Au maquis de Mont-Sous-Vaudrey.



Je me rends au P.C. de l' Armée Secrète, installé dans une maison forestière, afin d' y contacter le chef du maquis, un ancien officier de mon régiment, le Lieutenant Scherer que je connais bien. Le 1er décembre 1943 je suis officiellement enrôlé à l' état-major de l' AS du Jura, sous le matricule JP 66, avec le pseudo de Pierre Marchand, dit Pierrot. D'ordre du chef de Bataillon Le Henry et du Lieutenant-Colonel Vandelle, je suis affecté à la Section Servin N° 2, comme chef de groupe. Le lieutenant Scherer me confie en effet le commandement d'un groupe qu'il faut encadrer et réorganiser. Ce groupe est constitué de jeunes gens venus de divers autres camps, décimés par les actions guerrières. C'est une tache ardue que de réussir à imposer sa volonté à un ensemble aussi disparate, plutôt rebelle à la discipline.

Bien plus tard, revenu de déportation, j'apprendrai que j'ai été nommé rétrospectivement, pour mon action au maquis, Sergent des FFI à compter du 20 septembre 1944. Je conserverai ce grade, à titre "fictif", quand j'entrerai dans les Forces Françaises d'Occupation en Allemagne.

Mes nouveaux camarades s'appellent René, Kid, Casse-Trogne, Sousse, le Fouquet, le Chtimi, Marius : ce sont des sobriquets ou des noms d'emprunt. Ils viennent de Marseille, de Lille, de la lointaine Afrique, aussi bien que de la proche région jurassienne. Il y a le titi parisien, le paysan, le métallo, l'instituteur, l'étudiant. Il y a ce personnage haut en couleur, ce vieux Pépito, affublé d'un prénom espagnol, bien qu'il soit italien, évadé de la prison centrale de Besançon, où il était incarcéré pour avoir assassiné sa femme, ce qui n'est pas vraiment une référence de bon aloi. C'est un homme toujours triste et terrorisé ; il est arrivé d'un autre camp de la montagne. Celui que l'on appelle sans méchanceté le Grand Crétin sera le cuisinier de notre camp. On ne peut pas dire que ces hommes soient des enfants de chœur, faciles à manoeuvrer et ils me donneront du fil à retordre mais, dans les coups durs, je pourrai compter sur eux.

Tout ce petit monde, placé sous ma responsabilité, vit dans la grande baraque en bois ayant appartenu aux Chantiers de Jeunesse chers à Pétain. Subtilisée dans la plaine, démontée, elle a été remontée ici, dans cette clairière de la forêt de sapins, de "charbonnettes", de fayards de chêne. Dans la baraque, les lits à couvertures militaires sont surmontés de planches à paquetage, reliques de la vie de caserne. Une grande table rustique, où nous prenons nos repas, occupe le centre de la pièce. Il y a aussi le fourneau et une petite table-bureau pour les écritures. Au-dehors, sont installées les tonnes où se trouve la réserve d'eau qu'il faut aller chercher plus bas, à la maison forestière du P.C.

Au début, handicapé par mon jeune âge, j'ai beaucoup de mal à m'imposer à ces hommes. Une discipline de fer doit régner ici. C'est une question de vie ou de mort. Et c'est à moi de l'imposer. Lentement, patiemment, j'arrive pourtant à mes fins. Nous menons une vie très organisée, avec ses corvées quotidiennes, ses gardes de nuit au cours desquelles les hommes se succèdent, deux par deux, pour veiller à la sécurité du camp. Avant d'aller me coucher, je fais le tour des postes de sentinelles. J'aime ce moment de solitude, cette promenade nocturne en forêt, elle me vivifie et m'apaise. Je m'y trouve en sécurité, comme dans un cocon ouaté de verdure, où rien de grave ne devrait pouvoir survenir et je parviens alors à oublier toutes les contraintes qui pèsent sur moi, tous les périls qui nous menacent.

Mais il en est d'autres parmi nous qui ont peur de ces heures nocturnes où leurs terreurs d'enfants se réveillent. Une nuit, je suis tiré de mon sommeil par un appel angoissé : " Les Allemands sont là !". Je bondis hors du lit et je hurle ": Alerte ! Tous à vos postes !" Tandis que tout le monde s'agite dans la cabane, j'accompagne les sentinelles pour une prudente inspection des alentours.