Le convoi terrible



Malheureusement cette attaque va échouer. Les Allemands ont demandé des renforts qui arrivent bientôt. Face au nombre et à la puissance de feu de leurs adversaires, nos libérateurs, avec leurs faibles moyens, sont obligés de se replier. Le convoi va rester immobilisé toute la nuit sur la voie ferrée. L’ennemi a fait venir les grands moyens. De gros treuils déplacent les voitures irrécupérables, les autres sont remises en place ; les rails endommagés sont remplacés par des équipes de cheminots réquisitionnés. A les entendre parler, nous comprenons que nous sommes en France. Mais où exactement ? Nous ne le saurons pas.


Enfermés dans notre wagon depuis vingt-quatre heures, nous sommes harassés de fatigue, épuisés par l’émotion, la faim, la soif, l’insomnie. La peau de nos fesses endolories s'est incrustée dans nos pantalons. Un nouveau supplice s’est ajouté aux autres : la vermine a envahi nos plaies. Et il nous faut, impuissants, les mains liées, subir en silence toutes ces misères physiques, sans même avoir la possibilité d’utiliser les toilettes comme nous le voudrions. Le confortable train du départ s’est transformé en un lieu de cauchemar, nauséabond et malsain.

Enfin notre convoi repart, bardé de soldats fortement armés pour parer à toute nouvelle attaque : pas question de laisser s'évader la racaille criminelle que nous sommes et qui fera de précieux travailleurs pour le grand Reich. Les heures passent, interminables, le train avance toujours avec lenteur. Arrivera-t-on jamais à destination ? Nous sommes trop épuisés pour nous poser vraiment des questions. Beaucoup d’entre nous dorment aux trois quarts, résignés, fatalistes. Pourtant vient le moment où les freins grincent, se serrent en gémissant, notre train ralentit par à-coups ; puis il s’immobilise dans un grand bruit de ferraille. Les soldats en sont aussi soulagés que nous et se félicitent d'être parvenus sains et saufs à bon port ; nous les questionnons et ils veulent bien cette fois nous répondre que nous nous trouvons en gare de Compiègne.

Des infirmières de la Croix-Rouge s‘approchent du train et parlementent avec les sentinelles. Elles veulent voir les prisonniers, ce qui est leur droit disent-elles. Mais les soldats restent intraitables et les repoussent sans ménagement. Pourtant, l’une d’elle, une femme âgé, ne perd pas son sang-froid : bousculant à son tour les empêcheurs, elle réussit à monter dans notre wagon. Déconcertés, les soldats la laissent passer. Mais à nous voir, elle comprend qu’il n’y a pas grand-chose à faire : nous sommes dans un état lamentable ; c’est une infirmière, voire un médecin pour presque chacun d’entre nous, qui serait nécessaire. Après avoir pu boire et nous être un peu restaurés, nous sommes débarqués du train et entassés sur des camions pour un court trajet à travers la forêt. Nous voici enfin arrivés à destination : l’immense camp de transit de Compiègne, que les Allemands nomment le Fronstalag 122.