Les aliénations de propriétés bâties ou non bâties,
moyennant le payement d'une rente viagère, peuvent entraîner, suivant le cas,
une chance de gain et un risque de perte pour l'une ou l'autre des parties
contractantes.
À ce point de vue, elles sont régies par les dispositions de
droit commun du Code civil et aussi par des lois d'exception sur la révision
des rentes.
I. — Règles du Code civil.
En principe, la lésion n'est pas une cause de résolution des
contrats et les parties contractantes ne peuvent s'en prévaloir pour demander
la nullité des actes qu'elles ont passés. Ainsi que le dit l'article 1134 du
Code civil, les conventions légalement formées tiennent lieu de loi à ceux qui
les ont faites. Elles ne peuvent être révoquées que de leur consentement mutuel
ou pour les causes que la loi autorise.
Et, cependant, l'article 1118 du Code civil qui énonce ce
principe que la lésion n'est pas une cause de nullité des contrats laisse
aussitôt entrevoir des exceptions à cette règle. En effet, il dit que : « La
lésion ne vicie les conventions que dans certains contrats ou à l'égard de
certaines personnes. »
1° Rescision pour cause de lésion.
— L'une de ces exceptions fait l'objet des articles
1674 et suivants du Code civil, qui énumèrent les conditions auxquelles la
rescision pour cause de lésion peut être invoquée en matière de ventes
d'immeubles.
Ainsi, même en période de stabilité économique, la
législation s'est déjà préoccupée de limiter les fâcheuses conséquences que
pouvait entraîner la lésion dans les ventes d'immeubles.
Cette possibilité de demander la rescision de la vente pour
cause de lésion est reconnue au vendeur seulement.
Le législateur a voulu éviter que le vendeur, parfois
contraint par certains événements à aliéner un immeuble, ne l'abandonne à un
prix trop inférieur à sa valeur réelle.
Afin de ne pas entraver les transactions, il est exigé que
la lésion soit sérieuse pour pouvoir être de nature à provoquer l'action en
rescision : il faut que le vendeur ait été lésé de plus des sept douzièmes
dans le prix de l'immeuble, estimation faite suivant sa valeur et son état au
moment de la vente.
Mais cette possibilité est limitée dans le temps. Le vendeur
doit intenter son action dans un certain délai : la demande n'est plus
recevable après l'expiration de deux années à compter de la vente.
2° Caractère aléatoire de ces ventes.
— Les ventes d'immeubles à rente viagère ont un
caractère aléatoire plus ou moins accusé suivant les cas d'espèce.
La question s'est posée, à diverses reprises, de savoir si,
en raison de ce caractère aléatoire, le vendeur peut être admis à intenter
l'action en rescision pour cause de lésion.
Certains tribunaux se sont prononcés pour la négative, tels,
par exemple, ceux d'Amiens, de Bastia.
Ils ont fait valoir que la lésion devient, dans ce cas,
impossible, puisque toute l'opération de vente repose sur une chance de gain ou
de perte que les deux parties ont consenti à courir.
La Cour de Cassation estime, au contraire, que le caractère
aléatoire de ces ventes à rente viagère ne doit pas entraîner automatiquement
le refus de l'action en rescision au vendeur.
Dans deux décisions notamment, elle s'exprime ainsi :
« Il ne suffit pas qu'une vente soutienne un élément
aléatoire pour se trouver à l'abri de l'action en rescision. Celle-ci reste
possible à la condition qu'il soit relevé, par le juge du fond, l'existence de
conditions spéciales qui assortissent le contrat et suppriment l'aléa. »
(Arrêt du 22 février 1950.)
« Pour être à l'abri de l'action en rescision, il ne
suffit pas qu'une vente ait l'apparence aléatoire ou contienne un élément
aléatoire ; dans ce cas, la rescision est possible lorsque des
circonstances spéciales donnent aux juges le moyen de déterminer la valeur des
obligations soumises à l'aléa. » (Arrêt du 28 février 1951.)
II. — Révision des rentes viagères.
En vue de tenir compte de la dépréciation du franc, diverses
lois sont intervenues pour autoriser la révision des rentes viagères en
différents domaines. Il ne sera question ici que de la révision des rentes
viagères constituées moyennant l'abandon d'un immeuble.
1° Champ d'application de cette mesure.
— La loi du 25 mars 1949 avait institué la
révision des rentes viagères constituées avant le 1er janvier
1946. La loi nouvelle du 22 juillet 1952 autorise la révision des rentes
constituées avant le 1er janvier 1949.
Ces lois visent les rentes viagères :
a. Ayant pour objet le payement de sommes fixes en numéraire ;
b. Par des personnes physiques ou morales ;
c. Moyennant l'aliénation en pleine propriété ou en
nue propriété d'immeubles bâtis ou non bâtis ;
d. En vertu d'un contrat à titre onéreux ou à titre
gratuit, soit comme charge d'un legs d'un immeuble.
2° Majoration des rentes viagères.
— Cette révision des rentes viagères consiste en une
majoration desdites rentes.
Elle a lieu de plein droit et vaut à partir de la
promulgation de la loi.
a. La loi du 25 mars 1949 stipulait que le
montant de la majoration était égal à :
300 p. 100 de la rente originaire pour celles ayant
pris naissance avant le 1er septembre 1940 ;
200 p. 100 pour celles ayant pris naissance entre le 1erseptembre
1940 et le 1er septembre 1944 ;
100 p. 100 pour celles ayant pris naissance entre le 1er septembre
1944 et le 1er septembre 1946.
b. La loi du 22 juillet 1952 prévoit que le montant
de la majoration est égal à :
750 p. 100 de la rente originaire pour celles qui ont
pris naissance avant le 1er septembre 1940 ;
500 p. 100 pour celles qui ont pris naissance entre le
1er septembre 1940 et le 1er septembre 1944 ;
250 p. 100 pour celles qui ont pris naissance entre le
1er septembre 1944 et le 1er janvier 1946 ; er janvier 1946 et le 1er janvier 1949.
3° Remises de majorations.
— Le débiteur de la rente peut cependant demander une
remise totale ou partielle de la rente à sa charge s'il prouve que l'immeuble
reçu à charge de service de la rente n'a pas acquis entre ses mains, par
comparaison avec la valeur de ce bien, lors de la constitution de la rente ou
lors du décès du testateur, un coefficient de plus-value résultant des
circonstances économiques nouvelles au moins égal au coefficient de majoration
de la rente. Le taux de la majoration de la rente devra être égal à celui de la
plus-value.
À défaut d'accord entre les parties contractantes, cette
remise totale ou partielle de la majoration de la rente peut être accordée par
décision de justice.
Si l'immeuble dont il s'agit a été aliéné, chacun des
débirentiers successifs doit supporter une quote-part de la majoration,
proportionnellement à la plus-value acquise entre ses mains par l'immeuble et
dont il a tiré profit.
Si le débirentier est décédé, ses héritiers et représentants
sont tenus, divisément, sauf stipulation contraire, des mêmes obligations qu'il
aurait eues à sa charge s'il avait été vivant.
4° Restrictions.
— Les rentes viagères qui ont pris naissance avant le 1er janvier
1949 et qui ont pour objet le payement de sommes d'argent variables suivant une
échelle mobile ne peuvent, en aucun cas, dépasser en capital la valeur, au
moment de l'échéance, de l'immeuble créé en contrepartie.
D'autre part, les majorations dont il s'agit ne s'appliquent
pas aux rentes viagères consenties en contrepartie de l'abandon d'une
exploitation agricole et dont le montant est fixé en fonction de la valeur
annuelle du produit du fonds.
5° Extension aux ventes d'usufruit.
— À compter du 1er janvier 1951 sont
majorées de plein droit, et selon les taux indiqués ci-dessus, les rentes
viagères ayant pour objet le payement de sommes fixes en numéraire et
constituées avant le 1er janvier 1949 (la loi du 24 mai
1951 disait : « avant le 1er janvier 1946 »)
moyennant l'abandon ou la privation d'un droit d'usufruit sur un immeuble par
voie de cession, renonciation, convention ou de toute autre manière.
Le débiteur de la rente peut obtenir une remise totale ou
partielle des majorations de rente suivant les mêmes règles que celles
ci-dessus.
Par contre, le crédirentier peut obtenir une majoration
supérieure à celle précitée s'il prouve que le coefficient de ces augmentations
de revenus de l'immeuble dépasse celui des majorations fixées ci-dessus. La
demande doit être introduite dans le délai d'un an à compter de la promulgation
de la présente loi, c'est-à-dire avant le 22 juillet 1953, et ne peut être
renouvelée. La majoration ne peut dépasser 75 p. 100 de l'augmentation des
revenus de l'immeuble.
L. CROUZATIER.
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