L'original de ce dossier,réalisé par M. Gérard Hartmann, peut être consulté sur le site du Conservatoire de l'Air et de l'Espace d'Aquitaine (CAEA) et lu en format PDF (1,6 M Octets). On trouvera sur le même site une foule de passionnants dossiers sur l'histoire de l'aviation

Les premiers appareils BREGUET

Les avions Breguet militaires

Quand la guerre éclate, Jacques Breguet est mobilisé comme lieutenant d'artillerie et Louis Breguet, sergent, comme pilote ; il est affecté à la défense de camp retranché de Paris, menacé d'être bombardé par les Zeppelins. Au cours d'un vol d'observation aérienne en septembre, avec le lieutenant Watteau au poste d'observa- teur, Louis Breguet confirme le changement de direction de l'armée allemande, ce qui permet à Joffre de s'organiser et de remporter la bataille de la Marne. Ceci lui vaudra la croix de guerre avec citation. Le nord de la France étant envahi, les usines Breguet de Douai sont évacuées en catastrophes sur Villacoublay et Vélizy et Louis Breguet en décembre 1914 est libéré pour assurer la direction de ses usines.

Breguet BU-3 militaire (février 1915). (Cliché Musée de l’Air).

Les frères Breguet avaient étudié un bombardier en 1913, basé sur le biplan U3, avec une nacelle remplaçant le fuselage. La nacelle comporte un poste de mitrailleur à l'avant, suivie du poste de pilotage, le moteur étant monté à l'arrière. Ce nouveau type, qui reçoit un solide train d'atterrissage, est capable d'emporter 250 kg de bombes ; il est baptisé BU-3. Dès le début des hostilités, les frères André et Edouard Michelin décident d'offrir à l’Armée cent appareils de bombardement. C'est le Breguet BU3 qui est choisi. Une trentaine d'appareils est produite chez Breguet à Villacoublay avant que Louis Breguet ne cède la licence de fabrication du bombardier à Michelin.

Breguet BU-3 militaire (début 1915).

La firme de Clermont-Ferrand produit une centaine de bombardiers BUM (Breguet-Unné Michelin) en 1915, équipés du moteur Salmson M9 de 130 ch, remplacé en 1916 par un V12 Renault de 200 ch. Sur la version à moteur Salmson, les deux réservoirs d'essence sont placés sous le plan d'aile supérieur. Construits à quelques dizaines d'exemplaires, les bombardiers à moteur Renault sont appelés Breguet Re- nault-Michelin ou BLM. Il existe deux variantes de ce dernier type, le BLM-1 à réservoirs d'es- sence placés dans la nacelle fuselage et le BLM2 avec réservoirs d'essence dans les ailes.

Le Breguet-Michelin type BUM à moteur Salmson de 130 ch. (Musée de l’Air).

En décembre 1914, cinq escadrilles françaises équipées de biplans Maurice Farman et de Voisin se spécialisent dans le bombardement aérien. En janvier 1915, le grand quartier général décide de porter le nombre de ces escadrilles à vingt. Le premier groupe de bombardement français (G.B. I) est formé en mai 1915. Mais les missions de bombardement au-dessus de l’Allemagne sont encore hors de portée des appareils existants.

Breguet-Michelin type B2 à moteur Renault de 200 ch (1916).

Le Breguet-Michelin est choisi en octobre 1915 par l'état-major des Armées à l'issue d'un concours de bombardier pour ses capacités à frapper les usines allemandes de la région d'Essen. Deux versions à moteur Renault 200 ch sont produites, le B2 bombardier biplace (financé et armé par la firme Michelin) capable de porter 40 bombes de 7 kg à 400 kilomètres de sa base, et le M4 type Ca2, un chasseur d'escorte des bombardiers biplace, armé d'un canon Hotchkiss de 37 mm placé à l'avant. Le capitaine Daucourt raconte à Jacques Mortane, journaliste aéronautique comment il a bombardé Essen le 24 septembre 1916 avec le capitaine de Beauchamp sur des Breguet B2.
« ... Oh, c'est bien simple. Je vais vous donner les feuilles de mon carnet de bord, vous y trouverez mes impressions notées brièvement au cours du voyage. »
« Deux appareils civils ont rempli la même mission le même jour : l'un piloté par le capitaine de Beauchamp, l'autre par moi.

Le 27 mai 1915, dix-huit appareils Voisin bombardent Ludwigshafen et les usines Badische Anilin d’Oppau. (Musée de l’Air).

Laissez-moi ne pas vous parler de nos préparatifs, ni de nos aménagements de bord, ce sont des secrets d'ordre militaire...
La distance parcourue quoique grande, environ 8oo kilomètres, n'était pas pour m’effrayer, j’ai un entraînement intensif de sept années et je me suis toujours spécialisé dans les raids de grande distance : Coupe Pommery 1912, 86o kilomètres ; Paris – Berlin 1913, 1.o5o kilomètres ; Paris, Vienne, Buda-Pest, Bucarest, Varna, Constantinople, Konia, Adana, et la Syrie, 5.ooo kilomètres. »

Breguet type 5 produit en Grande-Bretagne par Claude Gra- hame-White. (Musée de l’Air).

« Ne croyez pas qu'après ces raids celui-ci me semble simple... Non, car il y a le canon et les avions boches... Eh bien, ils ne nous ont pas empêchés de faire ce que nous voulions, et nous sommes partis en plein jour, à 11 heures du matin. A présent, suivez mes notes ; elles sont brèves, mais complètes, et je n'ai eu que ce travail pour me distraire pendant les sept heures qu’a duré le vol. »

Breguet type 5 chasseur d’escorte
Envergure17,58 m
Longueur 9,90 m
Equipage Deux hommes
MoteurV12 Renault EC 235 ch
Armement Canon de 37 mm Hotchkiss en tourelle avant
Poids à vide 1 350 kg
Poids maximum en charge 2 150 kg
Plafond 3.700 mètres
Vitesse 140 km/h
Autonomie 6 heures 15 mn
Caractéristiques techniques du chasseur Breguet type 5 (1915).

« 11 heures... Mon camarade prend l'air, je le suis à deux minutes.
1.000 mètres… 2.000… 3.000… nous continuons à monter.
Le temps est clair avec quelques nuages vers 3.ooo mètres, il fait très froid... A chaque instant, je croise des avions amis qui partent au feu ou qui en reviennent. Nous voici à bonne hauteur, nous nous rapprochons l'un de l'autre...
A 5o mètres nous échangeons des signaux et piquons droit sur les lignes. Ah ! elles ne sont pas difficiles à trouver.
Voici la zone jaunâtre, sans végétation, où la terre a été bouleversée des milliers de fois, ensevelissant les vivants, dé terrant les morts...
Des lignes brisées courent de tous côtés : ce sont les tranchées, les boyaux... Toute la zone est marquée d'innombrables trous d'obus qu'on remarque très nettement.. Une fumée épaisse indique un combat d'artillerie, cependant je n'en- tends rien, le moteur marche à merveille et il fait un tel tapage...
12 heures... Me voici sur les ligues allemandes, nous sommes sûrement signalés... Les canons boches font un barrage en avant, mais un peu haut...
Les flocons blancs des 77 forment une ligne qui nous barre la route... Les coups se multiplient... au moins trois cents coups en quelques minutes... J'entre plusieurs fois dans la fumée des éclatements, et j’entends siffler des éclats qui passent tout très…
Tiens ... l’artilleur boche rectifie son tir… trop bas à présent… J’en profite pour monter, je passe...
Maintenant, ou a tiré sur ma gauche… Éclatements noirs du 105... c'est plus sérieux. Les coups se rapprochent... j'oblique à gauche insensiblement... puis brusquement, je fais 90 degrés, en piquant de 100 mètres… c'est fini, j'ai déjoué les artilleurs.
Rageurs, ils tirent au hasard... Les coups maintenant éclatent derrière moi, je suis hors d’affaire…
Et mon compagnon ?
Je ne le vois plus… A-t-il été touché ?... a-t-il changé sa route ?…
Sous moi un gros appareil jaune... des croix noires... C'est un Boche... un deuxième suit tout près...
Le plus rapproché est à 200 mètres, mais ils vont moins vite tous deux... Clac... clac... clac... Tiens... M. Boche me mitraille ?…
De courtes rafales crépitent à mes oreilles… mon adversaire ne tire pas mal… »
« Vais-je entamer le combat ?… C’est bien tentant… J’ai, moi aussi, un joujou qui ne demande qu’à marcher. »

Le Breguet type 5, chasseur d’escorte à canon de 37 mm avant. (Manuel d’aviation de la première guerre mondiale).

« Mais non, Essen est mon seul but… et je n’ai pas le droit de compromettre le raid… J'accélère mon moteur à fond... et je m’éloigne rapidement de mes agresseurs.
« Voici la Moselle. A mes pieds, Thionville... à gauche, Luxembourg. Déjà 100 kilomètres sont parcourus... ça va vite, très vite... En bas, des bois partout. La rivière, en de nombreux méandres, s'encaisse dans son étroite vallée... Je passe sur Trèves dans le fond... ... Que vois-je sur ma droite ?... Un appareil qui semble se rapprocher de moi... Le soleil me gêne pour bien voir, mais il me semble bien reconnaître la silhouette de mon compagnon de route... Plus de doute, c'est bien lui, voici sa cocarde : bleu, blanc, rouge... Grande joie... On est si seul, là-haut... »
« A présent, nous faisons route ensemble, quelques milliers de mètres seulement nous séparent. Au sol, les villes défilent partout des usines, des trains… J'essaye de voir l'importance des convois, je note leur direction et l'heure de leur passage sur un point repéré...

Le Breguet type 5 (1916). (Manuel de la 1ere guerre).

Ca n'est pas commode, les nuages se rapprochent, et par endroits il est difficile de suivre le terrain... »
« Je change mon angle de route, et marche plein nord, laissant Coblentz sur ma droite... Loin devant moi, un large ruban gris, le Rhin... Quel beau fleuve !... Ma confiance grandit et je sens que tout ira bien... »

« Je passe sur la rive droite... En bas, de nombreux trains de bateaux remontent vers Coblentz. Si je n'avais pas mes bombes à jeter, je descendrais les mitrailler à bout portant. Voici Bonn, mon camarade est toujours sur ma droite, mon moteur ronfle à merveille... 200 kilomètres parcourus… Calcul rapide, nous marchons à 204 kilomètres à 1'heure... Allons, tout va bien… »

« Le froid est très vif... 16 au-dessous… Je remue bras et jambes pour faire circuler le sang, quelques gouttes d’alcool me réchauffent l'esto- mac et rafraîchissent ma bouche…
Toujours des bateaux sur le Rhin... Une énorme ville... Voyons ma carte... c'est Cologne ... Quelle belle cible ! ... Oui, mais les femmes, les enfants... Non, non, non, je suis soldat, et non pirate, et je dois seulement détruire les établissements militaires.
D'ailleurs, il me semble voir des avions quittant le sol... Trop tard, collègues !... Je file vers Düsseldorf. La région est toute enfumée, que d'usi- nes !... »

« C'est bien la région d'où sortent tous les outils de mort dont se servent nos ennemis... Solingen... Ebberied... Barmen... Remscheid... toute cette région est sillonnée d'innombrables lignes de chemins de fer.
Une activité énorme s'y devine... J'approche du but... Mon coeur bat plus vite... Pourvu que mon moteur ne s'arrête pas... Non, son ronflement sonore, régulier, m’arrive à travers les oreillères de mon casque.
Au loin, à gauche, j'aperçois Duisbourg... La rivière qui se jette là, dans le Rhin, c'est la Ruhr. Je la remonte... Après Mulheim, un grand coude, puis au nord une forêt de cheminées qui crachent une fumée noire couvrant toute la région. »

Nacelle du Breguet BUM de bombardement. (1916).

« ... Essen… enfin s'étend à mes pieds... où sont les usines Krupp ?... Ah ! à l'ouest de la ville... Dieu ! que c'est grand !... D'innombrables bâtiments entre lesquels circulent des trains... Quelle fournaise !... quel joli but !... Je m'attends à être canonné, je cherche les éclatements... rien ou trop bas. Quelques violents remous, dont je ne m'explique pas la cause, troublent mes préparatifs de bombardement…
… Deux heures... l'axe des usines passe dans mon viseur... ... Je déclenche mes torpilles les unes après les autres... Mon camarade est au-dessus de moi et un peu à droite... Il doit être en train de tirer aussi. ... Fini... tout est parti... je devine l'affolement des Boches.
En bas, des nuages de fumée s'élèvent çà et là… Presque au centre, il me semble y avoir une explosion formidable suivie d'un incendie…
Quelle joie ! Le but est atteint, Krupp est puni : en dépit de ses avions, de ses canons, nous l'avons nargué en plein jour... Les Boches, dans une rage folle, doivent tenter de nous poursuivre. Qu’importe ? la mission est remplie : à présent, nous pouvons combattre.
J'essaye de me rapprocher du capitaine, mais il file plus vite que moi. Et soudain je le perds de vue ... il a disparu dans un nuage. »

Breguet type 5 (1916). (Manuel d’aviation de la 1ere guerre).

« Je descends, je remonte : rien, impossible de le retrouver. ... Pourvu qu’il n'ait pas la panne ou qu’un mauvais éclat ne l'ait pas atteint. Je reviens survoler Düsseldorf, mais beaucoup moins vile qu'en allant ; le vent me contrarie… Je vérifie la quantité d'essence qui me reste… Tout va bien, je puis marcher cinq heures encore. Les nuages se resserrent de plus en plus, et une brume épaisse obscurcit les trous. Il faut marcher uniquement à la boussole S.-S.-O... J'ai le soleil devant moi. c'est extrêmement fatigant. »
« Je m'abrite les yeux avec la main, mais le froid m'engourdit les doigts dès que je sors de la zone de protection de mon pare-brise. Voici plus de quatre heures que je voyage... Où suis-je ?... … Quelle est ma vitesse ?... Impossible de rien savoir. Le temps me semble long... Tiens... des explosions... c'est bien pour moi.
Je fais une volte complète pour dérouter les artilleurs et j'aperçois ... trois beaux avions boches à 5oo ou 6oo mètres plus bas. Ils vont aussi vite que moi, mais dès qu'ils veulent monter, ils perdent du terrain. »
« Je ralentis ma marche, et... piquant sur le plus avancé, je lui lance à 15o mètres trois rafales de mitrailleuse... Surpris, il se dérobe et fuit vers la gauche... Les autres me prennent derrière, c'est le moment de filer.
Ai-je touché mon adversaire ?... Je ne crois pas, car il s'est rétabli et vole assez bas... Les deux autres ne sont plus que des points noirs ... la poursuite a duré trente minutes. J'ai attrapé un bon torticolis à force de me retourner.

Le biplan Breguet chasseur d’escorte. (1916).

... Six heures de vol... c'est long... Mes yeux me font horriblement souffrir, le froid aussi ... Je survole certainement la Belgique, mais où ? Tant pis. Il faut que je sache.
... Moteur arrêté, je descends... Comme ce calme est délicieux, après six heures de tapage... 1.2oo mètres... c'est assez bas. Région tourmentée, des collines, des bois, je ne reconnais rien...
Tiens... voici des tranchées... des ouvrages... Oui, mais c'est bien calme, je ne suis pas encore arrivé... Cependant, je ne suis pas loin du front, car le canon recommence à me poursuivre de ses coups. Je remonte dans mes nuages, on y est mieux... ... 6 heures 3o... Je n'y tiens plus, tant pis, je descends...
... 2.000... 1.5oo... 8oo... pas de canonnade. En bas, des bivouacs... Suis-je en France ?... Je marche encore quinze minutes an sud... Voici un immense champ, très éloigné d’un village. J'atterris. Si je suis chez les Boches, je repartirai à leur barbe... Mon moteur tourne lentement... Je suis à l'extrémité du prêt à m'envoler en cas d'alerte…
... Minutes d'attente... Voici des gens... ce sont des paysans... Les mains en porte voix, je hurle : ‘’Où suis-je ?... -A Champaubert... ‘’ me répondent-ils. Ojoie... je suis en France... je suis arrivé, j'ai réussi... Je saute de mon avion, mais mes jambes engourdies refusent de me porter. Maintenant, les paysans accourent de toutes parts et m'entourent, très intrigués.
Quelques minutes de repos, et je cours au téléphone, avertir mes chefs... J'apprends en même temps que mon camarade a atterri sain et sauf à 1oo kilomètres d'ici... Ma joie est complète... A bientôt, Monsieur Krupp, le plaisir de vous revoir... »

Dès les jours suivants, les usines Krupp sont protégées, des guetteurs alertant la chasse et des ballons portant des câbles arrêtent les avions. Mais les vols français de bombardiers continuent. A l’automne de nombreux bombardiers Breguet tombent sous les balles allemandes. Voler sur un avion de bombardement Breguet devient la hantise des pilotes. Breguet développe une nouvelle version de son chasseur bombardier, basé sur le précédent, propulsé par un moteur plus puissant, le V12 Renault 12Ec de 235 ch, un appareil robuste et très rapide, produit à plusieurs dizaines d'exemplai- res. Malheureusement, en octobre 1916, après un raid de bombardement désastreux sur la région d'Oberndorf en Allemagne occidentale où les trois quarts des équipages sont perdus, les Breguet 5 sont interdits de bombardements diurnes. Le 12 octobre au-dessus de Rustenhart, c’est l’occasion pour l’as allemand alors débutant Ernst Udet d’enregistrer sur un Breguet-Michelin sa seconde victoire aérienne.

Le Breguet type XI ou « corsaire » (1916).

En réponse à un programme de bombardiers ultra rapides émis par l'état-major, les frères Breguet proposent en 1916 le Breguet type 11 ou « Corsaire », un très grand biplan de 27,70 mètres d'envergure propulsé par trois moteurs Renault 8 Gd de 220 ch. Les essais sont satisfaisants, mais l'état-major hésite à aligner de tels monstres en escadrilles.

Le Breguet type XI ou « corsaire » (1916).

En 1917, les commandes chez Breguet arrivent à leur terme et les dirigeants s'inquiètent. Pour occuper les ouvriers, les usines Breguet de Vélizy construisent deux exemplaires d'un chasseur étudié par l'ingénieur Gustave Eiffel. Le premier est détruit en vol par son pilote et le projet est abandonné.... Sans commande officielle, le bureau d'études Breguet se lance alors dans le développement d'un nouvel appareil, le type 14. Ce sera le plus grand succès commercial de la firme.

Gérard HARTMANN
Les premiers appareils BREGUET

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