Episode 3X02 : Paper Clip

© Fox

Les liens en jaune sont des renvois en bas de page.

Le troisième acte de la tragédie est avant tout politique. L'Opération Paper Clip (Presse-papier) a réellement existé - à la fin de la seconde guerre mondiale - et X-Files en dénonce l'immoralité.

Ainsi, le long récitatif d'Albert Hosteen au début de l'épisode nous apparaît-il d'autant plus en décalage - de par son inscription dans une série de traditions et de légendes transmises de génération en génération - avec le culte du contrôle (par archivage) et du secret pratiqué avec zèle par les gouvernements prétendument démocratiques.
Ce sont les Lone Gunmen qui - en fins limiers dénicheurs de secrets en tous genres - lèvent le voile sur les personnages qui côtoient Bill Mulder sur la
photo trouvée à Martha's Vineyard ainsi que le lien avec l'Opération Presse-Papier. Ce programme secret permit à de nombreux savants nazis d'entrer clandestinement aux USA avec la protection du gouvernement. Ils purent y obtenir une nouvelle identité en échange de leur coopération scientifique (notamment dans la "course aux étoiles"). Mulder résume l'opinion des auteurs sur ce point de l'histoire américaine : "our deal with the Devil (notre pacte avec le Diable)".

Cette levée partielle du secret n'est pas sans conséquences pour les conspirateurs : une innocente (Mélissa Scully) a été abattue par erreur, un document (le dossier MJ) égaré par inadvertance et un adversaire (Mulder) conforté par maladresse et précipitation. Car le Syndicat new-yorkais déteste par dessus tout la publicité et l'improvisation dans la hâte. Dans une telle situation, nous voyons ses membres se retourner les uns contre les autres.
Autre plaisir rare, nous voyons même pour la première fois l'Homme à la Cigarette, contraint de mentir pour gagner du temps, se mettre en colère face à Skinner ! Les rôles sont inversés : Skinner contrôle le cours des événements, il ne subit plus les volontés secrètes de sa hiérarchie.

Viktor Klemper envoie Mulder et Scully visiter la Strughold Mining Company, où sont entreposées des millions de dossiers médicaux (dont celui de Scully et de Samantha Mulder) : la plus grande banque de données génétiques jamais collectée en vue d'une hybridation humain/extra-terrestre expérimentale à grande échelle ! D'ailleurs, l'intrusion des deux agents du FBI a déclenchée l'évacuation précipitée et improvisée d'une "colonie" d'hybrides secrètement abrités dans la mine. Décidément, il ne fait pas bon être conspirateur de nos jours !

L'enjeu devient alors éminemment politique. Le tragédie antique tourne presque au dilemme cornélien : faut-il héroïquement dévoiler un tel scandale (au risque d'y perdre la vie) ou faut-il négocier avec réalisme et en position de force un statu quo (qui garantisse la vie sauve) ? Mulder, Scully et Skinner doivent trancher la question.
La scène de la cafétéria où les deux agents retrouvent le directeur adjoint est à cet égard une pure merveille d'écriture par sa concision et son économie de moyens. Les trois personnages y campent trois positions divergentes : Mulder est prêt à mourir, Scully est définitivement du côté de la vie, et Skinner accepte de mourir sous condition :

SKINNER : Is that answer worth your lives?
MULDER : It's obviously worth killing us for.
SKINNER : In your wildest dreams, what do you possibly hope to find, Agent Mulder?
MULDER : Why they killed my father... and what happened to my sister... and what they did to Agent Scully.
SCULLY : I think we should let him make the deal, Mulder.(...)
MULDER : What makes you think they'll even honor this deal?
SKINNER : Because, if they don't... I'll go state's evidence and testify... or they'll have to kill me too.
Cette réponse vaut-elle que vous sacrifiiez vos vies ?
Il est évident qu'elle vaut assez pour qu'on nous tue.
Dans vos rêves les plus fous, qu'espérez-vous trouver, Agent Mulder ?
Pourquoi ils ont tué mon père... et ce qui est arrivé à ma sœur... et ce qu'ils ont fait à l'Agent Scully.
Je pense que nous devrions le laisser négocier, Mulder. (...)
Qu'est-ce qui vous fait croire qu'ils honoreront même ce contrat ?
Parce que s'ils ne le font pas... Je me constituerai témoin à charge et je déposerai officiellement... ou ils devront me tuer moi aussi.

Commence alors une terrible partie de poker, ou plutôt une spirale de violence et de mort : Skinner se fait voler la disquette MJ (ou un leurre ? puisqu'il piège l'Homme à la Cigarette un peu plus tard) et "démolir" par Krycek et son acolyte (l'assassin de Mélissa Scully) ; Krycek échappe de justesse à un attentat à la voiture piégée ; Viktor Klemper se fait assassiner ; Krycek menace de mort l'Homme à la Cigarette...

Et Mulder ré-endosse son rôle tragique de "pseudo-Oedipe" lorsqu'il découvre que son père et sa mère ont probablement négocié (!) l'enlèvement de sa sœur Samantha ! Son ignorance lui a permis de découvrir une part importante de la vérité qu'il cherche si ardemment mais à quel prix !

L'épisode s'achève donc - fort logiquement pour une tragédie - sur un constat amer. L'homme est prisonnier de son destin (fatum) :

SCULLY : You were right. There is no justice.
MULDER : I don't think this is about justice, Scully.
SCULLY : Then what is it about ?
MULDER : I think it's about something we have no personal choice in. I think it's about fate.
Tu avais raison. Il n'y a pas de justice.
Je ne pense pas qu'il s'agisse de justice, Scully.
Alors de quoi s'agit-il ?
Je crois que c'est une chose dans laquelle nous n'avons pas de choix personnel. Je crois qu'il s'agit de destin.

La trilogie Anasazi marque bel et bien un tournant dans la série. Mulder n'est plus un héros conventionnel qui fait triompher le bien contre un ennemi identifié, il lutte désormais de façon dérisoire (tragique) contre un destin par essence anonyme et inéluctable. Dans X-Files, ce destin prend la figure tentaculaire d'un pouvoir occulte tapi dans l'ombre de gouvernements démocratiquement élus...

Notes :
Pour revenir au texte re cliquez sur le lien

La légende du bison blanc (un présage de bouleversement annoncé par les dieux) et le destin tragique du petit animal sont à mettre en parallèle avec le destin de Mélissa Scully. En effet, une tradition indienne veut que ce bison blanc ait été une femme descendue du ciel pour enseigner aux Indiens comment prier (Mélissa est aussi une mystique) et qu'elle soit ensuite repartie sous l'apparence d'un bison blanc, promettant de revenir un jour. Or cette promesse ne fut jamais tenue. Le constat est donc celui d'une défaite des dieux indiens face aux machinations blasphématoires et irrespectueuses des hommes blancs qui écrasèrent des innocents sur leur passage, tout comme Mélissa Scully sera l'agneau sacrifié à la place de sa sœur sur l'autel de la Conspiration du silence.
Le fait qu'Albert Hosteen vienne prier pour Mélissa à l'hôpital n'a donc rien d'incohérent.
Voir aussi 9X16 William.

La photo montre de gauche à droite : L'Homme à la Cigarette, Bill Mulder, Viktor Klemper, le conspirateur N°1, Gorge profonde, le conspirateur N°3, le conspirateur N°2 et l'Homme aux Mains Manucurées.

Strughold n'est pas un nom inconnu des historiens de l'Opération Presse-Papier : le véritable Professeur Hubertus Strughold fut ce que les Lone Gunmen attribuent au personnage de fiction qu'est Viktor Klemper. Il fut un "spécialiste des effets physiques de l'accélération sur le corps humain". Viktor Klemper se nomme lui-même "un boucher"...

sommaire X-Files votre avis
autres épisodes
sommaire séries TV