Le mystérieux assassinat de Suzanne Furimond






Affaire classée



Restait la bicyclette compromettante. Un des assassins l'a ramenée au domicile de la victime dans le courant de la nuit. Il a ouvert la porte de la villa avec la clé trouvée dans le sac à main et a placé la bicyclette dans le vestibule, hypothèse corroborée par le fait que madame Furimond ne garait jamais cette bicyclette dans sa maison, mais dans un cabanon à proximité. Cet homme a-t-il bu un pastis, écrasé un mégot et laissé sur un troisième verre une empreinte inexploitable ? On peut penser que l'un des assassins ou l'instigateur du traquenard était un ami, en tout cas une personne de confiance bien connue de la victime, car elle ne serait jamais allée à un rendez-vous qui lui aurait été fixé par un individu inconnu ou peu connu d'elle. Cet assassin, ou son commanditaire, était également informé de la venue et de la présence de madame Furimond à Avignon, ce 11 mars 1948. Le mobile du crime est l'intérêt.

A la suite de ce rapport qui n'envisage qu'un traquenard et un assassinat hors du domicile de la victime, le juge d'instruction classera l'affaire "sans suite". Et le temps passera. Si l'intérêt immédiat est bien le mobile du crime, on peut s'étonner que les assassins n'aient pas fait main basse sur les boucles d'oreilles ornées de brillants, ni sur l'alliance de leur victime et que, ayant eu accès à son appartement, ils aient négligé de prendre 450 000 francs dans son sac de voyage. Il est encore étrange que le familier de la victime ait omis de préciser à son complice qu'il fallait replacer la bicyclette dans le cabanon et non dans la maison.

Affaire classée. Tout semble dit. Même si quelques ragots douteux se colportent encore dans le petit milieu avignonnais des souteneurs et des prostituées, relatifs à la supposée personnalité trouble de la victime, à sa vie sentimentale agitée, à sa conduite et ses mœurs équivoques. N'aurait-elle pas fréquenté en habituée une guinguette restaurant de Pont d'Avignon à l'enseigne du Père Tranquille, située à trois cents mètres du lieu où son cadavre a été repêché ? Ce restaurant avait alors les faveurs des prostituées locales et des petits voyous. Il se trouvait sur la route d'Aramon où, un peu plus loin, vers la même époque, un trafiquant d'or, habitant à Villeneuve où il avait pignon sur rue, a été assassiné, en 1945, à coups de revolver.

Suzanne Furimond est même accusée d'avoir menée une vie dissolue, aimant faire " la bringue", se montrant nue en compagnie d'une maquerelle dans certains lieux de plaisirs nocturnes. Tout cela paraît invraisemblable, comme étant aux antipodes de la personnalité de la victime, méfiante, secrète et renfermée. Affaire classée, même si on vérifie encore les aveux habituels de quelques prisonniers qui s'accusent du crime, l'un d'entre eux pour se rapprocher d'Avignon où il a sa famille, un autre faisant des "révélations" pour obtenir une remise de peine.

Mais voici que l'affaire rebondit, obligeant, dit-on, un important policier parisien, le commissaire Bénichou, spécialiste du grand banditisme, à se rendre à Avignon. Un journaliste du Dauphiné Libéré, monsieur Maurice Bonnard avait été, dès le début de cette affaire qui le passionnait, mis en possession d'un renseignement assez important : peu de temps avant sa disparition, Suzanne Furimond aurait dîné à l'hostellerie chic "Le Prieuré", à Villeneuve-lès-Avignon, en compagnie de deux "inconnus de mauvais genre". Informé de ce fait, le journaliste avait alors envoyé un de ses amis enquêter au Prieuré.