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Le Ferlo

À une centaine de kilomètres à l'est des côtes de l'océan Atlantique, entre les fleuves Sénégal et Gambie, débute une région qui s'étend à l'est jusqu'à la Falemé : c'est le Ferlo, d'une superficie de 40.000 kilomètres carrés.

Longtemps considéré comme un désert — des cartes assez récentes en font foi, — il est aujourd'hui bien connu.

Vers 1817, Mollien, un rescapé du naufrage de la Méduse, y pénétra ; beaucoup plus tard, Monteil le traversa en partie, puis le capitaine Vallier en 1904-1905 ; ensuite l'ingénieur Claveau l'explora et le prospecta à diverses reprises : 1906, 1910, 1911 et surtout 1912-1913.

Plus récemment, les moyens mécaniques, autos, jeeps, ont permis de le mieux connaître.

L'ensemble des documents recueillis sur le Ferlo permet de supposer qu'à une période géologique révolue cette région ou bien était traversée par de très grands cours d'eau (Sénégal, rivières diverses, Sine et Gambie), ou bien formait le vaste delta d'un fleuve immense qui déversait vers l'Océan les formidables précipitations du Fouta-Djallon de l'époque, de ce Fouta où il tombe aujourd'hui une moyenne de 1m,50 de pluies échelonnées sur quatre mois de l'année.

La grande période pluviaire terminée, un lent travail de sédimentation s'est accompli : dépôts limoneux, apports éoliens y contribuèrent.

Aujourd'hui, de ces grands déversoirs, il reste un squelette : le fleuve Sénégal, le Sine-Saloum et la Gambie.

Les vallées qui sillonnent le Ferlo sont les vestiges de cours d'eau disparus.

Il en existe deux dont l'importance est de valeur :

a. La vallée du Ferlo, qui prend naissance au sud-ouest de Bakel pour aboutir au lac de Guiers ; parcours de 400 kilomètres environ.

b. La vallée du Lougol, plus au sud, qui s'amorce à la mare de Tchalambol, dans le cercle de Bakel, et qui rejoint le Sine-Saloum ; parcours de 350 kilomètres environ.

Ces deux vallées changent de nom suivant les lieux qu'elles traversent ; elles communiquent entre elles par un lacis de dépressions qui se transforment en véritables marigots durant la saison des pluies.

Le Ferlo ne présente ni colline ni montagne, c'est une succession de dunes fixées. Son aspect est assez monotone ; sa végétation est du type savane avec ça et là de petits massifs forestiers dont l'importance s'accroît au fur et à mesure qu'on descend vers le sud. Les principales essences à retenir sont : les acacias divers, producteurs de gomme, de matières tannantes et tinctoriales. Acacia albida ou cadé, dont les feuilles vertes sont la providence du bétail en saison sèche.

Les kapokiers avec leurs fibres cotonneuses : Bombax anfractuosum, Bombax buonopozense.

Ça et là des baobabs.

Puis les caïlcédrats (Khaya senegalensis) ou acajou du Sénégal, trop isolés pour une exploitation sérieuse.

Le Parkia biglobossa ou nété, aux gousses farineuses, sucrées, comestibles.

Le ven Pterocarpus erinaceus au bois superbe ; enfin de rares Afzelias africana (bois très dur).

Un peu partout des rôniers (Borassus ftabelliformis), palmiers à tout faire.

En hivernage (nom donné à la saison des pluies de juillet à octobre), le Ferlo a un aspect verdoyant : végétation serrée, hautes herbes, mares nombreuses.

En saison sèche, aspect désolé, sécheresse totale ; seules les vallées indiquent par leurs lignes foncées une végétation puissante grâce à la présence d'une humidité dont l'origine semble provenir d'une nappe phréatique.

Le Ferlo est un pays de chasse ; la faune est très largement représentée par du gros et du petit gibier : antilopes diverses, notamment le koba des Peulhs ou antilope cheval (Hippotragus Equinus) ; les gazelles, surtout dans le Nord, des girafes, des phacochères, etc., tout gibier qui attire le lion. Pintades, perdrix, lièvres sont nombreux. Un certain marigot porte le nom de marigot des éléphants. Nioua est le nom peulh de l'éléphant.

Ces mastodontes viennent de la Haute Gambie ; si leur rencontre accidentelle est rare, leurs traces sont nombreuses.

Au cours de la saison des pluies, les pattes de ces lourdes bêtes s'enfoncent dans les terrains argileux, laissant de profondes empreintes que la végétation herbacée recouvre ensuite, formant ainsi de dangereux casse-cou pour bêtes et gens. Nous en avons fait l'expérience dans la chute mémorable de notre monture suivie automatiquement de la nôtre.

Le Ferlo est habité sur sa périphérie par des Toucouleurs au nord ; des Ouoloffs à l'ouest ; des Sérères et des Malinkés au sud et à l'est ; le centre — véritable Ferlo — est parcouru par les Peulhs ou Foulahs, essentiellement pasteurs.

L'unique richesse de ces derniers est le bétail comprenant quelques ovins et caprins, mais en très grande majorité des bovidés.

Le troupeau bovin est formé principalement de zébus (Bos indicus) animaux de très grande taille, à bosse, aux cornes en lyre, puis de n'damas (Bos taurus), plus petits que les précédents, et de diokkors, résultant du croisement des zébus mâles et des n'damas femelles. Les diokkors sont féconds, ils se reproduisent entre eux.

En hivernage, le bétail est répandu dans tout le Ferlo ; des coutumes sont établies pour le partage des pâturages entre les diverses tribus intéressées ; les chicanes sont inconnues, car les herbages sont abondants, et l'eau ne fait pas défaut, au contraire ; la vie est facile.

Quand les mares où s'abreuve le bétail commencent à se dessécher, les pasteurs recherchent les points où ils pourront creuser des céanes, sorte de puits peu profonds alimentés par les eaux en suspension dans les couches sablonneuses.

Les campements qui étaient installés près des mares sont abandonnés et remplacés par d'autres établis à proximité des céanes.

Celles-ci s'assèchent à leur tour et c'est alors que le Ferlo se vide : un grand mouvement de transhumance s'établit, non par insuffisance de pâturage, mais faute d'eau.

Une partie du bétail remonte vers le nord jusqu'aux bords du lac de Guiers et du fleuve Sénégal ; parfois elle traverse celui-ci plus à l'est, pour profiter, si on peut dire, des maigres pâturages du Sud de la Mauritanie.

Un autre contingent descend vers le sud, c'est le moins mal partagé.

Enfin, un troisième groupe se dirige vers l'ouest, traverse la voie ferrée du Dakar-Saint-Louis pour se répandre dans les niayes, sortes d'oasis naturelles en bordure de l'Océan où la mouche tsé-tsé se rencontre parfois.

Trop souvent, la période de transhumance se solde par des pertes sérieuses surtout pour le bétail dirigé vers le nord et vers l'ouest. Dans ces régions, les pâturages sont assez maigres ; les pasteurs s'attaquent aux arbres, les dénudent, les abattent pour que leurs animaux puissent subsister.

C'est le déboisement dans toute sa hideur et, malgré cette destruction, que survienne une épizootie, c'est alors l'hécatombe.

C'est à l'insuffisance des pluies dans le Nord, à l'absence de rivières et de points d'eau superficiels que la transhumance est rendue inévitable ; un dilemme est posé : d'un côté, pâturages sans eau, la soif ; de l'autre, de l'eau, mais nourriture insuffisante : la faim.

Prolonger la durée des abreuvoirs naturels et la vie des mares, les rendre permanents en amenant dans les grandes vallées la quantité d'eau voulue, rendrait la vie à cette immense région et la transformerait en un véritable grenier à la fois par l'élevage et par la culture.

Il faut tenir compte ici que les Peulhs sont arrivés au bout de leur course millénaire, ils ont traversé toute l'Afrique de l'est à l'ouest ; l'Océan est devant eux; quand ils en ont la possibilité, ils se fixent ; l'exemple des Foulahs du Fouta-Djallon le prouve.

Tout en demeurant pasteurs et éleveurs, ils sont devenus cultivateurs dans cette riche région du Fouta où pâturages et eau ne manquaient pas.

Dans son parcours de 1.700 kilomètres, le fleuve Sénégal reçoit en saison des pluies, outre l'apport de ses affluents réguliers, le trop plein de nombreux marigots ; tout ce flot passe à Saint-Louis et se jette dans l'Atlantique à quelques kilomètres en aval de la vieille capitale du Sénégal.

On a calculé qu'en période de grande crue cette masse d'eau douce plus ou moins limoneuse était de l'ordre de vingt milliards de mètres cubes.

Quelle richesse perdue pour ce pays qui meurt de soif six mois de l'année, pour ce pays menacé par l'envahissement lent du régime semi-désertique !

Est-ce une utopie d'imaginer la création de barrages permettant la retenue de l'eau et sa distribution où elle fait défaut ?

Sans vouloir établir de comparaison, que serait le Nil sans les barrages qui l'assagissent, le régularisent et le rendent utilisable pour des fins humaines ?

Un projet avait été présenté voici trente ans (rapports Claveau 1918-1922) ; de trop grande envergure pour l'époque sans doute, il demeura dans les cartons.

L'auteur envisageait l'établissement de deux barrages sur le Sénégal, permettant en priorité l'alimentation des deux grandes vallées déjà nommées.

a. Barrage dans le cercle de Matam pour la vallée du Ferlo.

b. Barrage non loin du confluent du Sénégal et de la Falémé pour la vallée du Lougol.

Ces deux artères transformées en véritables canalisations rendraient la vie à une superficie de un million d'hectares qui ne demande qu'à être mise en valeur.

Elles faciliteraient le reboisement par régénération naturelle avec ses conséquences heureuses pour le climat régional.

L'ère des grands travaux est ouverte ; certain pays de l'Est de l'Europe semble donner l'exemple. Pour sa part, la France n'est pas en retard et les pays d'outre-mer ne doivent pas demeurer en arrière.

Pensons moins aux voyages intersidéraux : notre planète est loin de produire la quantité nécessaire de denrées réclamées pour la subsistance d'une humanité qui s'accroît sans cesse, bien que souvent sous-alimentée, sinon décimée par la famine.

MENGARDE.

Le Chasseur Français N°670 Décembre 1952 Page 753