Le mystérieux assassinat de Suzanne Furimond
Qui a fait quoi ?
Barque du Rhône
On peut imaginer que les trois convoyeurs du cadavre l'ont placé dans une barque qui a traversé le Rhône jusqu'au pied du Rocher de la Justice, là où il est réputé être le plus profond et où, bien lesté, il a coulé à pic, les pieds devant, sans risque de refaire jamais surface, du moins à ce qu'espéraient les trois complices. Les protagonistes mis en cause par Sabloye seront tous retrouvés et entendus (sauf Jeannot Antonin). Nous avons vu que Sabloye a tout avoué de A à Z. Soit il a une imagination fertile, soit il dit vrai et s'octroie un rôle secondaire de simple chauffeur, pour minimiser sa participation à un assassinat lui bien réel et sordide. Il a, en tout cas, répété point par point les révélations contenues dans la lettre anonyme qui l'accuse lui et les trois autres et il se confirme qu'il n'y aurait eu qu'un seul assassin : Jeannot Antonin, qui n'est peut-être qu'un homme de main.
Jeannot Antonin aurait donc étranglé Suzanne Furimond "par accident" lors de la visite qu'il lui fit à son domicile. Selon Sabloye, le crime dont le mobile reste inconnu, se serait produit entre 19 heures 30 et 20 heures, alors que Carto se trouvait peut-être encore chez la victime (!).
Bergea (ce nom et d'autres ont été modifiés) purge alors une peine de prison de 8 ans à la maison d'arrêt de Nîmes pour diverses malversations et autres délits. Il déclare ne connaître ni Madame Furimond, ni aucun des protagonistes de cette affaire, pas même Sabloye, ce qui est étonnant pour un individu qui fréquente tout ce qu'Avignon compte de voyous de son espèce. Il ment sans aucun doute et refuse de signer sa déclaration. Les policiers le connaissent assez pour savoir qu'il ne parlera jamais. Par la suite, Bergea, sorti de prison, deviendra radiesthésiste pour retrouver un hypothétique trésor dont un de ses compagnons de cellule, mort en prison, lui avait révélé l'existence, tout près du pont de chemin de fer franchissant la route de Villeneuve à Sauveterre. (On croirait lire l'histoire du Comte de Monte-Cristo). Bergea sera retrouvé un jour mort chez lui de sa belle mort.
Mais voici l'affaire du trésor : un jour de juin 1944, le compagnon de cellule de Bergea, braconnait en posant des collets à lapin dans un bois touffu proche du pont de chemin de fer mentionné. Soudain il entend le bruit d'une voiture venant du nord, qui se rapproche et vient s'arrêter au bord de la route, à quelques mètres de lui, tandis qu'il reste bien dissimulé dans l'épaisseur du petit bois. Deux hommes en descendent et entreprennent de sortir du véhicule une grosse et lourde valise en cuir jaune , tout en discutant sans précaution, à haute voix, car l'endroit est vraiment désert. Aussi, le braconnier entend tout. Il s'agit pour eux de cacher provisoirement cette valise en lieu sûr, car de nombreux barrages sont établis sur les routes par les résistants et les gendarmes. Or, cette valise compromettante ne doit pas tomber entre des mains étrangères.L'endroit semble propice. Il est loin de tout, isolé et entouré d'un petit bois presque impénétrable.
Munis d'une courte pelle militaire, les deux hommes s'enfoncent dans les fourrés proches, soulèvent un monticule de cailloux, creusent un trou, y placent la valise et la recouvrent de cailloux. Puis ils retournent à leur voiture et redémarrent en direction du sud. Le co-détenu de Bergea a tout vu et tout entendu des propos échangés par les deux hommes. Il attend un bon moment puis il s'approche prudemment de l'endroit où la valise a été cachée, déplace les cailloux et réussit à ouvrir la valise. C'est un véritable trèsor qui s'offre à ses yeux : des liasses de dollars en billets de banques et en rouleaux de pièces d'or, des lingots, des bijoux, des pierres précieuses ; une véritable fortune. Le voilà enfin riche! L'homme voudrait bien s'emparer aussitôt de ce pactole, mais à part sa vieille bicyclette, il n'a rien pour transporter le précieux chargement jusqu'à Avignon où il habite. Il remet le tout en place et s'en va, se promettant de revenir le lendemain aux aurores avec son vélo et une cariole, pour emporter la valise au trésor.
Mais le lendemain, aux aurores justement, voilà que la police se présente chez lui et l'arrête. Sa fille a porté plainte contre lui, l'accusant de l'avoir violée à plusieurs reprises. Condamné à quinze ans de réclusion, il purge sa peine à la maison d'arrêts de Nimes et devenu très malade, se voyant proche de sa fin, il a confié son secret à Bergea pour que quelqu'un au moins profite du pactole qui dort sous les cailloux.
Libéré, Bergea se rendra sans tarder à l'endroit où se trouve le magot. Mais en ces lieux, ce ne sont que bois et fourrés touffus. Ne possédant que des indications verbales trop approximatives, il ne retrouvera pas la valise qui avait peut-être été déjà récupérée par ses propriétaires (sans doute des trafiquants). Mais, ayant réussi à apprendre que deux collaborateurs des Allemands circulant en voiture, avaient été arrêtés par un barrage de gendarmes sur la route d'Alès, le jour où le magot avait été caché, Bergea se persuadera qu'il s'agissait des fuyards et que le pactole était toujours à sa place. Pour le retrouver, il se fera radiesthésiste. En vain. Il mourra pauvre, sans avoir pu mettre la main sur la valise au trésor. Peut-être est-elle toujours là où elle a été dissimulée.
Comme Bergea, le grand blond supposé (Sabloye ne l'a pas reconnu sur photo) nie toute participation à cette affaire. Il ne connaît ni madame Furimond, ni aucun des protagonistes cités dans cet assassinat. C'est un petit escroc sans envergure qui a traîné entre Avignon, Marseille, Nîmes et le Gros-du-Roi et qui maintenant habite Bordeaux. Le prêteur de voiture, un certain Vernet, représentant à Nîmes, lui non plus ne connaît personne à part Sabloye. D'après sa déclaration, on peut supposer que l'assassinat de madame Furimond était prémédité et que Sabloye, qui ment, en savait quelque chose. En effet, Vernet déclare que Sabloye lui a emprunté sa voiture à la demande de monsieur Dommes, l'associé de Vernet. Or, ce Dommes, interrogé par les enquêteurs, déclare qu'il n'a jamais fait cette demande à Sabloye. Quant à Vernet, il sait, en prêtant son véhicule, qu'il pourra le récupérer dès le lendemain là où il a été remisé par Sabloye : au garage Continental.
Ainsi, le jour de l'assassinat, Sabloye avait besoin d'une voiture qu'il emprunta à Vernet, sûrement à la demande de Jeannot Antonin, même s'il ignorait à quoi ce véhicule allait servir. Car on peut difficilement croire à tant de coïncidences : Sabloye rencontrant par hasard Antonin qui avait besoin d'une voiture justement le jour où Sabloye en avait emprunté une à Vernet qui ne se demande pas pourquoi on lui a demandé de prêter son véhicule et qui le fait volontiers. Celui-là aussi ment. Et tout révèle la préméditation, la complicité entre ces hommes. Si Antonin avait vraiment l'intention de se rendre ce soir-là chez Suzanne Furimond, il pouvait s'y rendre à pied, ou à vélo, ce qui eut été plus discret qu'à bord d'une belle automobile considérée alors comme un luxe et facile à remarquer dans le quartier tranquille où habitait Suzanne Furimond. Il en circulait très peu et elles étaient vite repérées. Mais sachant ce qu'il devait faire, Antonin avait besoin d'un véhicule.