Au maquis - suite 2



Je pense à nos camarades qui nous attendent là-haut, dans l'angoisse. Et je ronge mon frein en silence. Il n'est pas possible de repartir dans une pareille tempête, ce serait aller vers une mort certaine. Le temps passe lentement dans l’atmosphère confinée de l’igloo. Le vent et la neige semblent ne plus vouloir cesser. Avant de tenter une sortie nous allons attendre jusqu'au lendemain, calfeutrés dans notre abri. Par chance, au cours de la nuit, le vent s’est peu à peu calmé, les flocons de neige sont devenus moins denses. Quand nous mettons le nez dehors, à notre grand soulagement, tout est presque redevenu normal. Nous pouvons nous remettre en marche. Les mulets ont bien résisté. Tout comme nous, ils ont repris des forces. Grâce à ma précieuse boussole, je peux retrouver la bonne direction. Lorsqu' apparaît notre cortège, c'est un grand soulagement accompagné de cris de joies chez nos compagnons du camp, qui nous croyaient tombés aux mains des Allemands, ensevelis sous la neige ou morts de froid dans la tempête. Et dont la survie dépendait de notre retour.

Après cet incident, la vie reprend son cours, de façon moins active, car les grandes chutes de neige on commencé et elles ralentissent notre rythme. L’hiver tire en longueur. Nous ne sommes qu'en février. Mais d'ici quelques semaines, le printemps commencera à poindre, la nature s'éveillera et ses hôtes sortiront peu à peu de leur léthargie hivernale. Pour nous aussi ce sera une résurrection. Nous sommes de jeunes hommes : nous voulons vivre ; et la sève printanière montera aussi en nous. Mais si nous l'espérons, nous le craignons tout de même un peu ce printemps. Car nous ne savons pas ce qu'il nous réserve. Et cette incertitude tempère notre joie, notre impatience. Une certaine angoisse nous habite : la lutte, la guerre, va reprendre, peut-être plus dure, plus impitoyable, après la longue trêve de l'hiver.

Et c'est bien ce que nous craignions. De diverses sources, notre P.C. apprend que les Allemands sont fermement décidés à nettoyer la région des terroristes qu'elle abrite, devenus trop dangereux pour leur sécurité. Comme la peur n'évite pas le danger, nous sommes tout aussi décidés à nous battre, à être pour l'ennemi une plaie toujours ouverte. Nous ne baisserons pas les bras. Du reste, nous n'avons plus le choix. Alors la vie hasardeuse recommence.

Deux ou trois fois par semaine, ce sont les départs en embuscade ; les attentes anxieuses à l'orée des bois ; l'arrivée des véhicules ennemis bien protégés qui recommencent à circuler ; l'attaque avec nos modestes moyens, à un contre dix, pour affronter des soldats bien équipés, abondamment pourvus en armes des plus modernes, des plus performantes, celles-là justement que nous convoitons. Pourtant, nos propres armes, même modestes crachent aussi la mort. Les premiers abattus sont les motocyclistes qui précèdent les convois. Blessés ou tués, ils sautent par-dessus leur siège, comme des pantins désarticulés, et vont s'écraser sur la route ou sur les talus, tandis que leurs engins poursuivent un moment leur course folle. C'est sur eux que nous pouvons récupérer le plus facilement des armes qu'ils ont perdues dans leur chute. Le convoi s'arrête. Les soldats allemands sautent des camions en hurlant des imprécations et se mettent à tirer, un peu au hasard, sans avoir, eux, à économiser leurs munitions. Nous répliquons brièvement et nous décrochons, avant que l'ennemi ait eu le temps de repérer d'où venait l'attaque et de s'organiser. Cette tactique de harcèlement qui nous permet ainsi de récupérer quelquefois des armes et des munitions, même si peu que ce soit, rend les Allemands furieux. Nous savons que si nous étions pris, ils nous abattraient sur place. Dans la fuite, cette perspective nous donne des ailes.

Tuer ou être tué, telle est la règle d'un jeu sanglant que nous avons accepté de jouer, car nous devons créer chez les Allemands un climat d'insécurité et de peur. J'ai ainsi personnellement tué des hommes dans le feu d'une action guerrière Mais je ne sais pas si j'aurais été capable de tuer des soldats allemands de sang-froid, au couteau, comme le firent certains d'entre nous, par exemple dans le métro parisien, comme je l'appris plus tard.

Ces petites victoires nous permettent de faire un retour triomphant au camp lointain. Car un bon renard chasse loin de son terrier. Nous sommes harassés, mal rasés, déguenillés. Nous ressemblons à des bandits de grands chemins et notre seule apparence doit inspirer la terreur ; tels quels, avec notre étiquette de terroristes, nous sommes pourtant les ultimes combattants d'une France malmenée, exploitée, humiliée et ruinée par l'occupant. Et les Allemands ont appris à nous redouter, car nous mettons leur vie en péril et nous nuisons à la sécurité de leurs communications.