Fin du maquis



 Affiche de propagande SS en France



Ils sont malgré tout de mieux en mieux organisés et aguerris. Dans les accrochages qui suivent, nous commençons à subir des pertes sensibles. Ce sont des camarades, des amis qui tombent. Ils sont souvent très jeunes et nous ressentons durement leur perte. Sous la pression de l'ennemi, nous abandonnons parfois nos camps à la hâte, pour nous réfugier en des lieux plus sûrs, plus reculés, presque inaccessibles, totalement isolés. Cette errance dans la solitude de la montagne ne garantit même plus notre sécurité. Pour certains, il s'ensuit une baisse du moral. Leur détermination fléchit. Il nous faut exhorter, réconforter, parfois menacer, car tout homme qui quitterait le maquis représenterait pour nous un danger grave. C'est pourquoi la moindre tentative entraînerait l'exécution du fuyard. Mais quand la peur gouverne les hommes, on peut s'attendre à tout et surtout au pire : la trahison.

C'est alors que survient l'incident de l'avion "espion". Un matin, alors que chacun vaque à ses occupations dans la paix de la clairière encore enneigée où nous sommes installés, les oreilles se dressent, les têtes se lèvent, les regards deviennent inquiets. Aucun doute, c'est bien le bruit d'un moteur d'avion qui perd de l'altitude et se rapproche. Nous courrons nous abriter dans la forêt, qui nous dissimule aux regards. Le petit avion surgit au-dessus de la clairière, tourne autour un moment, observe, prend sans doute des photos du camp, puis repart sans hâte après avoir achevé son repérage. Nous comprenons qu'il n'est pas venu ici par hasard. Nous avons sûrement été trahis. Et nous sommes maintenant repérés, localisés. L'étau va se resserrer. Le pire est à craindre désormais, car ne sachant plus où aller, ne pouvant pas fuir sans but, indéfiniment, nous nous sentons acculés, traqués, comme pris dans un piège.

Ce que nous redoutions survient à quelques temps de là. Dans la nuit du dimanche 27 au lundi 28 février 1944, le profond silence nocturne de la forêt est soudain traversé par des bruits de rafales, les hurlements des sentinelles «: Alerte ! Les Allemands attaquent ! Tous à vos postes !". Cette fois, ça y est ! C'est pour de bon ! Nous sautons sur nos armes toujours prêtes, à portée de main ; en toute hâte nous enfilons pantalon, chemise, veste et chaussures, pour ceux qui peuvent ; et nous nous précipitons au-dehors. Les sentinelles accourent vers nous, hors d'haleine. Elles confirment l'alerte. Les hommes patrouillaient le long d'un sentier forestier, quand la première salve a éclaté non loin d'eux. Ils ont pu s'enfuir grâce à leur bonne connaissance des lieux et à la couche de neige encore épaisse qui a étouffé le bruit de leur course.

Nous comprenons alors que l'acte final de notre long combat va commencer. Nous avons été regroupés dans ce camp où nous sommes environ quarante cinq hommes venus de différents autres camps. La lutte sera inégale : l'ennemi est bien plus nombreux, bien entraîné, bien armé et décidé à en finir avec nous. Mais, s'il faut mourir, nous sommes décidés à vendre chèrement notre peau.

C'est donc avec une ferme assurance, mais le cœur battant, que nous gagnons la forêt, vers nos postes de combat. Nous occupons nos positions, embusqués à l'abri des arbres ou des rochers, alors qu'au loin, la fusillade crépite. Nos hommes des avant-postes se défendent avec énergie. Aux rafales succèdent de brèves accalmies. Mais le combat se rapproche. Nos camarades déjà engagés se replient et reviennent en courant. Derrière eux, se dessinent bientôt les silhouettes des premiers attaquants ennemis, qui, pour se donner du courage, se précipitent vers nous en poussant des hurlements sauvages.

Alors, le feu de l'enfer déchaîne son vacarme. La forêt tout entière n'est plus que bruit et fureur guerrière : les grenades éclatent, les mitraillettes crépitent, les fusils claquent, les mortiers courts grondent, les balles frappent autour de nous, les coups de sifflet stridents de l'ennemi vrillent l'air. Nos armes répondent par un feu nourri. Tout n'est plus que fracas, déflagrations, hurlements, dans un affrontement terrible et impitoyable. Des deux côtés, la peur initiale a fait place à la rage de tuer, de vaincre ou de mourir en faisant un carnage de ses adversaires.