Premieres armes (suite 2)



forêt alsacienne



Un matin, de bonne heure, une automobile militaire surgit brusquement dans la cour de la ferme. Des soldats en jaillissent à grand bruit d’armes et de bottes heurtant le sol avec rudesse. Nos chiens aboient. J’imagine que le cœur de mon père s'est serré dans sa poitrine. Mais la détermination doit se lire dans son regard. Interrogatoire, fouille brutale de la maison, où tout est jeté à terre, sens dessus-dessous. De lourdes présomptions se sont accumulées sur moi. Les Allemands sont à ma recherche. Pour cette fois, je resterai introuvable. Mais des indicateurs, à la solde de l'occupant, sont à l’œuvre. Je suis arrêté quelques jours plus tard, le 27 mai 1941, au petit matin, par la Gestapo de Wissembourg, alors que j'étais caché dans une grange du village, dissimulé dans un abri pourtant bien dissimulé, sous un entassement de bottes de paille, en compagnie d’un de mes complices. Mon père est convoqué à la Kommandantur pour s'entendre notifier que j’ai été mis hors d’état de nuire ( sic ).

On nous a conduits et enfermés tous les deux dans la prison de Wissembourg, mais la police allemande a du mal à réunir des preuves solides contre nous. Notre moral n'est pas entâmé et nous restons confiants. Il ne nous reste plus qu’à sortir au plus vite de là. Deux jours se passent à chercher un moyen de nous évader. Le troisième jour, nous sommes désignés pour la corvée de charbon, qui peut nous offrir une bonne opportunité de fuite. Mais il importe de ne rien laisser au hasard. Nous avions déjà arrêté un plan qu'il ne reste plus qu'à éxécuter . Après avoir effectué quatre ou cinq va et vient, lourdement chargés de seaux remplis de charbon à ras-bord, nous demandons la permission de faire une pose pour satisfaire un besoin urgent et naturel.

N'étant pas particulièrement surveillés, nous commençons à traverser la cour pour nous diriger sans nous hâter, comme si de rien n'était, vers la porte de sortie de la cour de la prison, qui reste ouverte mais que garde une sentinelle en arme dans sa guérite. Nous sommes des adolescents de dix huit ans. La jeunesse doit jouer en notre faveur. Mais notre cœur bat à tout rompre. Nous avons réussi à traverser la cour sans éveiller les soupçons ; et nous voici devant la porte que nous franchissons sans hésiter, en bavardant innocemment sous l’œil indifférent de la sentinelle qui, dans son abri, ne se doute de rien. Notre audace a payé. Voici la rue, la liberté. Nous avançons encore un peu , d’un pas normal, puis c’est la ruée, la fuite éperdue loin du périmètre dangereux, vers la forêt proche qui va nous dissimuler et nous protéger.

Mais avant de nous enfoncer au plus profond de ces bois que nous connaissons par coeur, jusqu'à notre repaire apprêté depuis longtemps, nous avons pu alerter l’un de nos camarades, qui lui, n'a pas été inquiété par les Allemands . Il a adressé un SOS codé à notre chef, le Lieutenant Laeuffer. Ce message lui permettra de découvrir notre refuge. Nous avions depuis le début, je l'ai dit, des contacts étroits avec ce début de Résistance qui s’organise et qui cherche des partisans. Et nous avons déjà accompli pour elle de nombreux petits coups de main comme de dérober des explosifs, des munitions et des armes dans les dépôts de l'ennemi et d'autres attentats qui rendent les Allemands furieux.

En attendant que la tempête se calme, nous allons mener pendant quelques jours, au plein cœur de la forêt, sous les assauts d'un froid encore vif pour la saison, une existence de bêtes traquées, presque aux abois, car nous sommes activement recherchés par la police allemande et décidés à tout endurer, même la mort, pour ne pas être repris. Notre camarade réussit plusieurs fois à nous rendre visite et nous apporte des vivres et des vêtements indispensables. Cela va nous permettre de préparer notre fuite.

Car le Lieutenant Laeuffer nous a incités à fuir, comme lui-même s'y prépare, après l'arrestation de trop nombreux membres du réseau, laissant supposer qu'une taupe a infiltré nos rangs. Alors nous allons fuir, au plus tôt, au plus loin de cette région condamnée à subir, pieds et poings liés, le joug de l’occupation ennemie. Nous en avons pris conscience : si quelque chose peut être fait, à quoi nous pourrons être utiles, ce sera dans la zone encore libre de notre pays vaincu. Pour cela, je vais quitter cette terre où je comptais vivre en paix le restant de mes jours, abandonner mon joli village, y laissant mes parents dans la terrible angoisse de l'incertitude à mon égard et sous la menace de représailles ennemies. J’y ai souvent pensé et je savais que cela devait arriver. J’y suis prêt. Ma décision est irrévocable.

Mon camarade Dilenseger s'enfuit avec moi et nous resterons ensemble durant tout le périple qui nous conduira en Zone Libre. Le 1er juin 1941, profitant de circonstances favorables, nous quittons notre repaire de la forêt, pour nous enfuir loin de ces lieux familiers, désormais devenus hostiles. Je vais avoir dix neuf ans. Je suis en route pour la vraie liberté, porteur pour ma part de documents que m'a confiés le lieutenant Laueffer et que je dois remettre, à Nancy, au Capitaine Jourdanet et à Madame Dorr, des personnes que je ne connais pas, mais dont je sais comment les rencontrer.