Le bernard-l'ermite a souvent pour compagnon dans son
ermitage, qui, alors, n'en est plus un, une anémone. Cela, nous l'avons
vu (1). Mais le crustacé qui protège si jalousement ses derrières dans une
coquille vide a toujours de plus menus compagnons, rigoureusement toujours ;
avec le poisson-lune, c'est le plus parfait des animaux pour étudier les
parasites. Il en accueille dans sa maison toute une bande, et même des
parasites de parasites.
Regardez cette coquille de murex ; vous ne la voyez
plus coquille, enrobée qu'elle est dans une sorte de boule jaune, orangée, ou
même couleur de minium. Il s'agit d'un parasite qui, ainsi que l'anémone,
habite à l'extérieur de la maison. Mais, cette fois, il s'agit d'un spongiaire :
un spongiaire fibreux, au grain très fin, du genre subérite Suberitas domuncula.
Parmi les bernards pris dans les nasses par une dizaine de
mètres de fond, on a grandes chances de découvrir un tel exemplaire. Il en est
de gros comme les deux poings et d'orangés aussi vifs qu'une orange.
Quelle singulière éponge ! Et que signifie le tunnel
dont elle est percée ? Est-ce une « oscule » plus grande que les
autres, un de ces trous par lesquels les spongiaires rejettent l'eau inhalée
par leurs pores ?
Si nous ouvrons cette boule, nous y découvrirons un noyau
une petite coquille, et, comme un ver dans sa galerie, un gros
bernard-l'ermite.
Jadis, un embryon s'est fixé sur cette coquille ; puis il
a développé une éponge qui a bientôt enrobé son support ; le pagure y a
maintenu sa porte ouverte ; il n'a pas eu besoin de chercher une autre
roulotte, puisque celle-ci grandissait avec lui ; il n'a fait qu'y
pratiquer un tunnel par ses continuels va-et-vient. Dès lors, il s'habita plus
la coquille, mais un couloir spiralé dans l'éponge elle-même : domuncula,
petite maison, dit le nom de l'espèce.
Et, parfois même, la coquille ne subsiste plus qu'à l'état
de débris : elle a été digérée par l'épaisse masse charnue à consistance
de liège.
Lorsque les professionnels marseillais de la pèche aux
appâts trouvent dans leurs « piadiers » une de ces éponges, ils la
rejettent à la mer. Elle porte, en effet, une odeur forte et particulière qui
évoque à la fois l'ail et le phosphore, imprègne le pagure lui-même au point
que, dit-on, les poissons ne mordent pas à cette amorce.
Quelle est la nature des relations entre les deux organismes ?
Elles semblent, comme entre pagures et anémones, à base de services mutuels. Le
pagure possède une maison toujours à sa taille et bénéficie d'une totale
protection, aucun de ses ennemis habituels, raies ou dorades, qui croquent les
coquilles avec facilité, ne songeant à gober des éponges, et qui sentent
mauvais par surcroît. De son côté, le subérite tire sans doute profit de n'être
point immobile : il recueille au cours des pérégrinations de son hôte bien
davantage de microscopiques gibiers qu'il ne pourrait en attendre s'il
demeurait immobile.
Très souvent, on trouve aussi des pagures qui portent de tout
autres parasites, mais également du plus vif coloris : un brillant tapis
jaune ou rose recouvre, comme une épaisse couche de peinture toute fraîche, une
partie de la coquille. Ces plaques aux belles couleurs sont des colonies
d'hydraires. Si on les regardait sous un fort grossissement, on découvrirait le
merveilleux spectacle de forêts cristallines où les arbres sont des animaux de
formes variées.
Les hydraires sont disposés en particulier autour de
l'ouverture. La surface sur laquelle ils végètent dépasse même, le plus
souvent, les bords de celle-ci. Dans certains cas extrêmes, la retraite du
pagure finit par être formée de cette seule membrane qui s'est calcifiée.
Là encore, il pourrait y avoir échange de services, le venin
urticant des hydraires, les reliefs des repas du pagure et les avantages
d'incessantes promenades jouant leurs rôles dans cette union. Mais ce que les
biologistes appellent le « mutualisme » paraît ici bien improbable,
car les mêmes hydraires prospèrent de même façon sur les rochers.
Enfin, sur certaines coquilles habitées par des bernards,
mais beaucoup plus rarement, du moins sur nos côtes, on .voit parfois des
balanes, ces mêmes crustacés fixés que l'on trouve si fréquemment sur les
valves des moules.
Voilà pour les parasites extérieurs.
En voici maintenant qui vivent dans la roulotte elle-même.
Le plus fréquent, le plus intéressant, le mieux étudié,
c'est un ver annélide, Nereilepas fucata, qui habite les derniers tours
des coquilles. Singulière demeure où ses ennemis n'iront certes pas le chercher !
Mais la porte n'en est-elle pas trop bien close par le corps de son hôte ?
Et son hôte lui-même, avec son appétit dévorant, avec ses pinces, n'est-il pas
le pire ennemi ? Les observations de Coupin, voici une soixantaine
d'années, ont permis de répondre négativement à ces questions.
Ce ver peut atteindre 5 centimètres. Brun avec des bandes
longitudinales blanches de chaque côté du dos rouge vif, ses palpes et ses
pieds blancs, il mérite bien son qualificatif de fucata, déguisé. Jeune,
il vit en liberté ; puis, un jour, il pénètre dans une coquille. Comment
le bernard lui ouvre-t-il la porte ? Pourquoi ne le dévore-t-il pas comme
les autres vers ? Pourquoi laisse-t-il entrer un voleur qui le grugera ?
Mystère.
On croyait jadis que le ver, blotti dans le fond de la
coquille, se nourrissait des excréments du pagure. Mais Coupin l'a vu se
montrer dès que son hôte commençait à manger quelque proie. Le parasite à la
timide existence, lui qui ne sort jamais de sa retraite, se pousse alors avec
résolution entre les pattes du bernard, cherche de sa tête balancée, rencontre
la nourriture, parfois dans la bouche même du crustacé, la pince entre ses deux
puissantes mandibules et la tire en arrière de toutes ses forces pour
l'emporter dans son antre. Ou bien le pagure cède, ou bien la proie se déchire,
mais jamais le ver ne lâche prise. Et jamais le pagure ne chasse le ver, ne
cherche à le dévorer, proie pourtant facile entre ses pinces.
Pour mieux prouver que le Nereilepas ne se nourrit
vraiment pas de déjections, Coupin a fait jeûner un pagure. Puis il lui a donné
des mollusques imprégnés de carmin, tout en repoussant avec un bâtonnet le ver
qui, affamé lui aussi, voulait sa part du festin. Quelques jours plus tard, il
a cassé la coquille : les déjections du pagure contenaient du carmin ;
mais le ver, disséqué, n'en révéla pas trace.
Nous nous trouvons donc en présence d'un cas de « commensalisme » :
il n'y a pas un animal vivant de la substance d'un autre, mais deux animaux
mangeant à la même table. De plus, comme il y a spécification rigoureuse dans
l'association, comme le Nereilepas ne vit jamais seul, on doit voir là un
exemple typique de cette sorte d'association.
On trouve sur celui-ci des « parasites vrais »,
c'est-à-dire qui tirent leur substance de leur hôte : le Peltogaster et le
Chlorogaster, crustacés cirripèdes qui se fixent, jeunes, sur le corselet et
s'épanouissent ensuite à l'intérieur des chairs.
On trouve aussi dans cette faune un « hyperparasite »,
c'est-à-dire un parasite de parasite : un crustacé isopode, un épicaride,
qui, à l'état larvaire, suce la substance du Peltogaster.
Ce n'est pas tout ... Mais nous en resterons là :
on pourrait écrire tout un traité de « parasitologie » sur le seul
cas du bernard-l'ermite,
Pierre DE LATIL.
(1) Voir Le Chasseur Français d'octobre et novembre 1952
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