cet essai l'embrayage ne doit pas patiner et que c'est le moteur qui doit capituler en calant. A peine remis en route, nous voici déjà à 70, 80, 90, 100. Pas de vibrations, si ce n'est une période trouble autour de 80. Rien d'anormal d'ailleurs à cela, à ce qu'il paraît. Un coup de frein brusque nous envoie la tête dans le pare-brise, bien que Pierre m'ait averti de la manœuvre. On s'arrête dans un style éblouissant, sur une ligne droite parfaite, en 60 mètres. Ah ! ces freins hydrauliques, quelle trouvaille ! Pourtant, en examinant les traces sur la route, Pierre remarque que la roue avant droite s'est bloquée un peu avant les autres. « Je réglerai cela », dit-il. Et nous voici filant vers l'épreuve dernière que doit subir cette voiture, que je considère déjà comme une amie future et devant laquelle je me sens pris de remords pour avoir douté d'elle. Mais la côte est abordée en prise. Pierre en connaît tous les pièges cachés derrière chaque virage et sait qu'à telle hauteur, à telle borne, la voiture doit tenir telle vitesse et finir au sommet à 90 kilomètres-heure.

J'ai l'œil rivé au compteur : 70, puis 65 ; mais la voici qu'elle repart bravement : 72, 75, 77, 79, 80 ; comme elle semble souffrir pour dépasser ce dernier cap. Pierre écrase l'accélérateur, remue la commande d'avance à l'allumage : le moteur cliquette lamentablement, 81, 82 effleurés avec peine. Je regarde Pierre. Il stoppe et attrape la manivelle, tâte les compressions du moteur. Il va rendre sa sentence ; le vendeur commence à s'impatienter, je le comprends, et moi-même me demande s'il ne faudra pas recommencer avec une ou plusieurs autres voitures un semblable manège. Mais bah ! puisqu'on nous dit que le client est roi. « Au cours de la montée dit Pierre gravement, il y a eu des trous dans l'arrivée d'essence. Il faudra vérifier de ce côté-là. Enfin, et surtout, les compressions sont bien égales, mais un peu faibles. Il serait bon de procéder à un rodage de soupapes si l'on veut que cette voiture atteigne le 90, vitesse normale au haut de cette côte-étalon. » Ouf ! ce n'est plus qu'une question de chiffre maintenant. Je me tourne vers mon vendeur : « Sur le prix convenu, êtes-vous d'accord pour réduire :

  1. le coût d'un rodage de soupape, soit 5.000 francs ;
  2. le coût de cinq pneus neufs, calculé à demi de leur prix de neuf, puisqu'il est normal que vous me livriez une voiture équipée de pneus à 50 p. 100 d'usure. »

D'accord ? Parfait, affaire conclue.

G. AVANDO,

Ingénieur E. T. P.

Le Chasseur Français N°670 Décembre 1952 Page 747