Le mas de Carles, ses pinèdes et ses carrières, tout ce beau domaine appartenait au prêtre d'une paroisse avignonnaise qui l'avait reçu en héritage d'une de ses ouailles. Il fit pratiquer des fouilles importantes dans cette propriété en employant à cette fin des ouvriers itinérants, marginaux, vagabonds sortant de prison et soldats en rupture de bans, auxquels il assurait en échange, le gîte et le couvert.
L'abbé se proposait ainsi d'accéder, depuis la surface, jusqu'à la galerie principale obstruée à partir de la première salle romaine. Et l'on peut être certains qu'il en connaissait le tracé exact.
Le bruit courut bientôt dans le pays que l'un de ces ouvriers avait mis au jour, au fond du trou qu'il creusait, une galerie inattendue qu'il s'empressa d'explorer. Elle l'aurait conduit jusqu'à une sorte de crypte où, dans le sol, étaient creusés quatre trous profonds de deux mètres, disposés en croix. Au fond de chacun de ces trous, reposait un cercueil en plomb, si étroitement ajusté à son réceptacle qu'il était impossible de l'extraire sans d'importants travaux.
Aussitôt informé de cette découverte, le prêtre alla en vérifier l'exactitude. Puis il expédia à l'archevêché de Nîmes un rapport détaillé. Il en reçut sans tarder l'ordre de remettre les choses en l'état et de ne souffler mot à personne de cette découverte. L'ouvrier reçut la même consigne. Mais il ne sut pas tenir sa langue et l'affaire s'ébruita.
Si cette découverte est réelle, on peut imaginer qu'il s'agissait là des sépultures de quatre importants prélats de la cour papale d'Avignon décédés durant la grande peste noire de 1348 ou en d'autres circonstances. Les autorités religieuses compétentes auraient alors décidés que le lieu de ces sépultures devait rester secret et inviolable.
Il y a pourtant de bonnes raisons de croire que les cardinaux morts de la peste ont été inhumés ailleurs, comme nous le verrons plus loin. Alors, c'est un mystère de plus.
Il nous faut maintenant examiner les rares puits existants sur la colline. Dans ces parages, l'eau est extrêmement rare, voire inexistante et on ne la trouve que dans trois puits dignes de ce nom : celui que les romains creusèrent à côté de la maison du maître carrier, celui que les Allemands firent creuser sous l'Occupation et celui du mas de Carles, ouvrage des Chartreux. Les deux premiers ne résistent pas aux premières canicules et sont à sec durant les mois d'été. Mais le puits de Carles paraît intarissable et c'est aussi un vrai mystère. Tout comme semble mystérieuse son eau verte et translucide, d'une pureté incomparable.
Des géologues pensent qu'un petit bras du Rhône se perd sous la colline en amont de Villeneuve, pour retourner au fleuve en aval d'Avignon. C'est pourquoi l'eau de ce puits est animée d'un mouvement continuel. On peut accéder à cette vasque en passant par des salles souterraines ; l'entreprise est un peu périlleuse car les voûtes des salles sont fragiles. Mais elle en vaut la peine. On voit le conduit du puits traverser, depuis sa margelle, l'épaisseur de la voûte qui s'arrête environ à un mètre de la surface de l'eau dont la couleur et la limpidité sont vraiment magnifiques. Certains pensent que cette eau remonte jusque là par une sorte d'aven qui descend jusqu'au petit bras perdu du Rhône.
Véritables taupes, passés maître dans l'art de creuser, de capter les sources, de dériver les eaux, les Chartreux connaissaient l'existence de ce courant souterrain et comprirent le partie qu'ils pouvaient tirer d'un tel phénomène. Ils aménagèrent certainement dans le sous-sol de la colline des nappes d'eau artificielles disposées de telle sorte que les indésirables qui auraient pu s'introduire dans la galerie menant à leur trésor y déclenchent des mécanismes insoupçonnables qui viendraient les noyer. Il est probable qu'avec le temps, ces mécanismes comme d'autres pièges ne fonctionnent plus. Aux abords de Cabrion, un piège à sable est vraisemblable (en Occitan, Safrus signifie "sable").
L'abbé Persa, propriétaire du domaine de Carles, n'est plus de ce monde. De son vivant, on pouvait le voir sur ses terres, muni de fortes jumelles, en train d' observer les visiteurs. Il ne niait pas s'intéresser à un trésor caché sous la colline, ce dont attestait un grand nombre de trous souvent profonds, creusés par sa main d'œuvre particulière. Selon ses dires, la découverte de ces richesses lui aurait permis de doter enfin sa paroisse de Champfleury, à Avignon, d'une église digne de ce nom.
Un des trous que fit creuser l'abbé
Mais quand on lui demandait de quelles richesses il s'agissait, il répondait sans hésiter qu'il s'agissait du trésor des "Templiers" ! En cela, il rejoignait la conviction de Robert Charroux d'après qui ce trésor était dissimulé en terre villeneuvoise ou dans ses environs.
Pour en revenir aux bornes où sont gravées des indications relatives au secret du trésor, elles se distinguent des autres car elles portent gravé le sceau des Chartreux, un globe surmonté d'une croix, symbole de la prééminence du spirituel sur le temporel, du royaume de Dieu qui demeure, sur celui éphémère des hommes qui passent, d'où leur devise "Stat crux, dum volvitur orbis".
Comme la borne enlevée de la Boulangerie, celle implantée au point 143,6 de la carte IGN est très explicite. Sans doute aurait-elle aussi disparu si elle n'avait été extrêmement lourde. Ou bien, peut-être, fallait-il qu'elle reste en place. Mais on l'a couchée à terre, dans un épais massif d'épineux qui la rend presque invisible et inaccessible.
Les chercheurs la nomme "borne Elisée" en référence à l'inscription qu'elle porte. Rappelons que dans la mythologie grecque, les champs Élysées ou simplement l'Élysée sont le lieu des Enfers où les héros et les gens vertueux goûtent le repos après leur mort. Les dieux seuls ayant accès à l'Olympe.
Mais par ailleurs, on se souvient qu'avant de disparaître, le prophète Elie légua son manteau à son disciple Elisée. Par cet acte, il indiquait à ce dernier qu'il aurait à continuer la mission dont Iaveh les avait investis. Depuis, l'évocation d'Elisée recevant le manteau de son maître Elie signifie le devoir fait à un disciple de poursuivre la mission commencée par son maître. Ce qui fut accompli ici en 1827.
Par cette borne et son inscription, les moines ont voulu confirmer aux initiés, d'une part que c'est bien là, sous cette colline, que depuis des siècles reposent les hauts dignitaires, les cardinaux et ici, plus précisément, les évèques et archevèques de la cour papale d'Avignon, emportés par le fléau de la grande peste noire (On ne les aurait tout de même pas jetés, comme de simples quidams, dans les fosses communes du cimetière de Champ Fleuri) ; et que, d'autre part, la mission confiée à l'initié doit être poursuivie par ses successeurs.
Dans ces lieux pourtant, le calcaire "froid" ne contient aucune veine connue de pierre tendre. Mais elle passe peut-être dans les profondeurs du sous-sol. Les sept trous curieusement disposés de la borne Elisée nous ramènent à celle de la Boulangerie, cette vieille bâtisse avec son puits géant taillé dans la "molasse", qui descend dans les entrailles de la colline et donne accès aux tombeaux des cardinaux et à celui d'Innocent VI ; cette vieille bâtisse en ruines qui suscita l'intérêt d'un ministre féru d'archéologie. Il existe certainement une relation entre la borne Elisée et celle de la Boulangerie. Cette relation est sans doute un souterrain qui conduit d'un lieu à l'autre et qui descend ensuite vers Cabrion. On peut admettre qu'à l'origine, tous les souterrains circulant sous la colline étaient reliés entre eux. D'où l'acharnement des Chartreux à les obstruer systématiquement car, par n'importe lequel, on pouvait accéder à la galerie où ils dissimulèrent leurs richesses.
D'autres parlent ici d'un trésor "de Clément V" qui ne serait alors rien d'autre que celui des Templiers que ce pape prévaricateur aurait réussi à capter, au détriment de Philippe le Bel. Une certaine confusion volontaire ou fortuite a sans doute été entretenue dans les esprits de ceux qui eurent à charge de perpétuer les secrets de la colline des Quatre Chemins dont le nom lui même prête à confusion. On en vient à se demander de quel trésor il est finalement question. Et les Quatre Chemins ne sont certainement pas ceux que Monsieur C. indiquaient si volontiers à ses interlocuteurs. Aussi, pour ne pas se perdre, il faut s'en tenir au trésor des Chartreux, le seul qui soit avéré.
Toujours à proximité de la Boulangerie, on peut voir des sortes de sièges taillés dans la roche tendre. Certains prétendent qu'il pourrait s'agir de "tables cosmiques (?)", propices à la réception des rayons bénéfiques du même nom.
De fait, celui qui prend la peine d'y séjourner une heure ou deux en retire une étrange impression de bien être physique et de paix intérieure qui l'engagent à s'y attarder et à y revenir. Mais il paraît aussi qu'il est dangereux d'en abuser. Mais je n'irai pas plus avant dans ce genre de spéculation, même si j'ai expérimenté les effets bénéfiques de ces "tables".
La troisième borne directrice était implantée à l'intersection de deux chemins, au point 121,3 de la carte. D'abord arrachée et jetée à terre, relevée puis déplacée, elle a fini par disparaître. Nul doute que le lecteur perspicace aura tôt fait de découvrir le sens du message qu'elle porte gravé. Le symbole chartreux y tend à la représentation d'un calvaire qui désigne souvent un trésor caché. On notera le bel équilibre, l'égalité révélatrice, qui gouverne les inscriptions de cette borne. Sur sa face ouest, un personnage stylisé accomplit un geste précis et sans équivoque.
En avançant dans la voie clairement désignée, nous rencontrons bientôt, plantée en évidence au bord du chemin, au point 126,2, la quatrième borne directrice.
L'harmonie qui présidait aux dessins de la borne précédente, fait place ici à une sorte de délire graphique. Mais nous en devinons assez facilement la connotation topographique. Une sorte de flèche empennée nous indique la direction à suivre.
En allant dans cette direction, au bout du chemin, nous découvrons la cinquième borne directrice, à hauteur du point 125 de la carte, à l'ombre d'un if vénérable (depuis, elle a été détruite). Le symbole chartreux a été gravé sur trois faces de cette borne : sud, est et ouest. La face nord en est dépourvue, comme pour indiquer qu'il n'y pas lieu d'aller plus avant.
Sous un if, la borne 5, détruite depuis
Deux autres bornes majeures, situées aux points 104,1 et 79 de la carte IGN ont disparu elles aussi, sans que leurs signes aient pu être relevés. Il ne reste d'elles que leur socle.Ce qui permet d'établir que ces bornes "directrices", ou majeures, étaient au nombre de sept, un chiffre cher aux Chartreux, qui évoque les sept fondateurs de leur Ordre et que l'on retrouve dans les sept étoiles qui ornent le globe terrestre, symbole de l'Ordre (voir plus loin).
Si nous relions entre elles ces différentes bornes, nous définissons, paraît-il le périmètre où l'or des Chartreux a été enfoui. Et certains pensent que l'on pourrait en cerner la cache de bien plus près si toutes les bornes avec tous les signes étaient connus, ce qui est loin d'être le cas.
A l'exception de la borne Elisée et de celle de la Boulangerie qui ont une signification importante, on peut tout aussi bien croire que ces bornes ne sont que des leurres placés en divers points de la colline et couverts de signes par les Chartreux pour égarer les curieux en les attirant loin du lieu véritable où ils ont enfoui leurs richesses. Ce qui serait bien dans leur manière. Car à quoi bon dissimuler un trésor avec la volonté de le rendre inviolable si, par ailleurs, on grave sur des bornes exposées aux yeux de tous, un message crypté, justement propre à exciter la curiosité et qui permettrait de retrouver ce trésor ? Non, les Chartreux n'étaient pas si naïfs. Au contraire, ils étaient même plutôt habiles et très précautionneux.
Alors ? Alors, nous allons maintenant laisser à ceux qui voudraient entreprendre cette recherche le soin de s'y exercer pour découvrir le lieu au moins approximatif où les moines de Villeneuve ont dissimulé leurs richesses. Si des indices peuvent y aider, ce ne sont pas ceux que les Chartreux ont exposés aux yeux de tous, mais au contraire, ceux qu'ils ont si bien dissimulés et qui n'auraient dû être retrouvés que par un des leurs, initié à ces secrets.
Nous savons que ces indices ont été dupliqués sur la colline de telle sorte que, même placés en évidence dans un format amplifié, ils n'éveillent aucun soupçon d'étrangeté. C'est du reste face à ces indices que le Frère Louis avait établi son "ermitage" ; et ce n'était pas sans raisons : il surveilla l'accès à la galerie du trésor jusqu'à l'achèvement de sa plus parfaite dissimulation, ce qui dura des années. Chacun étant, par ailleurs, libre de se faire une autre opinion, on peut en déduire que la clef de l'énigme est placée sur le chemin de Cabrion et que la cache du trésor chartreux n'en est pas éloignée.
C'est, du moins, la conclusion la plus vraisemblable à laquelle je sois parvenu. En ces lieux, côtoyant le calcaire le plus dur, la molasse affleurante par endroits, s'étend dans le sous-sol, formant une veine très large et très profonde. Ici et là, quelques fissures du sol, semblables à de petits avens, descendent jusque dans les profondeurs où les moines ont creusé ; et par temps de mistral, même léger, on peut y entendre un souffle caverneux qui se propage dans les entrailles de la terre. Salles ou souterrains ? Ou les deux ? On ne sait pas. Mais l'un ou l'autre, c'est certain.
Situé dans une propriété privée dont je connais bien le possesseur, l'un de ces avens est très révélateur. Invité à le faire, j'ai pu en quelque sorte "l'ausculter". Le souffle puissant qu'on y entend est très impressionnant. Du reste, malgré un âge certain, le proprétaire des lieux creuse à l'abri des regards indiscrets, une citerne paraît-il. Il se heurtera assez vite à la molasse qui, même réputée pierre tendre, ne se laisse quand même pas travailler comme du beurre et nécessite de vrais engins de creusement. Mais cet homme est proche de la vérité. Et peut-être, ou sans doute, le sait-il, en tant que détenteur d'un grand nombre d'indices qui révèlent la cache du trésor et qu'il a lui-même photographiés jadis, à la demande de Monsieur C. Désormais, cet homme n'est plus de ce monde et il a peut-être emporté avec lui certains secrets qu'il partageait avec Mr. C.
Le trésor des Chartreux, les tombes des prélats morts de la grande peste sont là, quelque part, à quelque vingt mètres de profondeur ou davantage. Un accès amorçant un souterrain y conduit depuis la surface. Mais l'entrée en a été si soigneusement camouflée et depuis si longtemps, que la nature y a repris tous ses droits et que nul, en principe, ne pourra jamais le découvrir. Et les Chartreux eux-mêmes ont dû y renoncer. Quant à creuser, ce serait toujours au petit bonheur la chance et une telle entreprise ne pourrait échapper à la vigilance inquiète des habitants de l'endroit où les maisons ont poussé comme des champignons. Les moines n'avaient pas dû envisager cette éventualité qui rend leurs richesses enfouies encore plus inviolables que les mystères dans lesquels ils les ont enfermées.
Quant à moi, je suis convaincu qu'un jour le trésor des Chartreux sera retrouvé. Et ce sera au hasard de quelques coups de pelleteuse, quand des travaux seront effectués là où se situe l'accès aux galeries et aux salles souterraines, un accès dont, avec un peu de perspicacité, on pourrait presque deviner où il se trouve, mais qui, pour le moment et pour longtemps sans doute, reste encore bien protégé. Evoquant la célèbre énigme de la Lettre cachée, d'Edgar Poe, un très vieil habitant de Villeneuve, versé dans ce mystère, me dit :"C'est bien souvent vrai, rien n'est mieux dissimulé que ce qui est placé en évidence." Et il ajouta, en Provençal : " Tout es aqui à Cabrioun."
Finalement, on peut imaginer que l'accès en surface qui mène au souterrain initial, puis à d'autres et enfin dans la (ou les) salles du trésor et des sépultures, ressemble presqu'à l'identique à l'accès découvert par Howard Carter, qui menait à la fabuleuse tombe de ToutAnkhAmon. Comme lui, on peut le situer à la base d'une forte élévation, comblé jusqu'à ras bord et si soigneusement dissimulé qu'il reste indécelable. Comme lui, il descend ensuite dans les profondeurs de la terre. Enfin, grâce aux indices convergents, il n'est pas impossible de situer assez précisement son emplacement. Le seul problème, mais il est de taille, c'est que de nombreuses habitations ont été construites dans ces parrages et qu'elles forment autour de l'accès aux souterrains, un obstacle à peu près infranchissable. Voilà. Tout est dit. Je ne peux pas être plus précis. Mais avec un peu d'imagination et d'esprit de déduction...
Mais je ne voudrais pas en finir avec la Chartreuse sans mentionner l'existence d'une cave aux dimensions importantes puisqu'elle mesure 25 toises de long sur 3 toises de large (soit quelque 50 mètres sur 6 mètres). Cette cave se trouve en totalité sous le cloître des Frères où elle commence et passe sous le logement du Prieur et sous la Bibliothèque. Elle remonte à l'époque gothique et possède de très belles voûtes en ogive. Elle est aérée par chaque extrémité et les tonneaux qui la remplissaient étaient placés sur 2 rangées. A côté de cette cave en est une autre si humide qu'on ne pouvait y mettre que des bouteilles. C'est celle qui commence au cloître des Frères, côté Nord, pour s'enfoncer sous le jardin de la cellule d'angle du cloître Saint-Jean. Ainsi se conforte la certitude que les Chartreux étaient passés maîtres dans l'art des creusements souterrains et se conforte aussi l'hypothèse d'une crypte quelque part sous l'emprise de la Chartreuse.
On peut avec profit lire en ligne le site intitulé "Rapport sur la Chartreuse de Villeneuve-lès-Avignon" par Jules Formigé, Architecte diplômé d'Etat. (Paris 1909).