Au Fort Montluc



Fort Montluc


Nous sommes parqués dans une vaste cour au portail hermétique, entourée de hauts murs gris, qui transpirent la tristesse, la souffrance et le désespoir. Surveillés de près par une solide escorte, on nous conduit à notre nouvelle cellule par de longs couloirs humides et froids, bordés d'épaisses portes de bois munies d'un judas grillagé et bardées de lourds verrous. Face à ce décor glacial et lugubre, nous nous prenons à regretter notre petite prison provinciale, presque intime et douillette, avec sa dimension encore humaine et ses vétérans bonhomme du corps des sentinelles.

Combien d'êtres anonymes enfermés ici, croupissent en silence derrière ces portes au bois noirci, où ils vivent leur dernière journée, leur dernière heure ? Ce silence est oppressant, il crée une ambiance de totale déshumanisation. Alors oui, nous la regrettons notre prison dont on pouvait encore s'évader. Ici , aucun espoir de fuite. Nos trois camarades de Lons-le-Saunier n'auraient pas même pu franchir la porte de leur geôle. Il faut renoncer à tout, sauf peut-être à tâcher de survivre et à espérer malgré tout. En ce lieu, nous sommes vraiment entre les griffes de nos ennemis, emmurés au cœur de leur citadelle. A tout instant, le pire peut survenir.

L'attente recommence. Les coups sur les murs -le téléphone des bagnards-, nous apprennent que dans la geôle où nous sommes, l'espoir n'a malheureusement pas cours. Il est très rare qu'un prisonnier en sorte pour se retrouver libre. De fait, mais on n'a pas osé nous le dire, notre geôle, c'est l'antichambre de la mort, celle qui précède le jugement et la sentence, jamais l'acquittement. Et il n'y a pas d'autre sentence que le peloton d'exécution. Car ici, je l'ai dit, chaque jour, on torture, on juge, on condamne, on exécute ou, exceptionnellement, on déporte. Chaque jour aussi, des otages arrêtés aux fins de représailles sont fusillés sans jugement. Celui que deux sentinelles emmènent vers l'incertitude de son destin, ne sait pas s'il reviendra et si oui, dans quel état. De toute façon, il ne sera plus qu'un mort-vivant, en partance pour les ténèbres.

A chaque fois, nous nous demandons tous avec anxiété à qui est destiné ce sinistre bruit de bottes qui résonnent comme un glas dans le silence du couloir. On tire des verrous, une clé tourne, une cellule s'ouvre, ailleurs, plus avant ou plus loin. Ce n'est pas encore pour nous. L'angoisse est permanente, taraudante, elle ne nous quitte ni le jour, ni la nuit. Elle nous glace sans qu'aucune pensée réconfortante, sans qu'aucune étincelle d'espérance, ne vienne réchauffer nos cœurs. Nous savons que nous allons mourir, que même, nous devrions déjà être morts. Mais, quand, comme la plupart d'entre nous, on est si jeune, il est difficile, voire impossible, de se résigner totalement à cette idée.