
L' attaque du train
Les Allemands ne perdent pas de temps. Peu après cela, nous sommes extraits de notre cellule et conduits dans la grande cour centrale où sont déjà rassemblés d'autres camarades. Nous sommes enchaînés deux à deux, comme des forçats. Mais qu'importe ! Nous vivrons. Et peu à peu renaît en nous, puissant, jubilatoire, l'espoir qui nous avait quittés : on peut toujours s'évader d'un camp de travail ! Nous n'avons pas de raison d'en douter. L'occasion fera le larron.
Pour l'heure, nous sommes embarqués dans les camions et nous quittons ces lieux où nous avons connu, après les tortures physiques de Lons-le Saunier, la torture morale tout aussi terrible, sinon plus, de notre exécution attendue, guettée, la peur au ventre, à l'orée de douze petits matins. Nous arrivons devant une modeste gare de banlieue, déserte à cette heure matinale. Le train est déjà là, prêt pour le départ.
Nous n'en revenons pas : c'est un train ordinaire et nous nous y installons dans de confortables wagons de voyageurs ! Hors les murs de leurs prisons, les Allemands deviendraient-ils plus humains ? Mais nous sommes toujours attachés deux à deux, les menottes nous meurtrissent les poignets, des sentinelles en armes arpentent les couloirs, les rideaux ont été soigneusement tirés. Enfin, nous sommes bien assis, nos sièges sont confortables et, tout étant relatif, quand le train s'ébranle, nous pourrions presque croire que nous partons pour un voyage ordinaire dont, cependant, nous ne connaissons ni la raison ni le but.
Le train roule sans un arrêt à petite allure. Nous ne savons pas où nous sommes, ni quelle est notre destination. Partis le matin de bonne heure, nous restons depuis sans manger ni boire, si bien que nos estomacs qui respectent les heures des repas, nous font comprendre que midi est passé depuis longtemps. Qui dort dîne ! La somnolence nous gagne peu à peu. Soudain, une fusillade nourrie nous en tire brusquement. Et le choc violent qui suit nous réveille tout à fait. Dans une secousse soudaine, un wagon a quitté les rails, en entraîne d'autres qui roulent sur le ballast, s'incline sur le côté sans se renverser. Celui où nous nous trouvons tangue aussi fortement, mais résiste et finit par s'immobiliser toujours sur ses roues.
Aussitôt, en hurlant " Alerte, les partisans ! " les sentinelles ont sauté sur le ballast où elles se couchent et commencent à riposter au tir de l'assaillant. Des ordres sont donnés : " Si les terroristes montent dans les wagons, tous les prisonniers seront immédiatement abattus ! " Je n'ai que trop bien compris cette menace et j'en fais part à mes camarades qui voient une nouvelle fois la mort roder autour de nous.
A l'extérieur, le combat fait rage. Touchés, des soldats allemands tombent sur la voie en râlant. Des balles traversent les parois de notre wagon, en sifflant au-dessus de nos têtes. Nous nous sommes jetés à terre les uns sur les autres, enchaînés, faisant un tas informe. Mais, en dépit du danger, une joie intense, sauvage, nous étreint. Des camarades sont là, qui risquent leur vie pour nous libérer. Quel sera le sort de leur entreprise ?