Le mystérieux assassinat de Suzanne Furimond






Délation. Aveux et mensonges



Citroën traction avant
Citroën traction avant


Mais il en est d'autres qui semblent avoir gardé une très bonne mémoire des événements et pour qui la vengeance est un plat qui se mange froid. Quatre ans après les faits, début mars 1952, c'est presque un anniversaire, une lettre anonyme arrive sur le bureau du commissaire Henin, toujours plus ou moins persuadé de la culpabilité du camionneur Carto. Cette lettre met en cause, de façon très précise, un certain Pierre Sabloye, 33 ans, se disant agent immobilier, mais dont la profession reste mal définie. En fait, c'est un petit voyou du milieu avignonnais, qui vit au jour le jour de divers larcins et de combines médiocres. Interrogé, il ne tarde pas à faire des déclarations importantes.

Interrogé, Sabloye reconnaît que le 11 mars 1948, jour de la disparition de la victime, il a rencontré le nommé Jeannot Antonin dans le bar que tient Louis Antonin (déjà inquiété), frère de Jeannot, rue du Limas. Jeannot lui demande de lui prêter sa traction avant Citroën 11 chevaux. Sabloye refuse. Cette voiture n'est pas à lui. Elle lui a été prêtée par un ami, monsieur Vernet. Mais il accepte de conduire Antoine là où il veut se rendre, c'est-à-dire chez madame Suzanne Furimond, rue Saint-Lazare. Quand ils y arrivent, il est environ 19 heures 30 (heure approximative où le sieur Carto devrait y arriver lui aussi, ou y être déja !).

Antonin se rend seul chez la dame et en ressort environ 20 à 30 minutes plus tard (soit vers 20 heures. Il aurait donc forcément dû y rencontrer Carto, (à moins que ce dernier soit arrivé exactement à 19 heures 30, et les deux comparses peu après 20 heures). Jeannot demande une nouvelle fois à Sabloye de lui prêter sa voiture. Nouveau refus. Mais Sabloye accepte encore de faire le chauffeur, au besoin, ce qui est le cas. Rendez-vous est donc pris pour le soir, rue Saint-Etienne, à 20 heures 30, soit une demi heure plus tard (!), ce qui, même s'il y a urgence, est peu vraisemblable. Avec tous ces problèmes d'horaires qui se recoupent ou se contredisent, il semble normal que Carto ait pu longtemps être soupçonné.

A l'heure dite, Antonin monte dans la voiture, accompagné du nommé Bergea que Sabloye connaît de vue et d'un grand blond de 35 ans environ, qu'il n'a jamais vu et qui porte un chapeau. Ils se rendent dans la cour des entrepôts de Suzanne Furimond, qui jouxtent son domicile. Sabloye, qui précise être entré dans l'impasse en marche arrière, affirme être resté au volant. Les trois autres disparaissent dans la cour plongée dans l'obscurité, entrent dans l'appartement de la victime (Jeannot en avait-il volé la clef ?) et en ressortent environ trois quarts d'heure plus tard, vers 21 heures 30, portant un gros paquet non ficelé, que Sabloye reconnaît comme étant un corps humain et même plus, un cadavre. Il dit alors à Jeannot : "Nous sommes frais." A quoi l'autre lui répond : "Que veux-tu, c'est un accident". Sabloye doit ignorer qu'on n'étrangle pas quelqu'un par accident et il ne précise pas l'origine des sacs ni celle du fil de fer qui ont été utilisés pour emballer le corps. Un des comparses a-t-il bu ou fumé dans l'appartement ? Il ne parle pas non plus du sac à main de la victime.

Le sinistre quatuor repart avec le cadavre installé sur le siège arrière, entre Bergea et le blond, direction le quai de la Ligne, le Pont Suspendu et l'ïle de la Barthelasse, ou plutôt l'ïle Piot et le chemin des Sablas, où Bergea tient une guinguette très fréquentée à la belle saison, appartenant à sa maîtresse. Là, Antoine et le blond déchargent le cadavre puis, avec Bergea, ils le transportent jusqu'à la guinguette où ils restent environ 25 à 30 minutes. Ils ressortent toujours portant leur lugubre fardeau et se dirigent vers le Rhône distant d'une cinquantaine de mètres. Les trois hommes reviennent à la voiture après trois quarts d'heure environ. Aux dires de Sabloye, il est alors 22 heures. (Ce qui est peu probable).


Avignon.L'ancien pont suspendu
Avignon.L'ancien pont suspendu



Le quatuor retourne à Avignon et se disperse place Crillon. Sabloye ramène la voiture au garage Continental où son propriétaire viendra la reprendre le lendemain. Il va ensuite se coucher. Il est alors 22 heures 45. (Plutôt 23 heures 15) . Antonin lui a dit : "A demain". Ce lendemain donc, vers 11 heures 15, Sabloye se rend au bar du Petit Cabaret tenu par Antonin qui lui remet 2 000 francs pour la course de la veille (environ 50 euros). Sabloye est un gagne-petit : pour une complicité d'assassinat, ce n'est pas cher payé. Sabloye reverra Bergea et Antonin, mais jamais plus le grand blond avec un chapeau.

Si chapeau il y a, Sabloye paraît décidé à faire porter celui du crime à Jeannot Antonin qui, venu seul chez Suzanne Furimond, ce 11 mars vers 19 heures 30, l'aurait violemment étranglée "par accident" et aurait ensuite fait appel à des comparses pour se débarrasser du cadavre en l 'empaquetant, le lestant, le saucissonnant avec du fil de fer et l'emportant pour le jeter dans le Rhône. Car, pas de cadavre, pas de crime. La présence de galets du Rhône dans les sacs rend plus que probable l'emballage du cadavre au bord du Rhône, dans la guinguette de Bergea.