Massacre



 La Milice de Vichy


Les uniformes verts des militaires de la Feldgendarmerie et noirs des SS se mêlent aux longs vêtements sombres des agents de la Gestapo et aux uniformes bleu-marine de la Milice française. Car nous sommes aussi traqués par nos propres compatriotes, qui sont les plus acharnés, les plus impitoyables. Le combat fait toujours rage, mais face à nous, l'ennemi est bien trop supérieur en nombre et en armement, sinon en vaillance. Il est aussi très bien renseigné sur nos positions. Le traître a bien fait sa sale besogne. Nous reculons, nous cédons du terrain, en lançant des grenades, en tiraillant ; nous sommes presque à court de munitions. Et l'encerclement se poursuit, la tenaille se referme sur nous. Tout semble devoir se conclure très vite .

Car nous avons perdu la partie. Je tente ma chance en essayant de m'enfuir, contournant en courant la cabane. Un Allemand la contourne lui aussi, en courant en sens inverse. Nous nous retrouvons face à face. Sa mitraillette heurte avec force ma poitrine . Je tombe à la renverse. Lui aussi. La stupeur est telle qu'il n'a pas le réflexe de tirer. Je me relève et repars en courant ; pour tomber nez à nez sur un groupe de miliciens. Je lève les bras, car ceux-là tirent à vue, sans réfléchir. Je me rends, sachant que notre commandant, le lieutenant Scherer, a décidé de capituler : il veut éviter un massacre complet. " Hände hoch !" Tous les bras se sont dressés. L'espoir est mort. A coups de crosse, à coups de pieds, nous sommes poussés, comme du bétail, vers la clairière qui jusque là nous avait si bien abrités et protégés.

Abrutis de fatigue, usés par l'émotion, nous nous regardons, incrédules, humiliés, qui en chaussettes, qui pieds nus, qui torse nu, dans la neige, les pantalons baissés sur ordre des Allemands, livrés sans défense à nos ennemis, à leurs injures grossières, à leurs coups, à leur hargne. Mais ce qui nous fait frémir de rage, c'est de subir le même traitement de la part des Miliciens abhorrés et redoutés, de ces compatriotes que nous considérons comme des traîtres et réciproquement. Les Allemands vont procèder méticuleusement aux vérifications d'identité. " Vos faux papiers" , a ironisé un de leurs officiers.

Les fausses cartes sortent des poches avec précaution. Le moindre mouvement un peu brusque serait sanctionné d'une balle. Mais qui se cache sous le nom de Pierre, Jean, Paul ou Jacques ? Pour ma part j'ai déjà dû changer plusieurs fois d'état civil et de profession. Les Allemands savent qu'ils ne pourront pas nous identifier et cela les rend furieux. Le temps passe, lentement. Nous sommes toujours debout, bras levés au-dessus de la tête. Il ne s'agit pas de se relâcher. Si un bras retombe, un violent coup de crosse sanctionne aussitôt cette faiblesse. Les sentinelles ennemies forment un cercle vigilant autour de nous . Nous ne devons attendre aucune indulgence. Aux yeux des Allemands, nous ne sommes que des terroristes, des saboteurs, de sinistres tueurs. Nous serons traités comme tels, et non comme des soldats faits prisonniers ; encore moins comme des patriotes.

La vérification s'achève. Aussitôt, l'officier chef des S.S. désigne du doigt une dizaine de nos compagnons qui doivent sortir des rangs. On leur arrache leurs papiers. Pourquoi eux ? Peut-être parce que le traître qui nous a vendus les a particulièrement signalés. Ou bien, plus certainement, au hasard. Sans une explication, sans un mot, les mains toujours levés, ils sont conduits tout près de là, dans les fourrés. Nous avons compris aussitôt ; eux aussi, hélas. Les culasses claquent, des détonations, des cris retentissent. Nos camarades sont morts. Ils ont trouvé, au bout du chemin, ce pourquoi ils se sont tant battus : la liberté... Mais pour eux maintenant, elle est éternelle.