Le Trésor des Chartreux






Itinéraire pour une recherche. Suite 3



Un trou et des déblais
Un trou et des déblais



En guise de divertissement, on peut raconter ici la mésaventure d'une équipe de chercheurs aussi naïfs qu'enthousiastes et déterminés car, sur la foi de révélations faites par un radiesthésiste, ils étaient certains de leur affaire.

Venant de la région lyonnaise, ils arrivèrent un beau jour à Villeneuve et installèrent un véritable campement de voitures de tentes et de caravanes sur un terrain aménagé en stand de tir où se trouve une construction sans doute très ancienne.

Ils y déployèrent sans attendre un matériel considérable : groupe électrogène, marteaux pneumatiques, foreuse, et même des explosifs. Cela ne manqua pas d'attirer l'attention et à un journaliste venu les interroger, ils répondirent qu'ils avaient fait le serment de ne pas quitter Villeneuve sans emporter dans leurs bagages l'or des Chartreux.

Leur activité fut véritablement fébrile pendant trois mois d'été, où ils creusèrent, forèrent, firent sauter la roche de calcaire dur, si bien qu'on les voyait de jour en jour, s'enfoncer de plus en plus dans leur trou, sans qu'il fût question de s'approcher de ces lieux sur lesquels veillait un cerbère attentif.

Leur certitude inébranlable nous inquiéta un moment. Mais après presque trois mois d'un labeur incessant, leur ardeur déclina et une nuit, ils disparurent sans crier gare, avec armes et bagages, non sans abandonner sur place un peu de matériel superflu.

Convaincus qu'ils n'avaient rien découvert, mais qu'ils avaient dû descendre dans la roche au moins jusqu'à trente mètres de profondeur, à en juger par la hauteur des déblais, nous nous approchâmes avec curiosité du trou creusé et constatâmes avec stupéfaction qu'il atteignait à peine dix mètres de fond et qu'il ne débouchait strictement sur rien.

J'avoue que compte tenu des moyens dont ils disposaient, nous regrettâmes d'avoir été évincés sans pouvoir leur dire qu'à quelques mètres seulement de leur trou démentiel, passait un important souterrain qui leur aurait peut-être ouvert la voie du trésor convoité ou, en tout cas, leur aurait permis des découvertes intéressantes. Mais en vérité, je crois que nous n'aurions rien dit à ces gens-là.

Ces mêmes chercheurs récidivèrent plus récemment, non loin du lieu de leurs premiers exploits avortés. Mais cette fois, une interdiction officielle de fouilles leur fut notifiée par un représentant local des Beaux Arts à qui ils ne purent fournir une autorisation en bonne et due forme de recherches archéologiques.

Curieuse intervention survenue sans doute après une dénonciation. Mais sur quoi se fonde l'administration concernée pour interdire le creusement d'un trou sur un terrain dont le propriétaire a donné son accord ? Il n'est pas interdit de chercher de l'eau. Et la colline des Chartreux n'est pas, que l'on sache, classée site archéologique. D'autant qu'à l'époque, le responsable régional des Beaux Arts tenait le trésor des Chartreux pour "une foutaise". Il changea d'avis par la suite.

Le comportement de ce responsable était en totale contradiction avec son opinion d'alors, selon laquelle le trésor des Chartreux serait une foutaise. Sinon, pourquoi aurait-il mis son veto au creusement absurde, selon lui, d'un trou dans une colline où rien n'est classé archéologique ? Mais sait-on jamais. La "foutaise" devait lui rappeler qu'un de ses anciens ministres n'avait pas cru stupide de s'y intéresser. Et qu'il n'y a pas de fumée sans feu.

Nos courageux chercheurs lyonnais auraient dû plutôt s'intéresser aux carrières et aux salles souterraines creusées autour du mas de Carles par les Romains puis par les moines. Le sous-sol de cette propriété est un véritable gruyère et les vastes salles en sont accessibles au prix de quelques reptations. Mais longtemps leurs accès, au ras du sol, restèrent hermétiquement obstrués par des mètres d'éboulis provoqués sans doute par les Chartreux.

Il paraît que les premiers à explorer ces salles après en avoir dégagé l'accès, y firent d'assez bonnes affaires. Ils y découvrirent de menus objets anciens, poteries, outils, ustensiles divers qu'ils monnayèrent un bon prix auprès des antiquaires du secteur, car la plupart de ces objets avaient de la valeur.

Après le départ des Romains, ces carrières souterraines restèrent inexploitées pendant tout le Haut Moyen Age. Mais la population du bourg Saint-André les utilisa maintes fois comme lieu de refuge dès qu'un péril grave menaçait leurs vies. Les Barbares qui envahirent la France durant la période des Grandes Invasions mentionnèrent dans leurs annales que des villages entiers se vidaient de leurs habitants à l'approche de leurs hordes sauvages.

Certains de ces abris-refuges, connus et répertoriés sont des souterrains parfois longs de plusieurs kilomètres, comportant diverses issues pour éviter à leurs occupants d'y être pris au piège. Les habitants de Villeneuve n'eurent pas le souci ni la peine de creuser. Les vieilles carrières romaines leur offraient, assez loin du bourg, un abri commode et sûr, pratiquement insoupçonnable.

Certaines déductions permettent d'avancer que, parmi d'autres, une galerie partait de ces salles pour aller déboucher dans une importante combe de la falaise, à proximité du point 124 de la carte IGN. Des travaux d'aménagement y sont encore visibles sous l'épaisseur des broussailles qui les recouvrent.

Cette combe surplombait jadis le Rhône qui coulait au pied de la colline. Il y avait donc, par cette galerie, un excellent moyen de fuite sur le fleuve. Le faîte de cette combe offrait aussi un remarquable observatoire permettant de surveiller toute la plaine du Rhône, à des kilomètres à la ronde.



déblais laissés par l'équipe lyonnaise
déblais laissés par l'équipe lyonnaise