Attaques et sabotages - suite



Quand le train n'est pas gardé par des soldats, il ne nous reste plus qu'à fuir sans difficulté à travers la forêt, de toute la vitesse de nos jeunes jambes. Mission réussie : l'ennemi attendra en vain le matèriel, les munitions qui lui étaient destiné. Nous regagnons au plus vite le camp lointain, pour y apporter la bonne nouvelle qui sera retransmise au PC. La plupart du temps, nous ignorons le contenu des wagons qui ont été détruits. Seuls les convois chargés de munitions sont portés à notre connaissance, car alors notre action est bien plus périlleuse et nécessite d'importantes précautions.

D'autant que ces convois sont toujours escorté par des militaires armés jusqu'aux dents. Alors, aussitôt passée l'explosion, nous entendons des cliquetis d'armes, des bruits de culasses. Les soldats allemands rescapés, souvent montés, pour leur sécurité, dans le premier ou le dernier wagon, sautent du train ou de ce qu'il en reste, se regroupent sur le ballast, s'allongent à l'abri du fossé et se mettent à tirer au petit bonheur la chance. Pour échapper à ces tirs nourris, aveugles, mais périlleux, nous devons attendre que nos compagnons, placés en protections à l'orée du bois, ouvrent à leur tour le feu, tout en se déplaçant sans cesse, pour faire croire à l'ennemi qu'il subit une attaque massive. C'est un jeu risqué. Mais les Allemands deviennent plus prudents et se mettent à couvert.

Nous en profitons pour décrocher tous comme un seul homme, selon une tactique bien établie, tirant successivement pour nous couvrir les uns les autres dans notre fuite. Les soldats devinent rapidement que nous sommes en train de fuir. Ils sortent de leur abri et recommencent leurs tirs nourris, mais toujours plus ou moins au hasard. Nous avons déjà disparu dans l'épaisseur du bois et nous sommes sauvés. Car la règle des Allemands est immuable : ne jamais pénétrer dans la forêt où des traquenards peuvent leur être tendus, où ils risqueraient d'être exterminés, ce qui est déjà arrivé à certains des leurs.

D'autres fois, il s'agit d'assurer le discret balisage nocturne et la protection d'un champ situé en pleine nature (ainsi pour l'aire de parachutage du secteur 084), où des avions anglais viendront parachuter des armes et du matériel de radiocommunications que nous récupérons pour les acheminer ensuite à leurs destinataires des maquis de la région. Ce n'est pas ce qu'il y a de plus risqué. Mais nous sommes toujours à la merci d'une dénonciation, ou d'une patrouille : le danger est partout ; la vigilance ne doit jamais se relâcher.

Une nuit, j'assiste à un véritable festival pyrotechnique. Le train que nous devons neutraliser est chargé de boites d'essence de térébenthine. A peine l'explosion s'est-elle produite que les wagons éclatent littéralement, les boites enflammées volent dans la nuit jusqu' à la cime des arbres, dans un crépitement de feux de Bengale ; comme des traits de feu, des milliers d'éclairs lumineux zèbrent le ciel noir. C'est un véritable tir d'artifice, dont le bruit est amplifié par le claquement rageur des armes ennemies. Pour autant, nous ne sommes pas dans une fête de village, un soir de 14 juillet. Il faut une nouvelle fois se dégager, s'enfuir.Et cette nuit-là, nous serons contraints d'abandonner derrière nous deux des nôtres qui ont été tués par les Allemands. Mais ils resteront anonymes car, par précaution, quand nous partons ainsi en commando, nous n'avons sur nous aucun papier d'identité, même faux, aucune marque distinctive, sinon, pour certains, un motif tatoué . Notre anonymat doit rester absolu.

Fuir. C'est souvent le maître-mot de l'époque. Car, non-content d'avoir envahi le pays tout entier et de l'écraser sous sa botte, l'ennemi décide de le faire participer à son effort de guerre. Pour cela, il instaure, le 16 février 1943, le S.T.O. de triste mémoire. Tous les jeunes gens de vingt à vingt-deux ans sont appelés à partir pour l' Allemagne afin d'y travailler dans les usines de l'ennemi qui manquent de main d'œuvre. De grands rassemblements se forment dans les cours de casernes. Certains jeunes gens tentent de se faire réformer lors de la visite médicale. D'autres partent sans état d'âme (il y aura même des travailleurs volontaires qui reviendront en se proclamant des héros victimes du STO). D'autres hésitent, se rebellent et gagnent le maquis. C'est pour moi un surcroît de travail, car je suis chargé de rallier, de recruter ces nouveaux réfractaires. C'est aussi une dangereuse responsabilité, car encore une fois, les circonstances s'y prêtant bien, nous ne sommes pas à l'abri d'une brebis galeuse qui, par ce moyen, pourrait s'infiltrer dans nos formations et nous vendre à l'ennemi.