Au maquis - suite



Nous avançons en silence, à pas de loup, retenant notre souffle. Apparemment tout est calme aux abords immédiats du camp. Nous poussons plus loin, pour une tournée complète des postes avancés. Rien d'anormal. Il se trouve que les deux hommes qui ont donné l'alerte ont été tout bêtement victime d'une hallucination, une banale terreur nocturne due à un excès de tension nerveuse. C'est cependant une faute grave, qui m'oblige à les réprimander avec sévérité. Je dois aussi en rendre compte et ils seront également punis par les responsables du P.C., pour leur manque de sang-froid.

Autre incident dans la vie du camp, mais bien plus grave cette fois. Malgré un sévère passage au crible, à chaque échelon du réseau, un traître est parvenu à s'infiltrer parmi nous. En tant que nouvelle recrue, comme c'est l'usage, l'homme est placé jour et nuit sous surveillance et son comportement a fini par éveiller les soupçons. Une enquête approfondie est menée sur le passé de cet individu. Elle révèle que nos soupçons étaient fondés : cet homme est à la solde de la Gestapo. Quelque peu malmené, il avoue tout et n'aura pas l'occasion de faire un rapport à ses maîtres. Je le conduis au P.C. où justice sera faite... d'une rafale de mitraillette : justice sommaire et sans pitié ; c'est la loi du Maquis. Je dois reconnaître que ce traître, appartenant à la Milice, s'est montré courageux devant la mort.

L'hiver est maintenant arrivé, revêtant la forêt de sa parure blanche. En d'autres temps, ce spectacle aurait pu nous sembler poétique. Mais pour nous, l'hiver n'a rien d'un enchantement. Au contraire : établis au plein coeur de la forêt, nous devons en affronter toute la rigueur. Les tâches à accomplir deviennent chaque jour de plus en plus pénibles. Même pour ceux qui l'appréciaient, la garde de nuit n'est plus un plaisir. C'est dans le froid glacial de la montagne qu'il nous faut maintenant patrouiller des heures durant. Les corvées de ravitaillement sont particulièrement épuisantes.

L'une d'elle, que j'accompagne, a bien failli tourner au tragique. La descente jusqu'au P.C. de la maison forestière se passe sans encombre. Mais sur le chemin du retour, la neige se met à tomber dru, à gros flocons blancs, épais et froids, pendant des heures et des heures, sans interruption. Lourdement chargés, les mulets s'enfoncent bientôt jusqu'à mi-pattes dans l'épaisseur immaculée qui recouvre le sol. La montée est dure, abrupte. Le ciel vire au noir et, très vite, une obscurité sinistre envahit la montagne. Un vent violent se lève, qui fait tourbillonner, en mugissant lugubrement, de gros paquets de neige glaciale, cinglant les visages, aveuglant hommes et bêtes. C'est la tempête, si redoutée, même des montagnards les plus aguerris.

La lente escalade se poursuit encore un moment, à l'aveuglette, car nous nous sommes, depuis longtemps, égarés hors de notre piste qui a disparu sous la neige. Je décide de faire une halte. Epuisés, les doigts gourds, l'estomac vide, nous creusons un igloo pour les hommes et une tranchée pour les mulets. Ceci fait, nous pouvons allumer un feu réconfortant et casser la croûte. Ecrasés de fatigue, les hommes s'endorment. Et la neige, sans trêve, continue à tomber, le vent lugubre hurle en tourbillonnant parmi les arbres qui ploient et craquent sous leur blanc fardeau. La lueur blême d'une fin de jour tombe sur un paysage inconnu. Nous sommes vraiment perdus ; et peut-être, dans des parages dangereux.