Les gérants de cet établissement huppé avaient nié les faits, déclarant que Suzanne Furimond n'était jamais venue dîner chez eux. Vérité ou mensonge ? A l'époque, monsieur Bonnard n'avait pas poussé plus loin.Mais voilà que le 24 novembre 1948, la presse fait état de l'arrestation de la dame C. et de son ami R. M., anciens gérants du Prieuré. Ils sont poursuivis pour avoir été en relation avec les bandits Naudy et Danos qui ne sont rien moins que les deux principaux lieutenants de Pierre Loutrel, dit Pierrot le Fou, un dangereux criminel, chef de "la bande des tractions". Les deux gérants sont condamnés pour recel de malfaiteurs, ayant fourni aide et assistance à ces deux sinistres tueurs qu'ils ont hébergés chez eux, à Villeneuve, où ils étaient venus se mettre au vert après l'assassinat d'un gendarme.
Puis, comme ces crapules ne se sentaient plus en sécurité à Villeneuve, les gérants du Prieuré leur ont même fourni un planque au Lavandou : la villa la Largade, la bien nommée. Pourtant, les gérants avaient toujours nié connaître Naudy et Danos, alors que tout Villeneuve savait que Pierrot le Fou lui-même descendait parfois dans leur établissement. Mais on ne saura jamais quels liens unissaient ces "honorables commerçants" à de tels tueurs. L'arrestation et les mensonges des intéressés incitèrent le journaliste Bonnard à confier ce qu'il savait à la police. Les gérants ont certainement menti en affirmant que Suzanne Furimond n'avait jamais dîné chez eux, car cette dénégation est peu vraisemblable : toute la bonne société d'Avignon et de la région fréquentait peu ou prou le Prieuré. Et les deux inconnus d'un genre particulier, en compagnie desquels la victime avait été vue en ce lieu, pouvaient bien être Naudy et Danos, avec qui elle aurait été en affaire.
Raymond Naudy ; Pierre Loutrel dit Pierrot le fou ; Abel Danos dit le Mammouth
Il ne sortira rien de ces révélations qui éclairent peut-être d'un jour nouveau la personnalité de Suzanne Furimond, susceptible d'aller traiter "des affaires" à Lyon, à Marseille et d'autres sur la Côte-d'Azur, à Nice, où la bande à Pierrot le Fou sévissait particulièrement ; elle pouvait dès lors passer pour une trafiquante d'or d'envergure nationale, qui aurait eu des relations très dangereuses dans le redoutable milieu du grand banditisme. Il se disait même qu'elle savait beaucoup de choses sur certains avignonnais et vauclusiens ayant collaboré avec les Allemands. Et que même, si elle parlait...Alors, elle ne parla pas !
Pierrot le Fou, un sinistre tueur, était passé, sans état d'âme, de la collaboration avec la Gestapo, à la Résistance de la dernière heure. Le 6 novembre 1946, suite à un minable casse raté chez un bijoutier de la rue Boissière, à Paris, il se tire une balle dans la vessie en voulant rengainer son pistolet. Il meurt de ses blessures et ses complices l'enterrent clandestinement sur l'île de Limay où la police ira le déterrer. Naudy est abattu à Menton par un policier, le 31 octobre 1948. Danos, dit le Mammouth, est fusillé le 14 mars 1952 au fort Montrouge, pour collaboration avec la Gestapo. Ils appartenaient tous à la sinistre bande de la Carlingue, qui avait son siège au 93, rue Lauriston, où les collabos torturaient et assassinaient des résistants en toute impunité.Toujours à la même adresse, ils organisaient des fêtes et des beuveries qui se terminaient souvent par des orgies auxquelles leurs amis allemands participaient volontiers.
Les restes de Pierrot le Fou
Les années commencent à passer. Et les deux mille personnes qui, plus curieuses qu'attristées, assistèrent aux obsèques de Suzanne Furimond, femme de tête et d'intérêt, froide, méfiante, calculatrice, prétendue de moeurs légères et aimant faire la fête (?), peu estimée de ses concitoyens, commencent à oublier les mystères de sa vie et de sa mort.