-Le Concile de Vienne avait attribué les biens immobiliers du Temple à l'Ordre des Hospitaliers. C'était une façon de conserver ces richesses à l'Eglise et d'en priver le roi qui, en dédommagement des frais qu'il avait engagés pour détruire l'Ordre des Templiers, réclama et obtint des Hospitaliers une indemnité de deux cent mille livres.
-Il restait à régler le sort des dignitaires du Temple. Ce que Philippe le Bel n'avait pas pu obtenir d'eux par la torture, Clément V, qui se présente hypocritement comme leur protecteur, va tenter de le leur soutirer par la patience et la ruse. En échange de leurs révélations il leur promet la vie sauve et peut-être une rapide libération.
-Sachant que s'ils ne parlent pas, ils seront une nouvelle fois livrés à Philippe le Bel et soumis à d'autres terribles tortures, voulant avant tout priver le roi félon des fruits de son odieux complot, Jacques de Molay et ses compagnons désignent alors au pape les caches principales où ont été mises les richesses des Commanderies, dont la plus importante qui contient l'énorme trésor du Temple de Paris.
-Comblé au-delà de ses espérances par ces révélations, Clément V fait valoir aux prisonniers que pour une bonne administration de la justice et quelle que soit la réalité des accusations portées contre leur Ordre, ils doivent reconnaître les crimes dont les Templiers ont été jugés coupable. Jacques de Molay et ses compagnons se soumettent et les cardinaux chargés de les juger leur infligent une très longue peine d'emprisonnement, peut-être même la prison perpétuelle. Les maîtres du Temple comprennent vite qu'ils ont été grugés par le pontife scélérat car, compte tenu de leur âge, ils ne peuvent que finir leurs jours dans les geôles du grand Inquisiteur de Paris, où l'on se fera un plaisir d'abréger leur existence. N'ayant plus rien à perdre, ils se rétractent. Puis, nouveau revirement dont on ignore la cause (peut-être contre la promesse solennelle du pape d'une peine de principe), ils avouent à nouveau.
Palais des Papes-Salle du trésor bas
-Clément V n'attendait que cela pour en finir avec les témoins gênants de sa duplicité. Ils sont déclarés relaps par ses cardinaux et aussitôt livrés au bras séculier du Prévôt de Paris. Hargneux et dépité, Philippe le Bel est désormais certain qu'il n'en tirera rien, car ce que ces hommes pouvaient lui révéler, ils l'ont confié à son rival Clément V qui, après s'être empressé de piller les trésors des Commanderies de Provence, a eu tout le temps de faire drainer vers Avignon la totalité des richesses monétaires du Temple. Le Conseil du roi prononce en hâte, contre eux, une sentence de mort qui est exécutée dans les plus brefs délais. On dit que caché derrière une fenêtre, le roi assista au supplice de ses victimes. C'était le 18 mars 1314, peut-être à la pointe de l'île de la Cité, mais cet emplacement est contesté. Dans un ultime sursaut de révolte, les suppliciés rétractèrent leurs aveux et proclamèrent l'innocence de leur Ordre.
-Aux yeux du cupide Clément V, l'or du Temple était devenu son bien personnel légitime, une richesse dont il entendait faire profiter exclusivement sa famille qui avait déjà fait l'objet de sa générosité ( Il pratiquait un népotisme sans vergogne : ayant cinq neveux, il fit bâtir cinq châteaux pour cette parenté et il créa nombre de cardinaux issus de sa famille). Aussi avait-il pris toutes ses dispositions pour que, d'abord entreposé dans la soute au trésor de sa résidence pontifical, l'or des Templiers, (on sait qu'il s'agissait d'environ un million et demi de florins, ce qui fait au poids, presque cinq tonnes d'or, et en valeur monétaire, un milliard d'euros), soit ensuite transporté dans une cache sûre où il n'y aurait plus qu'à le récupérer le moment venu.
chapelle St Vérédème-Graffitis sous le lierre arraché ; chappelle St Vérédème-Quelques graffitis-Une pierre portant la croix du Temple a été enlevée
-Or, ce moment approchait. N'ayant jamais cessé d'être malade depuis son élévation à la tiare, Clément V, en ce début de l'année 1314, voyait venir sa fin malgré tous les élixirs de longue vie que les moines bénédictins de l'Abbaye Saint André de Villeneuve avaient fabriqués pour lui ; de bien braves moines, et un abbé qui lui était tout dévoué et qui le servait bien. Comme lui étaient tout dévoués ses deux neveux Bertrand de Got,(Du même nom que son oncle. Les neveux des papes étaient souvent leurs fils), seigneur de Monteux, et Raymond Guilhem de Budos, Recteur du Comtat.
-Mais voici qu'encore une fois, l'Histoire étant défaillante, je vais recourir à la légende, c'est-à-dire à un récit qui s'est colporté dans le pays depuis cette lointaine époque, si lointaine que c'est une vraie chance s'il a pu traverser tant de siècles sans se perdre ni subir trop de déformations, me dit Monsieur C.
-L'emplacement de la Seigneurette, semble avoir été habité depuis la nuit des temps. Le site était déjà occupé au néolithique et peut-être une villa gallo romaine y fut-elle établie. Les bâtiments de la ferme ont été emportés plusieurs fois, durant son histoire, par les violentes crues du Rhône qui la bordait alors. Mais elle a toujours été reconstruite. Seul, son moulin à eau dont les roues étaient mues par les eaux du fleuve, a définitivement disparu.
-En ces premières années du XIVème siècle, les affaires de Blaise le meunier n'avaient jamais si bien marché. Son plus gros client, l'abbé de Saint André dont il pouvait voir l'imposant monastère planté à tous les vents au faite du mont Andaon, l'avait en estime et faisait apporter chaque année à son moulin l'abondante récolte de blé moissonnée par les moines sur leurs riches terres des alentours. On en tirait une belle farine dont Blaise n'était pas peu fier, car s'il y fallait du bon grain, il y fallait aussi le savoir faire d'un bon meunier.
-Mais revenons un peu en arrière. En cette fin de l'automne de l'an 1313, il faisait déjà froid et des pluies incessantes avaient gonflé les eaux du Rhône.Les roues du moulin tournaient à vide et Blaise s'apprêtait à passer un hiver paisible qu'il occuperait comme d'habitude, à tresser en famille de la vannerie pour la vendre aux beaux jours dans les foires du pays. Ce fut à cette époque qu'un après-midi, il reçut la visite plutôt inattendue de l'abbé de Saint André en personne.
"Bonjour Blaise. J'ai plaisir à te revoir en bonne santé. Mais je suis pressé, alors voici ce qui m'amène. Je dois t'entretenir d'une affaire importante et urgente, lui annonça le religieux. Retiens bien ce que je vais te dire et n'en souffle jamais mot à personne. Ta vie pourrait en dépendre.
-Je vous écoute, mon Père, répondit Blaise, pas trop surpris, mais un peu inquiet.
-Eh bien, voilà. Cette nuit, cinq heures après le coucher du soleil, quatre charrettes tirées par des mules viendront chez toi depuis l'île de la Motte, sous la conduite du Baile Pierre. Tu feras ranger les attelages à l'abri des regards, derrière la haie de peupliers qui borde ton moulin, et tu attendras. Un peu plus tard, ne t'en effraie pas, tu verras arriver par le chemin d' Avignon deux seigneurs accompagnés d'un capitaine et de vingt cinq cavaliers en armes qui sont chargés d'escorter le convoi jusqu'à destination. Enfin, vers minuit, la galère papale accostera au quai de ton moulin. A ce moment, l'un après l'autre, les attelages s'approcheront du ponton pour recevoir un chargement dont tu n'auras pas à te soucier. Puis ils se placeront sur le chemin de Sauveterre.
-Tu prendras alors la tête du convoi. Le chef de l'escorte et les deux seigneurs se placeront derrière toi et les cavaliers entoureront les attelages. Tu les conduiras sur la colline par la combe de la Caramude, puis, par les chemins que tu connais, tu les amèneras jusqu'à notre ferme de Saint Vérédème. Parvenu à destination tu n'auras qu'à attendre la fin du déchargement et tu ramèneras les attelages à ton moulin par le même chemin. Les charrettes et les muletiers retourneront avec Pierre sur l'île de la Motte. Tu n'auras pas à te soucier des cavaliers ni de leurs chefs ; ils passeront la nuit dans notre ferme .Souviens-toi d'oublier tout ce que tu auras fait, vu et entendu cette nuit. Et tu auras ta récompense.
moulin à eau
Blaise acquiesça sans poser de question. Et le religieux prit congé de lui. Deux ou trois fois déjà, l'abbé de Saint-André avait eu recours à ses services de guide pour des missions souvent confidentielles et mystérieuses ayant trait à leur belle ferme de Saint Vérédème qui jouxtait la chapelle du même nom. On avait su l'en récompenser largement. Blaise n'en demandait pas davantage, ne voulant surtout rien savoir de ce qui se tramait depuis quelque temps entre Avignon et Villeneuve. On disait que le pape était très malade, qu'une agitation malsaine régnait à la cour pontificale et que la garnison royale de la forteresse de la Tour était sur le pied de guerre.
Les choses se passèrent comme prévu. Cinq heures après le coucher du soleil, le Baile Pierre arriva avec ses charrettes menées par ses quatre meilleurs muletiers. Puis ce furent les cavaliers avec à leur tête leur capitaine et les deux nobles seigneurs, tous couverts de grands manteaux noirs et armés de longues épées qui brillaient sous la clarté de la lune. Comme chaque fois, après les grosses pluies, un mistral violent et froid s'était mis à souffler en longues rafales rageuses qui courbaient et malmenaient la cime des peupliers.
En attendant la galère, Blaise invita le Baile, le capitaine et les deux nobles seigneurs à venir se tenir au chaud dans sa demeure. Mais seul le Baile accepta. Les deux hommes restèrent silencieux, réfléchissant, chacun de son côté, à ce mystérieux événement nocturne. L'affaire sentait le lourd secret. Mieux valait n'en rien dire ni chercher à s'informer, de peur de se compromettre. Oui, mieux valait ne rien savoir et garder bouche cousue.
Enfin, à l'heure dite de minuit, comme surgie du néant glacial des eaux noires, parut la galère pontificale. Alors tout alla très vite. Les cavaliers et entreprirent aussitôt de la décharger et de transborder sur les charrettes du Baile les longs coffres en bois qu'elle transportait. Chaque attelage en reçut six, soit un total de vingt-quatre coffres dont Blaise ne distingua rien car, par discrétion, il se tenait loin du ponton.
arrière de la galère
Il constata seulement que ces coffres devaient être fort lourds, car six hommes suffisaient à peine pour en porter un. Puis ce fut à son tour d'entrer en scène. Il prit la tête du convoi qui s'ébranla lentement. La consigne était formelle : les équipages devaient se déplacer dans le plus grand silence possible, sans cris ni claquements de fouet. Même les roues, garnies de feutre, tournaient presque sans faire de bruit.
La montée de la Caramude fut rude pour les mules qui tendaient le col en soufflant fort et pour les hommes courbant le dos sous les rafales de plus en plus violentes du mistral qui malmenait leurs vastes manteaux noirs. Enfin on arriva au faite de la colline et par des chemins connus de lui seul, Blaise conduisit le convoi jusqu'à se destination finale, en évitant les hameaux de Four et de Pujaut.
Les charretiers firent manoeuvrer leurs bêtes pour que les charrettes entrent à reculon dans la vaste cour de la ferme bénédictine fortifiée. Puis les cavaliers commencèrent à décharger. La mission de Blaise été achevée et il commençait à prendre ses dispositions pour le retour, quand le capitaine des cavaliers le pria de venir aider au déchargement d'un coffre plus lourd que les autres.
Le meunier s'approcha du groupe d'hommes affairés qui s'agitaient autour du pesant fardeau et il porta la main au coffre. Ce fut alors qu'il aperçut, gravée dans le bois bardé de ferrures, un signe qui lui était familier, car les moines soldats de la Commanderie de Sauveterre avaient longtemps fait moudre leur grain à son moulin. C'était la croix des Templiers et Blaise eut l'impression de toucher un cercueil.