Déclin politique et prospérité économique de la Double Monarchie (1867-1914)

Sissi

1°) Prospérité économique sur fond de montée des nationalismes et de l'anti-sémitisme :

Après la guerre de 1867, l'Empereur François-Joseph fut forcé d'accepter un compromis (Ausgleich) avec la nation hongroise, représentée par sa noblesse. Ce compromis accordait à la Hongrie sa propre constitution et un statut quasi indépendant. Désormais, l'empire s'appellerait Autriche-Hongrie, et serait qualifié ordinairement de Double Monarchie. L'Autrche et la Hongrie devinrent donc des états séparés ayant chacun sa constitution, son gouvernement, son parlement, et sa langue. Les Magyars dominaient en Hongrie tandis que les Allemands occupaient une position privilégiée en Autriche. Les deux états restaient liés par un unique monarque (qui était empereur en Autriche et roi en Hongrie) et par trois ministres communs (Affaires étrangères, Guerre et finances).

Le Compromis de 1867 inspira des mouvements d'autonomie parmi d'autres groupes nationaux au sein de l'empire. A côté des Magyars et des Allemands (qui comptaient environ 10 millions de personnes chacun), l'empire dans son entier rassemblait au moins neuf autres nationalités majeures : Tchèques, Polonais, Ruthènes (Ukrainiens), Slovaques, Serbes, Roumains, Croates, Slovènes, et Italiens. Environ 6,5 millions de Tchèques vivaient en Bohème-Moravie, et la minorité polonaise de Silésie autrichienne étaient également non négligeable. Tous les efforts des groupes nationaux pour parvenir à l'autonomie furent torpillés par la Hongrie déterminée à ne pas altérer la structure politique mise en place par le Compromis.
La Constitution de 1867 fixa le système politique dans la partie autrichienne de la Double Monarchie jusqu'en 1918, mais son libéralisme affiché fut restreint dans la pratique. Le droit de vote resta lié au droit de propriété (suffrage censitaire), si bien que l'aristocratie conserva une influence considérable. Les ministres n'étaient responsables que devant l'empereur, qui lui-même avait le droit de décréter l'état d'urgence lui conférant le pouvoir de gouverner sans consulter le parlement.
L'Autriche vécut néanmoins à cette époque (1867-1873) une croissance économique rapide et importante qui contribua grandement à stabiliser et fusionner la zone économique austro-hongroise dont les bases politiques récentes étaient encore fragiles. Mais cet essor industriel fulgurant donna aussi lieu à une spéculation financière sanctionnée le 9 mai 1873 par un krach boursier sans précédent. Survenant à la veille de l'inauguration de l'Exposition Universelle qui devait consacrer le triomphe des Années Fondatrices de l'Autriche-Hongrie, la crise eut un effet traumatisant sur les investisseurs. Les conflits sociaux se multiplièrent, ainsi que les mouvements nationalistes, de nombreux partis politiques émergèrent, ainsi qu'un virulent sentiment anti-sémite. A partir des années 1880, la vie politique fut dominée par les conflits entre les différentes nationalités.
Mais à côté de ces aspects négatifs, l'Autriche concrétisa aussi quelques avancées sociales importantes. Ainsi le Maire de Vienne, le populiste, anti-sémite catholique et opportuniste Karl Lueger, fit de sa ville l'une des capitales européennes les plus progressistes du continent avec son programme de "socialisme municipal" incluant la construction d'hôpitaux, d'écoles, de parcs, de tramways, etc. Vienne devint aussi à cette époque le centre de d'une vie artistique et culturelle extraordinaire. Aussi populaire à Vienne que l'empereur lui-même, il influença le jeune Adolf Hitler...
A la veille de la Première Guerre Mondiale (en 1913), l'Autriche-Hongrie était une grande puissance économique. Malgré le sous-développement de régions périphériques (Galicie, Transylvanie, Croatie, Bosnie-Herzégovine), elle était le 3ème producteur de charbon, le 5ème de fer et la 4ème puissance industrielle d'Europe, juste derrière la Grande-Bretagne, l'Allemagne et la France, même s'il faut relativiser son influence financière. Car sa principale faiblesse restait l'origine étrangère de ses capitaux (60% allemands, 30% français) qui la rendait dépendante de ses voisins en matière d'investissement.

2°) L'Alliance avec l'Allemagne et la crise balkanique (1876-1878) :

La naissance en 1871 de l'Empire Allemand conduisit les Habsbourg à réorienter leur politique extérieure vers les Balkans. L'intention du Ministre des Affaires étrangères, le Comte hongrois Gyula Andrássy, était de préserver le statu quo. Adoptant une attitude amicale envers l'Allemagne, Andrássy promit que l'Autriche-Hongrie n'interviendrait pas dans les affaires internes à son voisin germanique. En échange, l'Allemagne soutiendrait les tentatives de limiter l'influence de la Russie dans le sud-est de l'Europe. Quand la Russie defit les Ottomans en 1878, l'Autriche-Hongrie, soutenue par l'Allemagne et la Grande- Bretagne intervint pour empêcher les Russes de s'emparer des toutes les possessions Ottomanes en Europe. C'est le Congress de Berlin (juin 1878) qui limita les acquisitions russes; il permit également à l'Autriche-Hongrie d'administrer les ex-provinces ottomanes de Bosnie et d'Herzégovine (occupées puis annexées). Ce fut la dernière campagne victorieuse de l'armée austro-hongroise.
En 1879, l'Allemagne et l'Autriche-Hongrie signèrent un pacte d'alliance défensive contre la Russie auquel se joignit l'Italie en 1882, formant ainsi la Triple Alliance. Dès sa conception, cette alliance (qui aurait du, selon la Double Monarchie, maintenir la position internationale de l'Autriche-Hongrie) fut dominée par l'Allemagne, laquelle subordonna la Double Monarchie à ses propres intérêts politiques et diplomatiques. Le coup d'état à Belgrade (en 1903) et la création de la Triple Entente (France, Grande-Bretagne et Russie) achevèrent de polariser la situation diplomatique en Europe.

La Serbie, devenue indépendante de l'Empire Ottoman au Congrès de Berlin, devint un "satellite" de l'Autriche-Hongrie jusqu'en 1903, lorsque de nouveaux dirigeants arrivés au pouvoir tentèrent de fédérer tous les Salves du Sud (yougoslaves) de la monarchie habsbourgeoise, incluant la Bosnie-Herzégovine, en un grand état serbe. Mais en 1908, après une révolution en Bosnie, au cœur de l'Empire Ottoman, l'Autriche-Hongrie annexa les deux provinces, mettant l'Europe devant le fait accompli. Les serbes, soutenus par son nouvel allié russe, protestèrent avec véhémence. Il fallut tout le poids de l'Allemagne pour qu'une guerre généralisée soit alors évitée. Cependant, la Serbie sortie victorieuse des guerres balkaniques (1912-1913) et agrandit son territoire d'une partie de la Macédoine aux dépens de la Bulgarie. Les dirigeants austro-hongrois se convainquirent que la guerre avec la Serbie était devenue inévitable.

3°) François-Joseph I (Franz-Josef) (1830-1916) et la vie politique austro-hongroise :

Franz-Josef I., empereur d'Autriche (1848-1916) et roi de Hongrie (1867-1916), fut le dernier monarque important à régner dans la dynastie Habsbourg ; ses décisions politiques eurent une influence majeure sur les événements qui conduisirent à la Première Guerre Mondiale (1914-1918).

François-Joseph était né à Vienne, fils aîné de l'Archiduc François-Charles (Franz-Karl), lui-même frère et héritier de l'Empereur d'Autriche Ferdinand Ier. C'est parce que François-Charles avait renoncé à sa prétention au trône que François-Joseph devint empereur lorsque Ferdinand Ier abdiqua pendant la révolution de 1848. Avec l'aide des russes, lui et son premier ministre, Felix zu Schwarzenberg, restaurèrent la domination autrichienne dans l'empire et au sein de la Confédération Germanique. Mais son absence de soutien aux côtés des russes lors de la guerre de Crimée (1853-1856) détériora définitivement le climat entre les deux pays (voir chapitre précédent).

En 1854 il épousa Elizabeth (SISSI), fille du Duc Maximilien de Bavière, dont il eut un fils et trois filles.

Franz-Josef Dans la décennie qui suivit, l'Autriche perdit la plupart de ses possessions italiennes ainsi que son leadership dans la Confédération. Affaibli par ces revers, l'empereur commença à négocier avec les nationalistes hongrois les conditions de leur autonomie. En 1866, la Transylvanie fut rattachée à la Hongrie. En 1867 Autriche et Hongrie s'entendirent pour créer une monarchie duale dans laquelle les deux pays seraient des partenaires égaux. Au sein de cet empire austro-hongrois, la Hongrie aurait une complète indépendance dans ses affaires intérieures, mais les deux pays continueraient à gérer ensemble les affaires étrangères.
Cette même année, François-Joseph et Elizabeth furent solennellement couronnés roi et reine de Hongrie.
En tant que double monarque, François-Joseph avait envisagé d'octroyer une certaine autonomie de gestion aux Slaves autrichiens, mais les élites allemandes (conservatrices) et hongroises (libérales), qui contrôlaient politiquement l'empire, s'y opposèrent. Le mécontentement qui s'en suivit chez les Tchéco-slovaques et les Serbes ne fit qu'affaiblir encore plus les possessions habsbourgeoises et accrurent les tensions avec la Russie, devenue championne de la cause slave en Europe. A partir des années 1870, l'Autriche-Hongrie n'eut donc guère d'autre solution, que de se rapprocher (puis se faire le serviteur et tomber sous la coupe) de son puissant voisin et allié l'Empire allemand, dominé par le Royaume de Prusse.
La démocratisation de la vie politique gagna peu à peu du terrain, après la chute du cabinet Badeni. En 1906, le gouvernement autrichien introduisit le suffrage universel que de nombreuses tentatives antérieures (comme la réduction, en 1882, du cens électoral de 10 à 5 florins) semblait rendre impossible à concrétiser dans cet état pluriéthnique. Malgré un découpage électoral contestable (33% d'autrichiens eurent 43% des sièges !), le Reichsrat de 1907 fut le premier parlement élu par tous les autrichiens.
C'est sous le règne de Franz-Josef que naquirent de nombreux partis politiques (social-démocrate, national-allemand, chrétien-social, entre autres). Mais il ne parvint à résoudre l'épineux problème des nationalités.

En 1910, les allemands représentent 24%, les hongrois 20% et les slaves 47% de la population (dont 12% de Tchèques, 4% de Slovaques, 10% de Polonais, 8% d'Ukrainiens, 2% de Slovènes et 10% de Serbo-Croates). Quatre grandes questions demeurent non résolues :
- les "petites" nations non représentées (Slovènes, Roumains, Ukrainiens);
- les relations avec la Hongrie ;
- la reconnaissance de la nation Tchèque ;
- le statut de la Croatie.
A cela s'ajoute, en Autriche, le clivage entre le modèle aristocratique dominant dans l'administration et la vie politique et la "seconde société" (Zweite Gesellschaft) bourgeoise et intellectuelle, sans parler de la communauté juive et du prolétariat industriel.

Enfin, le bilan diplomatique des guerres balkaniques est amer pour la Double Monarchie :
- la Serbie devient une nation "encombrante" ;
- la Roumanie est un allié peu fiable ;
- la Bulgarie, proche des russes, ne l'est pas plus ;
- la Russie a étendu son influence européenne en repoussant les ottomans ;
- l'Allemagne ne soutient que mollement l'empereur François-Joseph.

L'assassinat de l'héritier au trône impérial, l'archiduc François-Ferdinand, en visite à Sarajevo (Bosnie), va mettre le feu aux poudres...

Suite : La Première Guerre Mondiale (1914-1918)

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version anglaise Copyright © 2000 by Richard Jaklitsch
version française et ajouts © éric alglave 2001