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une clef de la complexité |
suite
:
une spirale de complexité |
Un exemple de complexité
en évolution
Dans le fil de la
suggestion faite dans le texte précédent sur la généralité
de la notion de complexité, et pour en donner un exemple parlant
qui pourra servir à bien mémoriser par la suite ce que représente
dans les faits chacun des quatre stades envisagés, nous allons abandonner
un moment l'histoire de l'art.
À sa place,
nous allons
évoquer l'histoire du développement d'un être vivant,
depuis la première cellule dont il est issu, jusqu'à sa transformation
en organisme complet et autonome.
Le stade
0, celui du point
[revoir
sa définition]
On commence par le
point isolé que constitue la cellule fécondée unique
dont va naître un organisme entier. On sait qu'elle contient sous
forme de rubans d'ADN qu'on appelle chromosomes, tout le "programme génétique"
qui servira à la transformer en un être vivant complet [voir
un développement sur ce point].
Déjà,
on remarque donc que notre point de départ contient en lui même
toute la complexité antérieurement forgée par l'évolution
des espèces, et qu'ainsi il est tout aussi bien un point d'arrivée
qu'un point de départ, un noeud qui sait rassembler tous les acquis
précédents, les maintenir actifs et les transporter dans
un être qui va naître et prendra le relais des êtres
qui vont mourir.
Au début, la
croissance de l'organisme commence simplement par la duplication de cette
unique cellule d'origine. C'est-à-dire qu'elle se divise en deux,
puis chaque moitié se divise à nouveau en deux, etc. À
ce stade, la particularité est que les cellules obtenues sont strictement
identiques les unes aux autres, et qu'elles sont toutes des copies fidèles
de la cellule initiale. Elles ne sont pas encore spécialisées,
et ce n'est pas l'une de ces cellules qui est destinée à
se transformer en tête, ni l'autre en jambe. Elles sont encore interchangeables.
On sait cela, car si l'on divise le paquet de cellules à un moment quelconque de ce stade, on obtient alors deux êtres complets et identiques, ce qu'on appelle des jumeaux ou des clones. C'est bien que les cellules destinées par exemple à faire spécialement la tête ne se sont pas encore différenciées des autres, puisque la tête ne manquera pas à l'un des clones. Aux stades ultérieurs du développement de l'embryon cette équivalence des cellules disparaîtra, et chacune deviendra de plus en plus spécialisée. |
|
Pendant plusieurs divisions successives des cellules, l'embryon est donc constitué de cellules séparées les unes des autres, et rien ne les distingue l'une de l'autre. Lorsqu'il en est à ce stade, les biologistes désignent l'embryon par le terme de "morula". Cet état de morula correspond tout à fait à ce que nous voulons évoquer par la notion du "stade des points séparés". | le début d'un organisme vivant : division et réplication d'une seule cellule de départ, qui prend la forme d'un paquet de plus en plus gros de cellules identiques que les biologistes appellent "morula" |
Au passage, on remarque que pendant toute la vie de l'organisme adulte, ses cellules vont continuer à se reproduire de cette façon indifférenciée, les cellules de peau régénérant la peau par des cellules identiques, celles des cheveux continuant à les faire pousser, etc. Ainsi, le fonctionnement de ce stade initial n'est pas destiné à disparaître en se faisant remplacer par de nouveaux fonctionnements plus complexes, mais au contraire il perdure en tant que tel, comme incrusté dans les suivants, et tout à fait indispensable pour leur propre fonctionnement. |
Arrive un moment où
l'embryon cesse d'être un paquet de cellules identiques, et où
s'introduit entre elles ce que les biologistes appellent un "gradient",
notion qui correspond tout à fait à ce qu'ici nous appelons
classement. On ne sait pas comment ce gradient se crée, mais le
fait est que la concentration de certaines protéines se met à
varier le long de l'embryon, qui se trouve alors muni d'un avant et d'un
arrière nettement différenciés l'un de l'autre.
Cela est tellement
vrai, que si l'on modifie artificiellement le gradient de ces protéines
par des injections de l'ARN qui les suscite, le développement ultérieur
de l'embryon lui fera apparaître deux têtes ou deux parties
postérieures selon le bricolage que l'on aura fait.
Cette observation signifie
que l'existence d'un gradient, c'est-à-dire d'un classement de la
concentration en certaines substances contenues dans les cellules, est
suffisant pour engendrer la présence ultérieure d'un organe
"tête" à l'opposé d'organes "queue", et avec des organes
"thorax" et "abdomen" entre eux. Il n'existe pas encore une cellule spécialement
destinée à former la bouche ou les yeux, mais il existe déjà
une orientation générale de l'embryon qui va impliquer que
la tête se développe autour d'une zone maintenant irréversiblement
déterminée.
À ce gradient
avant/arrière s'ajoute un gradient dessous/dessus, qui entraînera
de la même façon un côté où vont se développer
les organes du ventre, et un autre où vont se développer
ceux du dos de l'embryon.
Cela ne signifie pas
que l'on a abordé la deuxième phase, celle de l'organisation
du gradient/classement selon deux directions. Il y a ici une finesse à
bien comprendre :
Le stade
du classement doit lui-même passer par quatre phases successives
pour se réaliser :
0 - on suppose que le gradient émerge d'abord
de façon éparse en des points séparés dans
l'embryon, sans que toutes les cellules soient encore classées entre
elles selon ce gradient. Il se peut que cette émergence soit provoquée
par l'épaisseur même du paquet de cellules, qui atteindrait
une taille critique au delà de laquelle l'accès à
l'énergie extérieure deviendrait trop inégal entre
les cellules du centre et celles de la périphérie.
1 - quelle qu'en soit la cause, on suppose que toutes
les cellules finissent par s'adapter à cette coordination qui prend
la forme d'un gradient de concentration en certaines protéines.
Ce gradient se crée d'abord selon une direction avant/arrière.
2 - puis il s'organise simultanément selon la
direction ventre/dos.
3 - enfin cette organisation trouve le moyen de se
rendre irréversible, donc de se nouer, selon notre terminologie.
Selon notre hypothèse, le stade du gradient/classement
passerait donc lui aussi par les quatre étapes successives de la
complexité : l'émergence en des points séparés,
le gradient selon une première direction, puis le gradient simultané
selon une seconde direction, et enfin le nouage de ce croisement de gradients.
Quand le le stade du classement s'est noué de façon irréversible, peut commencer celui de l'organisation. Mais tout comme nous l'avons remarqué pour le stade de la division répétitive des cellules qui perdure pendant toute la vie de l'organisme, nous avons toutes les raisons de penser que ce stade du classement reste également fonctionnel dans l'organisme adulte. Il est possible que ce soit son fonctionnement spécifique qui se manifeste dans le réseau des points d'acuponcture de la médecine chinoise. Ce réseau surprend en effet par la façon dont il met en relation directe des parties du corps qui ne sont pas du tout liées par les nécessités et par la logique apparente du fonctionnement des organes. Mais peut-être ces points étaient-ils tout proches les uns des autres au début de l'organisme, et peut-être continuent-ils à fonctionner ensemble dans l'adulte, de la façon exacte où ils fonctionnaient ensemble quand les organes n'existaient pas encore. |
Comme exemple démontrant bien comment tout organe, ou toute partie d'organe, commence par la création d'un gradient en certaines protéines dont l'existence suffit à déclencher la pousse ultérieure de l'organe, on rapporte ici la façon dont on peut modifier la morphologie d'une patte de poulet, par simple manipulation du gradient en acide rétinoïque. Cet exemple est tiré d'un article de Vincent Laudet et Dominique Stéhelin dans la revue "Pour la Science" de janvier 1993 [d'après des photographies de Xavier Desbiens, Université de Lille]. À gauche, on a une patte de poulet normale avec un petit doigt et un pousse opposé à lui, ainsi que le schéma du gradient d'acide rétinoïque qui a déterminé la différenciation du pouce et du petit doigt dans le bourgeon de membre. À droite, on a modifié artificiellement ce gradient dans le bourgeon de membre d'un oeuf de poulet de trois jours, en y introduisant une microbille recouverte d'acide rétinoïque à l'endroit où devait se développer le pouce. Cet apport d'acide crée une concentration similaire à celle qui engendre un petit doigt, et il suffit à engendrer un second petit doigt à la place d'un pouce. |
Cet
exemple montre que le poulet ne se construit pas à partir d'un plan
préétabli que les cellules se chargent de réaliser
en se plaçant à l'endroit prévu sur le plan comme
on place des briques pour construire un édifice.
L'information contenue
dans les chromosomes génère tel ou tel développement
en présence de telle ou telle concentration de tel ou tel produit,
et ce développement crée à son tour une situation
particulière de concentration de tel ou tel autre produit qui déclenche
à nouveau des transformations spécifiques dans les cellules.
Ainsi, petit à
petit s'organise l'organisme, accumulant progressivement des différences,
chaque cellule se différenciant des autres par un nombre croissant
de propriétés. C'est cette cascade de différences
simultanées que nous avons en tête lorsque nous parlons de
croisement de classements, car encore une fois un classement n'est pas
forcément pour nous un ordre de rangement régulier, mais
une différence qui distingue, qui diversifie.
Ce que nous voyons
aussi dans cet exemple, c'est que cette accumulation de différences
s'engendre par de simples gradients de concentrations, c'est-à-dire
par des différences purement quantitatives. Progressivement
ces différences se transforment en différences qualitatives,
car elles spécialisent de plus en plus chaque cellule en fonction
de sa place dans l'organisme.
Comme
les précédents, on suppose que le stade de l'organisation
passe lui aussi par quatre étapes successives :
0 - d'abord, on suppose que le "gradient de gradient"
émerge en des endroits séparés, c'est le stade "ponctuel".
1 - puis il s'établit un gradient stable et
suffisamment marqué pour générer des différences
de réaction des cellules, c'est le stade du "classement".
2 - puis les cellules s'organisent en répondant
à plusieurs différenciations simultanées, c'est le
stade de "l'organisation de l'organisation". Dans le cas général,
ce croisement de plusieurs classements simultanés ne s'arrête
pas à deux, c'est toute une cascade de différenciation des
cellules qui se produit et qui diversifie au fur et à mesure les
cellules.
3 - enfin, et par un mécanisme que nous ignorons,
cette organisation se verrouille et se rend irréversible, au point
que les cellules qui par exemple sont devenues des cellules de peau, ne
sont plus capables de se transformer en cellules d'os. Ce dernier stade
est celui du nouage de l'organisation.
Comme les précédents, le fonctionnement de ce stade ne disparaît pas non plus quand naît celui du stade suivant, mais il perdure dans l'organisme adulte. Ainsi, on sait que le fonctionnement des organes n'est pas complètement géré par le système nerveux et hormonal central de l'organisme, mais qu'une part importante de ce fonctionnement correspond à une organisation de systèmes reflexes tout à fait locaux. C'est pour cette raison par exemple, qu'un canard sans tête peut parfaitement courir quelques temps. |
Le stade
3, celui du noeud
[revoir
sa définition]
Pour un organisme
vivant, le nouage correspond à la capacité de faire fonctionner
tous ses organes en coopération les uns avec les autres, et d'accéder
ainsi à l'autonomie complète et définitive.
Pour les animaux et
pour les humains, on peut dire que ce noeud est constitué d'un ensemble
particulier d'organes qui régulent l'organisme et lui assurent ses
fonctions vitales. Une jambe ne fait pas partie des organes qui nouent
le fonctionnement de l'organisme, car on peut enlever une jambe à
une personne sans la tuer. Par contre, sans poumon ou sans coeur, l'ensemble
de l'organisme se désintègre.
On ne peut pas le
prouver ici, mais on suppose que ce stade du noeud lui-même suit
les quatre étapes déjà suggérées. Très
probablement le fonctionnement coordonné et la régulation
d'ensemble des organes vitaux ne viennent pas d'un coup et soudainement,
mais commencent à émerger au fur et à mesure de la
croissance de l'embryon.
Peut-être cela
commence-t'il par une coordination diffuse du transport de l'énergie
vers les cellules (stade de l'émergence ponctuelle), puis se transport
s'équilibre le long de parcours préférentiels qui
commencent à se stabiliser (stade du classement), puis il s'organise
en différenciant localement son mode de transport en même
temps que les organes correspondants eux-même se spécialisent
(stade de l'organisation), puis enfin il commence son premier fonctionnement
d'ensemble coordonné lorsque le bébé respire pour
la première fois par les poumons.
Bien entendu, ce fonctionnement
n'est pas d'emblée parfait et irréversible, et les organes
continuent à "mûrir" des mois ou des années après
la naissance. La naissance n'est donc que le début "du nouage du
stade du nouage" qui, pour un humain, ne s'achève que vers l'adolescence.
Le murissement de l'organisation centrale, en particulier celui de la perception et de l'intelligence qui vont conditionner la personnalité future, se produit donc en même temps que cette personnalité commence à s'affronter aux autres membres de son groupe pour se frayer sa place dans ce groupe. C'est donc pendant que s'établit le noeud physiologique qui va sceller chaque personnalité, que démarre l'aventure de cette personnalité en tant que point séparé parmi les autres points semblables qui forment sa société. Ici l'on retrouve la notion déjà évoquée, selon laquelle le noeud qui se forme vers la fin d'un niveau de complexité, fonctionne dès cette période comme l'un des points durs qui caractérisent le niveau suivant de la complexité. C'est donc en même temps que l'organisme noue son fonctionnement physique global, qu'il affronte la société et se transforme en être social. Dans le cas des humains ce chevauchement est essentiel à saisir, car la façon particulière dont le noeud de la personnalité va se former dépend directement du type de société auquel il est confronté, puisque selon le type de résistance ou de facilité que lui offre la société, selon le type d'incitations ou d'impossibilités qu'elle mettra face à lui, le noeud ficelant cette personnalité aura telles ou telles propriétés singulières, propriétés qu'il n'aura pas dans d'autres circonstances. Et c'est la configuration particulière que prend nécessairement le noeud individuel à chaque étape particulière du développement de la société, qui expliquera pour nous que l'art évolue au fur et à mesure de l'évolution de l'humanité. Car pour nous, l'art, n'est que le moyen trouvé par les humains, pour décrire et pour tenter de comprendre, le noeud tordu où ils sont pris. |
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