Résistance



Une nuit, l'ordre nous parvient, brutal : se porter immédiatement sur la ligne de démarcation. Nous partons dans un véritable branle-bas de combat, un peu pagailleux. Toutes sortes de troupes assez hétéroclites, venues d'un peu partout, se concentrent sur la ligne et commencent à en fortifier les positions. La fièvre guerrière s'est emparée de nous, car naïvement, nous espérons encore pouvoir contenir la ruée allemande, voire la repousser. Quelques jours se passent dans l' attente anxieuse de cet affrontement. Puis, sans un mot d' explication, comme c'est presque toujours le cas chez les militaires, notre bataillon doit replier bagages et retourner à sa caserne. Nous la réintégrons dépités, le cœur lourd, dans l'attente du pire : une deuxième débâcle, plus humiliante encore, subie sans combattre.Et c'est bien de cela qu'il s'agit.

Nous ne pouvons qu'attendre et subir la suite inévitable des événements. Une nuit, un sourd roulement continu de véhicules lourds, de camions, de chars, d'automitrailleuses, de motos, se fait entendre, qui vient justifier nos craintes : la ville est investie par l'écrasante machine de guerre allemande, qui avance comme un rouleau compresseur. Le pays tout entier va subir le même sort. Nous sommes consignés dans notre caserne. Me voici à nouveau prisonnier. Une profonde amertume m'envahit ; mais aussitôt, resurgit en moi cet esprit de résistance et cette espérance qui vont rassembler ceux qui ne se résignent pas à la défaite : non, la France ne peut pas devenir allemande et elle ne le deviendra pas !

L'armée d'armistice est dissoute le 29 novembre 1942. Quant à moi, j'ai été démobilisé dès le 27. Une surveillance assez relâchée permet aux hommes qui en ont fait le choix, de quitter la caserne et de se disperser dans la région où ils trouveront refuge. Pour ma part, titulaire d'une permission renouvelable de 30 jours, j'ai déclaré vouloir me retirer à Pont-l'Abbé d'Arnoult, en Charente-Maritime. C'est pour brouiller les pistes car, orienté par mes chefs, je me retrouve à Courbouzon, non loin de Lons-le-Saunier, dans la famille de Mr. Cazaut qui m'accueille avec beaucoup de compréhension. Je me souviens que Monsieur Cazaut, originaire du Sud-Ouest, possédait une belle voix et qu'il chantait volontiers pour son plaisir et pour le nôtre. Il est décidé que j'aiderai aux travaux des champs. J'en ai l'habitude. Une nouvelle existence commence pour moi et pour tous ceux qui veulent continuer la lutte. Nous sommes nombreux dans la région, appartenant désormais à ce que l'on nomme les "camouflés". Des officiers nous encadrent. Ainsi se constitue peu à peu une autre armée de la France : l'armée de l'ombre qui ne cessera pas de harceler l'ennemi durant près de quatre ans.

Pour ma part, j'ai été contacté par le Lieutenant Scherer, de la part du Capitaine Marielle-Frehouart et du Commandant Foucault, de son pseudo Quasimido, tous trois anciens officiers du 151 ème R.I auquel j'appartenais. Comme ils m'y ont incité, je me suis engagé aux FTPF avec prise en charge à compter du 1er novembre 1942, sous l'immatriculation C-45, groupe local de Courbouzon. J'ignore alors, comme bien d'autres, que les FTPF, ou FTP, sont une création du parti communiste français, ce que je ne suis pas ni ne serai jamais ; mais les FFI n'existent pas encore et si l'on veut entrer dans la Résistance à cette époque, on n'a guère le choix. La fusion entre les FTP du parti communiste et l' Armée Secrète gaulliste, sous le vocable de FFI, ne sera effective que fin décembre 1943, début 1944, et ne se réalisera pas partout en France à cause des rivalités entre communistes et gaullistes. Quant à Monsieur Cazaut, il a fini par comprendre que je suis un résistant actif et face au danger que cela représente pour sa famille et pour lui-même, il ne s'en montre guère enchanté. Mais il ne me chasse pas et, tout au contraire, il s'efforcera de me protéger. Je lui en saurai toujours gré.

Je mène désormais une double vie. Paisible et inoffensif ouvrier agricole dans la journée, je me transforme la nuit en "terroriste-grand filou", comme nous appellent les Allemands. Je suis l'un de ces coureurs des bois, mal équipés, mal armés, qui harcèlent l'ennemi. Et ce sont des armes qu'il nous faut d'abord trouver, à tout prix, par n'importe quel moyen. A chacun de se débrouiller pour s'en procurer une. Je décide de passer à l'action et comme ce sera la première arme que je posséderai, je la souhaite autant que possible prestigieuse.

A la tombée de la nuit, je flâne innocemment dans les rues mouvementées de la petite ville. Je suis en chasse et ne retournerai pas à la ferme les mains vides. Il faut coûte que coûte que je me procure cette arme. Ce n'est pas aussi simple que je l'imaginais. Je dois compter sur la chance et la saisir aussitôt, sans trop savoir comment elle va se présenter. Je déambule toujours ; et voici qu'elle est là, devant moi, cette chance, en la personne d'un officier allemand de belle prestance, revêtu d'un rutilant uniforme vert, qui se promène seul sur le trottoir. Cet homme paraît fier de lui, satisfait de sa personne. Il s'exhibe avec complaisance. A sa ceinture se balance ostensiblement, dans un bel étui de cuir fauve, un pistolet automatique qui stimule aussitôt ma convoitise.