En prison à Lons-le-Saunier, Caserne Bouffez



Caserne Bouffez

Nous voici arrivés à la caserne Bouffez de Lons-le-Saunier. Il fait encore nuit noire, en ce petit matin glacial de février, quand s'ouvre sur nous la porte de la prison réservée à la Gestapo. C'est dans cette ville, qu'il n'y a pas si longtemps, me semble-t-il, je me suis emparé de ma première arme. En quelque sorte, je peux penser que c'était le bon temps ! Et je comprends mieux qu'il faut avoir perdu la liberté pour en connaître tout le prix. Nous nous entassons comme nous le pouvons dans un étroit cachot où nous sombrons vite dans un profond sommeil, apaisant et réparateur, qui nous dispense un oubli bienfaisant. Le lendemain, la journée s'écoule dans une atmosphère de dépression. Nous payons le stress accumulé durant notre arrestation.


Un bruit de porte qui s'ouvre soudain à grand fracas, nous tire de notre léthargie. Un gros corps est projeté sur nous sans ménagement. C'est un bonhomme furieux, qui jure et crache avec fureur : " Moi, qui n'ai rien fait de plus que vendre un peu de schnaps à des sentinelles allemandes, on me jette en prison ! Et avec qui ? Avec des bandits !" Nous sommes bien éveillés cette fois ; et à notre torpeur succède l'indignation :" Alors, nous sommes des bandits ! Eh bien, on va voir ça !"Les coups s'abattent comme grêle sur le gros bonhomme qui circule de main en main, refait un tour, comme un ballon de caoutchouc mou que l'on se passe de l'un à l'autre. Il geint, pleure, demande pardon en implorant : il a une femme et des enfants...La correction s'achève. Il se le tient pour dit et reste tassé dans son coin, sans plus se plaindre. Ce passage à tabac a soulagé nos nerfs de "bandits".


Un nouveau matin se lève. Dans notre cellule, la vie s'organise. Bien qu'avec beaucoup de précautions, car nous redoutons les mouchards, nous pouvons très vite communiquer avec nos voisins des cellules de droite et de gauche au moyen de coups frappés contre les murs. Nous apprenons qu'un des chefs de notre réseau et deux de nos camarades se trouvent dans la cellule immédiatement à gauche de la nôtre. Il semble que l'opération menée par la Gestapo se soit déroulée sur une grande échelle et qu'elle ait été fructueuse pour eux. Je suis obsédé par le salaud qui nous a vendus. Comme je voudrais pouvoir tenir cette ordure entre mes mains !


Le temps se passe à échanger des nouvelles, à guetter l'arrivée de la soupe, non sans que se produisent quelques incidents comme la violente crise de nerfs qui secoue soudain un de nos compagnons. Nous aurons beaucoup de mal à le maîtriser dans ce cachot surpeuplé. Pour le moment, le régime de la prison n'est pas trop pénible. Nos gardiens sont de vieux soldats de la Wehrmacht, relativement accommodants. Mais, dès le troisième jour, tout change. Nous entendons dans le couloir de sinistres bruits de bottes, la grosse clé du verrou tourne à grand bruit dans son logement. Que va-t-il se passer ? Nous l'apprenons vite. " Raus ! Schnell ! Des hommes parmi nous sont appelés, extraits de notre groupe et emmenés menottes aux poignets. Nous allons attendre leur retour avec anxiété, sans même être certains qu'ils reviendront.