Les sensationnelles présentations aériennes de Farnborough
marqueront-elles la consécration totale, ou, au contraire, le déclin de l'aile
en forme de triangle, autrement dit de l'aile « delta » ?
Il est très difficile de répondre affirmativement à l'une ou
à l'autre des deux hypothèses.
Il y a un an (1), les premiers vols, extraordinairement
spectaculaires, des avions soniques à réaction anglais permettaient d'entrevoir
le plus bel avenir pour cette formule. Ils avaient tous l'aile « delta ».
Il en fut de même, à peu d'exceptions près, cette année encore à Farnborough.
Et cependant, aujourd'hui, certains techniciens de valeur se
refusent à admettre que l'aile à configuration triangulaire soit l'aile idéale
pour les avions supersoniques de demain.
Pour être exact, disons que les ingénieurs anglais lui
restent fidèles. Ce furent d'ailleurs eux qui en lancèrent l'idée en Europe,
tandis que des travaux identiques se poursuivaient parallèlement chez un
constructeur d'outre-Atlantique.
Succès chez les Anglais ; réserves chez les Français et
les Australiens ; reprise des recherches chez les Allemands ... qui
connaissaient bien ce domaine, et déboires, semble-t-il, chez les Américains.
C'est ainsi que l'on peut faire le point sur l'évolution de
la formule « aile delta ».
Inconvénients de l'aile « delta ».
— Que reprochent donc à l'aile « delta »
ses adversaires les plus farouches ? Principalement, son comportement
défectueux à des vitesses subsoniques, notamment lors de l'atterrissage. L'aile
« delta » exige que l'on dispose toujours d'une grande puissance
motrice pour conserver un angle d'approche convenable, au moment de
l'atterrissage quand la vitesse diminue. En résumé, les qualités sustentatrices
de l'aile « delta » seraient médiocres aux faibles vitesses.
D'autre part, l'on reproche à l'aile « delta » son
manque d'aptitude à réaliser certaines figures acrobatiques et son impuissance
totale à sortir d'une vrille, provoquée ou non.
Ces derniers reproches ne sont d'ailleurs vraiment
inquiétants que dans le domaine des avions militaires.
Et, cependant, les techniciens qui assistèrent aux
démonstrations de Farnborough, principalement à celle du bombardier géant à « aile
delta » Avro 698 (20 tonnes de poussée, quatre réacteurs), comme à
celle de l'intercepteur Avro 707 A, ne manqueront pas d'être
stupéfiés par l'extraordinaire maniabilité de ces appareils.
— Ne vous tourmentez donc pas avec les pourquoi et
les comment nés de considérations purement théoriques, répond l'ingénieur
anglais M. Dawis à ceux qui doutent de ses réalisations. Nous avons
construit l'avion. Le voici. Il marche.
Par contre, l'accident survenu au De Havilland 110, qui,
après avoir atteint une vitesse supersonique, réduisait pour évoluer à une
vitesse subsonique, fournit des arguments aux adversaires de l'aile à
configuration triangulaire.
L'aile à flèche variable.
— Se refusant donc à admettre l'aile « delta »
comme la formule classique et définitive pour la voilure des avions
supersoniques, des ingénieurs américains viennent de mettre au point l'aile à
flèche variable en vol.
Il s'agit de l'aile de l'avion Bell 5 dont nous
entretenions nos lecteurs, alors qu'il faisait des essais en Californie.
Si cet appareil n'est plus sur la liste secrète américaine,
les détails de sa réalisation sont jalousement gardés.
La voilure de l'appareil se compose de deux demi-ailes
symétriques articulées sur un axe vertical, ce dernier pouvant lui-même se
déplacer — sur une certaine course — dans le sens de la longueur du
fuselage.
Deux « fentes » sont aménagées dans les parois
longitudinales du fuselage ; les ailes peuvent venir s'y replier en partie
et former des angles de flèche de 70° à 25°. Au décollage, à l'atterrissage,
l'on accroît les qualités sustentatrices de l'appareil en augmentant l'angle de
flèche. En vol supersonique, l'angle de flèche est ramené à l'angle de flèche
le plus aigu. L'on conserve le centrage de l'appareil par le déplacement
longitudinal de l'axe de l'articulation. Les deux demi-ailes de l'appareil sont
entièrement métalliques, de construction classique, mais d'un profil « laminaire »
excessivement mince (lame de couteau). Les courbes de ce profil ont été
dessinées de façon que l'aile ait toujours de bonnes qualités aérodynamiques,
quelle que soit la flèche.
Un ingénieur anglais a, d'autre part, présenté un projet
d'aile « delta » articulée en trois pièces. Ce « delta »
peut se déplier en vol pour l'atterrissage et se « replier » pour les
vitesses supersoniques.
Ce n'est qu'un projet, très séduisant, mais qui se heurtera
sans doute à des problèmes techniques de fabrication très ardue.
L'aile en « queue d'hirondelle ».
— Un des meilleurs techniciens de l'industrie
aéronautique australienne est, quant à lui, parfaitement convaincu qu'avant
trois ou quatre ans l'on verra une nouvelle tendance à éviter les fortes
flèches et un retour aux ailes très minces avec faible flèche ou même sans
flèche du tout.
En ce qui concerne les recherches et la conception française
concernant l'aile « delta », une récente conférence de la commission
de l'Aérodynamique de l'A. F. T. T. A. a permis de faire le
point à ce sujet.
Sans sous-estimer les immenses possibilités offertes par
l'aile « delta » et, principalement, les avantages qu'offre sa
structure très simple, en ce qui concerne sa fabrication et sa fixation sur les
cellules, il semble que la technique française s'oriente vers l’aile en « queue
d'hirondelle ».
Aile en flèche, certes, mais moins géométriquement
triangulée que l'aile « delta ». D'autre part, il semble essentiel
aux techniciens français de conserver l'empennage arrière.
L'avion à aile en queue d'hirondelle ne sera donc pas un
avion sans queue comme certains avions anglais actuels.
Soulignons que le dernier-né de la Gloster-Aircraft :
le G. A. 5, dont nous donnons la vue en vol, possède une aile delta
et des empennages arrière vertical et horizontal assez important.
Aucun constructeur français n'a encore officiellement
désigné dans le terme « queue d'hirondelle » la voilure d'un de ses
appareils.
La S. N. C. A. S. O. met
actuellement au point, très secrètement, un avion à la vitesse supersonique ...
« Le Vautour ».
Sera-ce cet appareil français qui, le premier, nous
rappellera la silhouette gracieuse de la gentille hirondelle ?
Cela semble un peu paradoxal, mais certains renseignements
sérieux me permettent de l'affirmer.
Maurice DESSAGNE.
(1) Chasseur Français de janvier 1952.
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