Dénonciation



A la Préfecture de Lons-le-Saulnier se trouve un fichier où sont répertoriées les coordonnées des jeunes gens susceptibles d'être réquisitionnés pour le STO. Je reçois l'ordre de le faire disparaître. Nous avons heureusement des complicités dans la place. Ce ne sera pas une entreprise insurmontable. Mais il y a aussi des traîtres, des grebis galeuses ; alors, comme toujours, la prudence s'impose. Un matin, je me présente au service préfectoral en question. J'entre dans un bureau qu'occupe seule une jeune femme. La chance est avec moi. Mais est-ce vraiment le fruit d'un hasard ? Je joue avec beaucoup de sérieux mon rôle de candidat au STO. Quand soudain, l'employée est appelée dans un bureau voisin, pour une connexion téléphonique prétendue mal branchée. C'est le signal. J'ai repéré le fichier dès l'entrée, car j'en ai reçu une description précise : il est là, placé sous mes yeux, bien en évidence sur le bureau de la jeune femme. Je m'empare aussitôt et je quitte prestement les lieux, sans être inquiété.

Dans une autre circonstance, alors que j'assure à bicyclette une liaison dans notre secteur, je tombe sur un barrage de gendarmerie qui contrôle tout ce qui circule sur la route. Fâcheuse rencontre : j'ai oublié mes papiers d'identité mais j'en porte sur moi d'autres très compromettants ! Le pire serait de rebrousser chemin et de fuir. Je décide d'affronter le péril et je m'avance vers un gendarme posté sur un côté du barrage et qui m'a l'air plus débonnaire que ses compagnons. Arrivé à sa hauteur, je lui déclare tout net, à voix basse, que je circule sans papiers. Il fait semblant de me contrôler puis, d'un geste discret il m'invite à filer au plus vite. Je ne me le fais pas dire deux fois. Avec les gendarmes français, on ne sait jamais sur quel pied danser. Certains approuvent notre action. D'autres nous tiennent pour de dangereux communistes. Quoi qu'il en soit, ma stupide négligence me servira de leçon : désormais, je ne me déplacerai jamais plus sans mes faux papiers. Car je ne dois pas oublier que je suis à la fois un évadé, un réfractaire et un terroriste ; ce qui me fait largement encourir la peine de mort.

Cette existence aux multiples activités reste très dangereuse. Et si, jusqu'à maintenant, tout s'est déroulé sans trop de difficultés, j'ai le sentiment que cela ne va pas durer. En effet, malgré toutes les précautions que j'ai prises, j'ai fini par me faire repérer. Car l'ennemi a partout des complices dans la population ; des gens qui, pour différentes raisons, n'hésitent pas à collaborer : appât du gain, idéal personnel, fidélité au vieux maréchal, espoir que le péril rouge sera contenu, puis vaincu par les Nazis. Nous les considérons tous comme des individus très dangereux, car ils sont prêts à renier et à dénoncer leurs compatriotes engagés dans la Résistance, qu'ils tiennent pour de dangereux agents de propagation du péril rouge.

Un jour, un de mes amis bien placé dans à la hiérarchie de notre réseau, me fait dire que je suis "brûlé" et que la Gestapo me recherche, bien que mon signalement semble être encore assez vague et même plutôt confus. Par deux fois, la sinistre traction avant grise, ou noire, s'arrête devant la ferme de ceux qui m'abritent. Par chance, la première fois, je m'étais absenté. La seconde fois, l'alerte est chaude : j'ai tout juste le temps de m'enfuir par le jardin situé à l'arrière de la maison. L'heure est venue pour moi de changer mon fusil d'épaule. Je quitte la ferme hospitalière où je revenais avec plaisir après chaque opération Et je romps définitivement avec la vie "civilisée", pour rejoindre le maquis que je connais très bien, ayant été en constante relation avec lui. Je vais y devenir ce que l'on appelle entre nous un "homme des bois".

Nous sommes dans les derniers jours de novembre 1943. Je gagne la montagne et le bois de Chaux où sont implantés les camps de maquisards de Montrond. Bien m'en a pris, car une semaine plus tard, la Gestapo arrive en force dans le village que j'ai quitté. Les maisons suspectées sont soumises à une fouille brutale, les habitants interrogés sans ménagement. La panique s'empare de ces braves gens : les SS ne vont-ils pas brûler le village, fusiller ses habitants, comme ils l'ont déjà fait dans la région ? Le pire est évité. Mais au cours de la fouille, des porteurs de l'étoile jaune et des membres d'une cellule communiste sont découverts et arrêtés. Ils vont aller croupir avec bien d'autres dans les geôles de l'ennemi, en attendant un sort malheureusement bien pire.