Mais il est temps que je cède à nouveau la parole à mon confident.
-Le Frère René, avec ses cheminées aériennes, nous avait un peu tourné la tête et nous étions prêts à croire qu'une crypte et des souterrains existaient bel et bien sous la Chartreuse. Mais nous n'avions pas les moyens de le vérifier. Encore que toujours très délabrée, la Chartreuse était maintenant devenue un monument très historique et très surveillé. Et le temps passait, sans apporter rien de nouveau.
-Aussi, mes amis chercheurs et moi, décidâmes de rompre le silence de notre petit monde clos en divulguant publiquement l'existence de ce trésor introuvable, sans toutefois rien révéler d'essentiel.
-L'un des nôtres était un peu poète. Il en fit un conte de Noël qui fut publié dans un journal du cru. C'était un peu comme une bouteille, ou un filet jeté à la mer, dont nous n'espérions guère qu'il nous ramènerait une pêche miraculeuse. La surprise fut de taille.
-Ce fut une avalanche, un déluge de lettres. Il en venait de partout, même de l'étranger. Le conte de mon ami avait franchi les frontières et suscité une vraie révolution dans le monde des chercheurs de trésor.
-Nous mîmes beaucoup de temps à dépouiller cette abondante correspondance et nous en jetâmes une bonne partie qui ne contenait que des élucubrations délirantes dont je vous montrerai peut-être un modèle. Nous en écartâmes aussi beaucoup d'autres qui nous proposaient des offres de service, radiesthésistes et autres pendulaires dont le souci principal était de gagner de l'argent sans peine car, hormis leur rémunération, ils entendaient être logés et nourris à nos frais.
-Puis la télévision régionale vint tourner chez moi une séquence consacrée au trésor des Chartreux. Enfin, je reçus la visite d'un écrivain qui établissait un répertoire exhaustif des trésors du monde entier. Et les journalistes m'assiégèrent un temps. Mais je ne leur en dis pas plus.
-Après quoi, le pays commença à recevoir la visite des curieux et des chercheurs. Nous en vîmes passer des cohortes sur la colline, où ils s'enfoncèrent parfois jusqu'à dix mètres de profondeur en y creusant des trous aberrants.
-Plus de cinquante empiriques, radiesthésistes et méta gnomes vinrent aussi exercer leurs talents sur les huit kilomètres carrés de la colline. Ce fut un beau succès. On trouva de l'eau à des profondeurs défiant les lois de la géologie. Mais pas de trésor. Et les amateurs finirent par se lasser.
-De notre côté, laissant faire toute cette agitation, nous avions poursuivi la lecture de notre abondant courrier ; et finalement, une seule et brève lettre retint notre attention par sa concision et son ton assuré. Tenez, la voici ! Vous pouvez la lire. Et Mr. C. me tendit la mystérieuse missive dont le contenu suit.
-Mon ami se souvint alors de cette formule latine que nombre de religieux, et pas seulement des Jésuites, avaient coutume d'ajouter à leur signature. Il m'apprit que cette abréviation AMDG signifiait "Ad Majorem Dei Gloria" (Pour la plus grande gloire de Dieu). Mais cela ne nous avançait guère.
-A défaut de connaître l'auteur de cette lettre, sans doute un religieux, il ne nous restait plus qu'à vérifier ses assertions. Et cette fois encore, l'aide du guide nous fut précieuse, bien qu'il se montrât d'abord un peu réticent. Mais la fascination de l'or…
-Nous fûmes bientôt dans la spacieuse cave du Prieur, en train de gratter la terre à l'endroit indiqué. La dalle et son anneau furent vite mis au jour. Mais nous eûmes toutes les peines du monde à la soulever, comme si le sol la retenait pour nous empêcher de commettre un sacrilège. En fait, deux siècles d'humidité en avaient scellé les joints. Et elle était lourde.
-Ce fut le cœur battant plus vite que nous considérâmes l'orifice carré, noir et humide que nous avions dégagé, avec son escalier aux marches couvertes d'un dépôt verdâtre qui semblait nous défier. Il s'en échappait une forte odeur de moisissure ancienne. Jusqu'à maintenant, notre correspondant avait dit vrai. Il n'y avait aucune raison pour que ses autres indications soient fausses. Mais aucun de nous trois n'osait faire le premier pas en s'engageant sur les marches suintantes restées inviolées pendant deux siècles.
-Je fus le premier à me décider. Mes deux compères resteraient dans la cave pour, au besoin, me venir en aide. J'avais placé sur mon visage une sorte de masque pour me protéger des vapeurs méphytiques qui s'accumulent souvent dans les lieux humides et clos et qui peuvent être mortelles. Ma grosse lampe torche éclairait un escalier taillé dans le roc, qui descendait en pente raide dans les profondeurs de la terre. Je comptais vingt cinq marches avant de me retrouver dans un souterrain assez vaste où je m'engageai tout en informant mes assistants de ma progression.
-Après trois mètres environ, comme si ses constructeurs avaient hésité sur la direction à prendre, le souterrain faisait un coude à angle droit et se dirigeait vers le Nord. J'avançais toujours avec mille précautions, malgré le fort éclairage de ma lampe qui illuminait ce large conduit taillé dans une pierre tendre, un peu comme un V renversé. Peu à peu, les cris réguliers de mes compagnons auxquels je répondais, me parvenaient de plus en plus étouffés et je ne les entendis bientôt plus.
-Mais ce n'était pas nécessaire. Je n'avais parcouru qu'une trentaine de mètres quand l'éboulis se dressa face à moi. De gros blocs de pierre détachés de la voûte m'opposaient un obstacle infranchissable, visiblement sur une longue distance et peut-être même sur tout le reste du souterrain. Les Chartreux avaient dû oeuvrer à cette fin, car je pouvais voir, au-dessus de moi, des trous percés à la barre à mine pour recevoir des charges de poudre noire. Nous verrons que des trous identiques ont été faits dans un autre lieu très significatif de la colline.
-Sans savoir pourquoi, je fus soudain pris d'une angoisse insurmontable, comme si des moines mal intentionnés, surgis de nulle part, allaient faire s'écrouler la voûte dans mon dos et m'emmurer vivant pour me punir de mon audace. Je fis demi tour et m'en retournai d'où je venais, la peur au ventre, de toute la vitesse dont j'étais capable.
-A en croire mes deux compères, je fis irruption dans la cave, le visage décomposé, suant à grosses gouttes et je tremblais en leur annonçant la mauvaise nouvelle. Si un jour vous faites la même expérience, vous connaîtrez sans doute la même crise d'agoraphobie, cette angoisse qui guette tous les explorateurs de lieux souterrains.
-Après une nouvelle exploration plus sereine, nous calculâmes que le conduit dégagé n'allait pas au-delà des anciens remparts nord de la Chartreuse. Et qu'il avait été éboulé à la Révolution, quand les moines abandonnèrent leur monastère. Notre informateur connaissait l'existence de ce souterrain, sans doute par des documents antérieurs à cette époque. Mais il ignorait qu'il avait été éboulé ; et sur toute sa longueur, comme des sondages faits sur son parcours en attestèrent. Quant à savoir où il débouchait, c'est toujours un mystère, car on perd sa trace la où on a construit une voie ferrée.
-Depuis lors, le sol de la cave a été plus ou moins cimenté et la dalle a disparu après que son anneau lui ait été arraché. Ainsi, la voie menant au trésor ne s'est un moment offerte que pour mieux se dérober. Je commence à me faire vieux. Mais je n'ai pas renoncé à conquérir ces richesses. Puisqu'il m'a été dit que je serai un jour assis sur les coffres des Chartreux, cela ne devrait plus tarder à se réaliser."
-Mon hôte s'était tu. La densité de son silence me fit comprendre que cette dernière réflexion venait de clore son récit. Il était tard. Seuls peut-être, les astres que l'on voyait scintiller à l'infini du ciel, connaissaient la réponse aux questions que Monsieur C. se posait depuis tant d'années sur ce mystère. Mais ils restaient muets sur ce qu'ils avaient vu.
pierres indiquant un souterrain ?