Le Trésor des Chartreux






1956 - Un Chartreux de Marseille



plan secret-rectoplan secret-verso
Plan secret-recto verso



-Malgré le silence qui s'était de nouveau appesanti sur ce mystère, il n'était pas douteux que toutes sortes de convoitises agitaient le petit monde des chercheurs de trésor, mais aussi celui des instances religieuses qui ne renonçaient pas à récupérer un pactole qu'elles considéraient à juste titre comme le leur.

-Mais nous avions l'œil et l'oreille à tout et rien ne pouvait nous échapper. Aussi, quand un moine Chartreux de Marseille se présenta à la Mairie de Villeneuve pour y demander l'autorisation de faire à la Chartreuse une visite un peu particulière, j'en fus vite informé. C'était un jour du mois de janvier 1956 et il faisait un froid terrible, avec un mistral à emporter la queue des ânes. Ceux qui ont vécu cet hiver là ne l'auront pas oublié.

-Le moine Chartreux qui se faisait appeler Frère René, disait appartenir au service des recherches historiques et archéologiques de l'Archevêché de Marseille pour le compte duquel il était en mission itinérante. Parvenu à Villeneuve, il désirait y étudier l'architecture de certains monuments d'un grand intérêt pour ses commanditaires et plus particulièrement la Chartreuse.

-A cette fin, il présenta ses lettres d'accréditation dûment contresignées par un responsable départemental des Beaux-Arts. Ces documents lui furent très utiles, car il n'en demanda pas moins que de pouvoir utiliser la grande échelle des pompiers pour accéder aux toits de la Chartreuse où, crayon et papier en main, il passa des heures à étudier les cheminées du vieux monastère.

-La vision de sa silhouette malmenée par un vent glacial au faîte de l'édifice, avait quelque chose d'un peu fantomatique. Mais nous étions certains que le Frère René trompait son monde et que tout ce déploiement de vaillance avait pour but d'égarer les curieux. Alors que faisait-il sur ces toits ?

-Il semble que, comme sous Villeneuve, circulent aussi sous la Chartreuse de nombreux souterrains menant à des abri-refuges et à des cryptes. Les souterrains qui courent sous la ville ont été pour la plupart, soit obstrués, soit tronçonnés et transformés en fosses d'aisance. Il est dangereux de s'y aventurer car là où certains sont encore praticables, aucun air ne circule plus et on y risque l'asphyxie.

-Mais qu'en est-il de la Chartreuse ? Nous savons qu' elle a des souterrains très profonds et sans doute au moins une crypte-refuge. Pour rester praticables sans risque, ces constructions doivent être suffisamment ventilées ; cette ventilation est assurée par des conduits d'aération d'autant plus efficaces que leurs orifices de sortie sont plus élevés. Et discrets, car leur présence trop visible permettrait de deviner l'existence et même le tracé des souterrains. Par précaution, dans les monastères, ces conduits d'aération étaient souvent dissimulés dans les conduits de cheminées servant à évacuer la fumée des feux de chauffe ou de cuisine.

-Dès lors, on devine ce que faisait le Frère René sur les toits de la Chartreuse, autour des cheminées encore en place. Il s'assurait de l'existence et du bon fonctionnement de ces conduits d'aération et il y consacra une demie journée sous un vent glacial dont les violentes bourrasques auraient pu l'emporter. Mais peut-être fallait-il justement qu'il y eût ce jour-là un vent très fort. Quant au froid glacial, il tenait opportunément les curieux bien au chaud, chez eux.

-Et ce ne fut pas tout. Le Frère René consacra la demie journée restante à inspecter méticuleusement les cheminées intérieures des cellules encore habitables, dont celle de la Maison du Prieur à laquelle il consacra bien plus de temps qu'aux autres. Ce qui nous mit en alerte.

-Dès qu'il fut parti, nous allâmes à notre tour inspecter les cheminées visitées par le Frère René. Celles des quelques cellules monacales où il était passé étaient très ordinaires et malgré un examen attentif, elles ne révélèrent rien de particulier. C'était sans doute de la part du moine une manoeuvre de diversion. Mais puisque le Frère René s'était attardé dans la Maison du Prieur, ce serait là, une de fois de plus, que nous pourrions découvrir quelque indice caché, tout comme nous avions déjà découvert le plan dissimulé dans la soupente.

-Nous passâmes des heures à inspecter cette belle et vaste cheminée aux grosses pierres noircies par l'usage. Nous examinâmes chacune de ces pierres, depuis le sol, jusqu'à la plus grande hauteur accessible dans le conduit, sans rien y découvrir de visible. Ces pierres avaient toutes les mêmes dimensions et le même aspect, je pourrais dire la même patine noire déposée par des siècles d'usage. Si bien qu'elles devaient toutes être en place depuis l'origine de la Chartreuse, sans qu'aucune ne parut avoir été bougée depuis tout ce temps.

-Et pourtant, une nouvelle fois, notre conviction était faite. Que le Frère René soit venu là en quête d'un indice précis ou pour un simple repérage, cela attestait que la cheminée du Prieur comportait un secret qu'il nous fallait à toute force découvrir. Mais comment ? La Chartreuse était devenue un monument historique chaque jour davantage protégé et nous ne pouvions pas démolir cette cheminée pierre après pierre sans attirer l'attention et les foudres de l'administration. Il ne nous restait plus qu'à abandonner la partie, à repartir bredouilles, comme avait dû le faire le Frère René.

-Et nous étions tout près de renoncer, quand un de mes amis eut une idée : "Si nous sondions les pierres l'une après l'autre en frappant légèrement dessus avec un maillet en bois. Il y a peut-être un endroit où cela sonnera creux. Auquel cas, nous n'aurions qu'à déplacer avec précaution quelques pierres, la où nous trouverons une résonance anormale, pour regarder ce qu'il y a derrière, puis à remettre le tout en place. La cheminée est tellement noire que personne ne remarquera rien."

-C'était une excellente idée et par chance, le gardien des lieux était un de nos compères, passionné par l'histoire du trésor. Cela nous donnerait le temps de mener à bien notre entreprise. Nous commençâmes aussitôt à sonder la cheminée, une pierre après l'autre. Et le résultat ne se fit guère attendre.

-L'une des pierres située dans l'angle droit du conduit émit un bruit bizarre, pas franchement creux, mais différent des autres, on eût plutôt dit un très léger tintement, en tout cas ce n'était pas le son mat des autres blocs de molasse. Cela suffit à nous décider. Nous grattâmes avec soin les joints de la pierre, puis nous la décelâmes tout aussi soigneusement pour ne pas la détériorer. Ces opérations se firent sans grande difficulté et la pierre, une fois sortie, nous livra finalement son étrange secret.

-Elle avait été en partie évidée pour recevoir dans cet espace exactement ajustée, une sorte de bocal d'un verre très foncé, au goulot évasé, que nous sortîmes de son habitacle avec les plus grandes précautions. La bouteille était hermétiquement fermée par un épais bouchon d'argile durcie au feu. Et ce fut notre principal obstacle, car il ne fallait pas casser la bouteille en dégageant son bouchon. Nous le désagrégeâmes peu à peu et à son tour la bouteille nous livra son contenu : une peau de taupe pliée en quatre sur laquelle, recto verso, avaient été sommairement dessinés d'étranges hiéroglyphes.

-Le recto semblait indiquer une construction avec des cheminées et des directions divergentes ou opposées qui figurent peut-être des souterrains, un triangle avec un point en son centre, et une sorte de soleil stylisé, le tout d'un graphisme simpliste, presque enfantin. A propos de taupe, il n'est peut-être pas indifférent que les Chartreux aient choisi ce petit animal pour lui confier leur secret, ayant été eux-mêmes de véritables "taupes" qui creusèrent des galeries en tous sens sous la colline et sous leur monastère.

Certains d'entre nous, quelque peu versés en écriture ésotérique, crurent pouvoir résumer ce qui était, à l'évidence, un message explicite réservé aux seuls initiés. La construction avec ses cheminées ou ses tours figurait la Chartreuse ; le triangle pointé indiquait (cette figure et son sens sont constants et avérés) un trésor appartenant à cet édifice et le soleil indiquait, à la pointe d'une flèche ou d'un souterrain, l'emplacement du trésor par rapport à la Chartreuse, un trésor qu'il symbolisait dans tout son éclat solaire. Ce fut à peu près tout ce que nous pûmes déchiffrer de cohérent. Et c'était insuffisant. Mais nous n'allions pas nous plaindre : il était désormais certain que les Chartreux avaient caché leur trésor sur le territoire de Villeneuve.

-Le verso était couvert de chiffres et de lettres qui paraissaient n'avoir aucun lien entre eux, ainsi que de divers symboles religieux bien connus, tels que le sceau des Chartreux et le chrisme (le signe christique), qui ne nous apportèrent rien de décisif ; et une fois encore le triangle pointé. Ces chiffres et ces mots avaient sans aucun doute un sens précis et révélateur pour qui était capable de les relier entre eux. Il s'agissait sûrement d'un message crypté, déchiffrable par un procédé de substitution (où des lettres viennent remplacer les chiffres selon un décalage convenu), et nous étions alors face à un cryptage au second, voire au troisième degré. Certains y virent même la voûte du ciel, avec quelques unes de ses constellations nocturnes.

-Mais il en manquait la clef que seul avait dû posséder l'auteur de ce message. Lequel avait tout prévu, car les chiffres étaient écrits dans un désordre tel qu'il neutralisait toute tentative de décryptage par les méthodes habituellement employées à cette fin, comme le chiffre de César, celui de Vigenère ou tout autre, qui du reste, nécessitent eux aussi une clé. A moins qu'il fût possible, après avoir décrypté chaque suite de chiffres devenus alors des mots, de les replacer dans un ordre donné, pour former un message cohérent. Malgré tout, des spécialistes émirent l'hypothèse que le mot "Christ" ou "Chrisme" pouvait être la clé d'un cryptage spécialement conçu par les Chartreux et que, cela était certain, l'écriture au verso du message était celle, typique, d'un religieux de l'époque fin XVIIIème siècle, début du XIX. Mais les dessins trop malhabiles du recto ne sont pas de la même main ; ils ont été tracés par quelqu'un qui savait à peine dessiner et peut-être pas écrire. Ce qui ajoute au mystère.


triangle rectotriangle verso
triangle recto verso



-Malheureusement, les meilleurs cryptologues échouèrent dans leurs tentatives de lecture de ce message. Et à l'heure actuelle, nous ne sommes guère plus avancés. Cependant, comme nous le verrons plus loin, certains signes écrits sur le parchemin, ainsi que le plan de la soupente, se retrouvent ailleurs, comme dupliqués et cette singularité peut fournir le début d'une piste. Ou son aboutissement…Mais nous n'en sommes pas encore là.

Nota : J'ai pris sur moi de divulguer le plan de la pierre cachée et le parchemin, conscient que cette initiative ne plaira pas à tout le monde. Car même s'ils se savent incapables de les déchiffrer, certains voudraient en garder jalousement le secret. On se demande bien pourquoi.

Enfin, contrairement à ce que certains ont pu penser, le plan recto-verso n'est pas un faux récent. De fait, il se trouve que ses découvreurs, à défaut de pouvoir bien le lire, ont cru bon de repasser à l'encre tout ce qu'ils y voyaient, et même ce qu'ils n'y voyaient pas, mais qu'ils croyaient y deviner, si bien que le document d'origine est fortement dénaturé.


lecture du plan secret par un chercheur



A propos des chiffres accompagnés parfois de lettres, écrits au verso, on pourrait imaginer que le scripteur-comptable, a voulu indiquer les quantités et la nature des pièces de monnaie formant le magot enfoui. Le total en serait plutôt conséquent : de l'ordre de 300 mille pièces d'or et d'argent. La valeur fiduciaire du trésor serait ainsi de l'ordre de 25 millions d'euros et sa valeur numismatique bien plus importante. Mais on ne peut écarter d'autres interprétations.

Il existe un site en anglais (is there bueid treasure at villeneuve les avignon ?) où un chercheur s'est lancé dans une interprétation graphique de la page recto du plan. Mais ses alignements sont faux et ses déductions très hasardeuses quant à la signification des symboles utilisés par le scripteur. Selon ce chercheur, l'auteur du plan aurait utilisé deux ou trois alignements qui passent par ce qui serait l'ancienne poterne du Fort, dont il ne reste plus grand chose de nos jours. Mais pour ce faire, il a visiblement déplacé cette poterne et l'a baptisée Tour du Masque.


Cellule de moine. Photo Jacques Mossot. Sur site Structurae
Cellule de moine. Photo Jacques Mossot. Sur site Structurae