Les événements actuels ont mis la Chine au premier plan de
l'actualité. Or, si le vieux principe selon lequel « le Français est un
monsieur qui ne connaît pas la géographie » est faux, il n'en demeure pas
moins que pour beaucoup de gens la Chine est un lointain pays d'Asie, située au
sud de la Sibérie et habitée par des jaunes aux yeux bridés.
La Chine est cependant tout autre chose et, si longtemps on
a prétendu à tort qu'elle représentait la plus vieille des civilisations, il
n'en demeure pas moins que depuis les plus lointaines origines elle est restée
la plaque tournante de toute l'Asie.
Les fouilles des archéologues ont démontré que les Chinois
modernes n'étaient aucunement les descendants des habitants primitifs du pays.
La Chine de l'aurore des temps préhistoriques était surtout
peuplée sur les rives riches du fleuve Jaune aux terres propices à
l'agriculture. On ignore tout de l'origine de ce peuplement initial, sauf à
reprendre les grandes théories — plus supposées que prouvées — sur
l'origine des peuples.
Quoi qu'il en soit, il y a quelque cinq mille ans, ces
paisibles agriculteurs se virent brusquement envahis par des hordes nomades et
belliqueuses venant du Sud sibérien. Comme ces envahisseurs avaient des traits
et mœurs communs, on en avait fait une nation, celle du Touran. Mais on est
revenu de cette opinion hâtive pour parler simplement de hordes de Touraniens.
Le fait est analogue à celui des Touareg, qui habitent le Sahara sans
constituer une nation.
Ces envahisseurs étaient aussi féroces que cruels ; ils
avaient une civilisation plus avancée que celle des Chinois ; ils
connaissaient les armes de fer, tandis que ces derniers en étaient encore à
l'âge de pierre. Ces peuplades primitives ne purent que fuir devant les
assaillants et c'est de la sorte qu'ils s'en furent à leur tour peupler le Yu-Nan
et le Viet-Nam, ou Indo-Chine, dont les actuels habitants sont les vrais
descendants.
Les Touraniens occupèrent donc les rives du fleuve Jaune et
s'y fixèrent définitivement.
Comme ils connaissaient une céramique décorée et très
caractéristique, il a été facile aux spécialistes de relever dans leurs
fouilles les trajets qu'ils ont suivis, et l'on est arrivé à prouver
qu'eux-mêmes avaient subi l'influence de la Mésopotamie archasiatique à travers
le Caucase, en particulier grâce au site fameux d'Anau.
Comme chez tous les nomades fixés, le progrès fit rapidement
concevoir une organisation sociale et politique ; celle-ci évolua vers des
groupements de provinces et principautés inféodées à la plus puissante. Et l'on
aboutit ainsi à une féodalité absolue sous l'égide d'un empereur Yao vers 2250.
Avant cette date, on sait fort peu de choses et, comme
toujours en pareil cas, on attribue à des sortes de demi-dieux ou héros
certains bienfaits de la civilisation. Ici l'un aurait inventé le tour lent à
poterie, l'autre la roue, un troisième l'araire, ou charrue élémentaire.
C'est à l'époque de Yao que l'on doit les plus anciennes
poteries connues de l'Extrême-Orient, qui constituent les pièces les plus rares
des collections privées et surtout des célèbres musées Guimet de Paris et Lyon,
et Cernuschi.
De cet âge également proviennent les premières bâtisses ;
car antérieurement il n'y avait que des huttes de branchages et terre battue.
Aussi est-ce avec surprise que l'on peut lire dans d'anciens textes — bien
postérieurs — que l'on considérait comme un palais impérial une masure de
terre et pisé surélevée sur trois marches.
On parvient enfin vers 2200 à la première dynastie
véritablement historique — analogue à celle de Clovis en France, — celle
des Hia, fondée par Yu succédant à Chouen.
C'est au règne des dix-sept monarques qui suivirent que l'on
doit l'art de créer, en Orient, des canaux pour irriguer les rizières. Mais le
dernier souverain Kouei fut débauché, cruel et en tous points néfaste ; il
périt et fut remplacé par Chang, auquel la légende attribue comme mère ...
un œuf d'hirondelle, ce qui reste fort dans la poésie asiatique. Cette seconde
dynastie des Yin fut sans éclat et sombra rapidement en 1122 avec un prince
monstrueux qui devait mériter le nom de Sin le Croupion.
Pendant ce temps, le progrès avait marché et la Chine jouait
en Asie le rôle de berceau de civilisation qui devait en Europe être dévolu à
la patrie des Francs.
Le pays était policé et tranquille, divisé en neuf provinces
et sous une parfaite autorité administrative; une architecture primitive évolua
rapidement. Les fouilles donnent également des haches, des armes et des bijoux.
La poterie purement utilitaire faite à la main a cédé la place à une céramique
faite à la tournette lente, avec des incisions et même des décors ; elle
démontre une grande habileté manuelle. On trouve en particulier des vases, des
plats et des bols aux colorations variées, et même des décors animaliers très
stylisés avec des cols fins.
On a même découvert, des toutes dernières époques, des
vases de bronze, mais leur authenticité est quelque peu controversée, comme
pouvant provenir d'échanges grâce aux caravanes venues de loin.
Enfin le fond spécifiquement chinois est constitué par les
célèbres jades, de couleur verte le plus souvent.
Avec les périodes suivantes des Tchéou et des Ts'in, puis
des Hia, on aboutit à de grands bouleversements sociaux.
L'empereur n'a plus qu'une autorité de façade dans un pays
immense où les guerres intestines entre princes sont incessantes. Toute cette
féodalité va crouler et voir enfin se substituer à elle une nation unifiée et
organisée.
L'art va également s'unifier, tout en conservant des
influences étrangères mésopotamiennes. On trouvera surtout comme motif
décoratif le fameux et très connu couple « dragon-oiseau » ;
puis ce sera cet animal fabuleux qu'est le griffon, suivi de l'hydre, de
l'unicorne et du phénix. Le Chinois, aimant la nature et ayant une mythologie
très spéciale, va également représenter le « lièvre lunaire », le « renard
à neuf queues », mais aussi c'est dans le « trépied divin », ou
« trépied merveilleux », que les artistes vont se complaire en lui
attribuant le privilège surnaturel de bouillir tout seul.
Enfin il faut toujours penser aux jades qui sont
essentiellement des symboles politiques depuis l'établissement du pouvoir
impérial. Il y en a de sacrés et que seuls pouvaient détenir l'empereur et les
hauts dignitaires, tandis que d'autres servaient à de simples ornementations.
Le tout est malheureusement trop peu connu du grand public ;
civilisation et art chinois primitifs constituent le plus magnifique apport des
archéologues à la connaissance des premières civilisations de l'humanité.
R. ANDRIEU.
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