Le Trésor des Chartreux






Itinéraire pour une recherche



Chrisme sur pierre
Chrisme sur pierre



Après la lecture de cette lettre, j'étais prêt à renoncer. Il me semblait que le trésor des Chartreux était comme ces auberges espagnoles, peuplées d'esprits chimériques, où l'on ne trouve que ce que l'on apporte. Mais j'avais fait la connaissance d'un très vieil habitant de Villeneuve qui me prodigua des encouragements, assurant que depuis le départ des Chartreux, leur trésor n'avait jamais cessé d'être recherché. Son propre grand-père avait lui-même acheté à cette fin un lot dans la Chartreuse. "Croyez-moi, conclut-il, je sais de source sûre qu'à Villeneuve, on marche sur le plus gros tas d'or que renferme la terre. Mais il est presque certain qu'on ne le trouvera jamais. Ce qui n'empêche pas de le chercher". Eh bien, soit ! Il était dit que je chercherais.

Pour cela, il me fallait disposer d'une carte IGN (Ref. Avignon 6a au 1 / 10 000). C'est un outil indispensable pour se familiariser avec les lieux et, en quelque sorte, parvenir à les comprendre. De plus, cette carte a le mérite de délimiter exactement le périmètre où l'or des moines est enfoui.

Après quoi, je partis à la recherche des indices, ou plutôt des clefs disséminées par les Chartreux sur la colline des "Quatre Chemins", selon un itinéraire convenu. J'avais aussi une petite idée sur cet itinéraire et sur les fameux Quatre Chemins où Monsieur C. envoyait si volontiers les chercheurs du trésor pour qu'ils y perdent leur latin.

Il avait fini par me montrer une curieuse pierre gravée où se lisaient en effet les noms de très anciens chemins. La borne, qui avait paraît-il suscité la curiosité de Frédéric Mistral, était écrite en occitan et placée au croisement de ces chemins qui n'ont rien de commun avec les Perrières où les amateurs placent les Quatre Chemins, voire la cache au trésor. (Cette borne, dont le premier mot en partie effacé indique une intersection, a aujourd'hui disparu).


Borne occitane
Borne occitane



Pendant deux millénaires, les attelages empruntèrent ces chemins qui menaient des carrières de Carles aux embarcadères des bords du Rhône ; et l'on pouvait encore voir, il y a peu, la trace creusée dans le calcaire dur par les roues cerclées de fer des lourds charrois qui transportaient les pierres brutes vers leurs nombreuses destinations (Autrefois, le Rhône passait au pied de la colline). Depuis, ces chemins ont été abandonnés aux militaires du Camp des Oliviers qui y exercèrent longtemps leurs talents de mineurs démineurs ; ou bien ils ont été goudronnés pour faciliter la circulation des riverains qui ont envahi les lieux.

Le chemin abandonné de Pierre Longue dut être le plus fréquenté, comme étant le plus court et le moins abrupt pour aller aux carrières et en revenir. Il doit son nom à une pierre levée que certains archéologues tiennent pour un mégalithe. Cette belle pierre a elle aussi été victime des militaires et c'est un miracle s'il en reste encore quelques vestiges. Quant aux parois de la combe par où passait ce chemin, l'endroit était bien trop fréquenté pour que les Chartreux se soient risqués à y laisser des indices relatifs à leur trésor.

Les moines étaient dépositaires d'une sagesse et d'une prudence maintes fois séculaires, fruit d'une expérience souvent renouvelée. Très pragmatiques, ils savaient que l'on ne met pas tous ses œufs dans le même panier. Et, guidés par le Prieur Dom José de Camaret, ils dupliquèrent ailleurs qu'à la Chartreuse les clefs livrant le secret de leur or. Pour cela, ils choisirent le chemin de Cabrion qui partait lui aussi du croisement signalé par la borne occitane. S'élevant d'abord en pente assez légère, ce chemin grimpe soudain de façon abrupte jusqu' à l'aplomb de la colline, si bien que les chariots portant les pierres de la carrière n'y passaient quasiment pas. C'est à mi-course, entre la borne et l'aplomb de la colline, au point 38,6 de la carte d'état-major, que l'on découvre la première clef. Et elle est d'importance.

Ici, une veine de pierre tendre affleure à la surface du sol et forme un petit bloc surélevé, en lui-même peu visible et dissimulé sous une énorme touffe d'ajoncs très serrés, sans doute plantés là pour cacher la pierre. Si bien que l'on peut passer et repasser devant sans rien remarquer. C'est pourtant sur cette pierre qu'a été gravé à une profondeur de trois centimètres, pour défier l'usure du temps, un signe d'un beau graphisme. Ce signe, c'est le chrisme, symbole ésotérique du Christ, qui nous rappelle une des règles de l'Ordre chartreux : "Les biens dont le Prieur a cure, ne sont point les siens ni ceux des hommes, mais ceux du Christ, devant qui le compte à rendre sera strict."

Il est dit plus loin que ces richesses, dédiées au Christ, doivent être "placées sous le signe de sa sauvegarde…en nulle autre place que dans l'enceinte des propriétés monastiques."

Est-ce à dire que cette clef, (car c'en est une), fixe la limite des propriétés des Chartreux ? Sans doute pas, puisque tout la colline leur appartenait et que sur cette colline, nombre de bornes gravées à leur sceau en attestent. Nous savons déjà que, par un procédé géométrique, ces bornes permettent de déterminer la cache au trésor. Mais avec un peu d'attention, et par les mêmes procédés, on peut observer que ces bornes permettent aussi de retrouver le chrisme.

En regardant le recto du plan secret trouvé dans la pierre creuse de la cheminée du Prieur Dom José, on peut également voir le chrisme qui semble avoir été dessiné par la même main (Celle du Prieur ?). Nous sommes donc incontestablement en présence d'une duplication à grande échelle d'un des indices trouvés dans la Chartreuse. Nous verrons qu'il y en a d'autres. Notons cependant une différence significative entre les deux chrismes. Elle n'est certainement pas accidentelle et un peu de réflexion permet d'en comprendre le sens.

Quant au chrisme, c'est "une clef" incontestable dans la recherche du trésor. Mais nous n'avons pas pu en découvrir tout le sens secret. En tout cas, ce n'est pas par hasard qu'il a été gravé là et qu'on s'est efforcé de le soustraire aux regards des passants. Les moines ne pouvaient pas imaginer que deux cents ans plus tard, une moderne pelleteuse allait verser par-dessus une bonne quantité de terre afin de le soustraire, cette fois définitivement, à la curiosité des hommes.

La borne occitane a été enlevée. Les bornes chartreuses de la colline sont détruites, ou elles aussi enlevées. Le chrisme est recouvert par une grande épaisseur de terre. Monsieur C. n'est plus de ce monde. Mais ses successeurs n'hésitent pas à recourir à des méthodes radicales pour effacer tous les indices qui pourraient permettre de retrouver le trésor. C'est peine perdue. Ces indices, ces clefs ont été copiés, photographiés, localisés. En dépit de leurs précautions, la recherche peut continuer. Et c'est un divertissement non dépourvu d'intérêt.

Ultime descendant de David, le fermier de la Meynargue, Monsieur C.(En l'occurence, Monsieur Canonge, un nom qui est un dérivé occitan de "chanoine", détail qui a peut-être son importance,) a commis une erreur : celle de vouloir s'approprier le trésor des Chartreux à partir de ce qu'il en savait, alors qu'il n'en devait être que le gardien. Mais plus encore, il a révélé publiquement la presque totalité des clefs qu'il devait préserver. Dès lors, les légitimes propriétaires du trésor l'ont dépossédé de sa mission et l'ont confiée à d'autres personnes plus sûres, chargées elles de détruire tout ce qui pouvait conduire à leurs richesses.

Cette démarche aura été vaine. Mais peut-être, certains indices ont-ils échappé à Monsieur C. Et ceux-là, nul ne pourra plus les connaître. Ce qui justifie peut-être la conviction de certains selon qui le trésor des Chartreux ne sera jamais découvert. Mais on peut aussi bien croire que cette conviction est sans véritable fondement.



Chrisme sur plan
Chrisme sur plan