Le lendemain, surprise ! La neige a recouvert le village. Nous nous équipons chaudement et partons pour une petite boucle sur le versant qui fait face au village, inquiets de la tournure que pourraient prendre les événements. Finalement, après un pique-nique tardif pris sur la terrasse du gîte au soleil, nous pourrons repartir pour une nouvelle promenade au plateau de Sanchese doté d'une belle cascade. Chemin faisant, François nous rapporte que le radelage (photo prise en 2009, empruntée au site du Baron de Lescun) se pratique encore, le 21 juin, lors de la fête de la musique et le passage à l'été. La technique s'étant perdue, les Aspois ont fait appel à leurs homologues espagnols pour réapprendre l'art du tressage de la "gargouille" pour l'assemblage des troncs en radeau et leur faire descendre le gave. La vallée voisine du Barétous s'y prête moins, car il y a beaucoup de moulins sur le Verd, les troncs provoquent des dégâts en heurtant les rives et il faut passer les barrages en tirant les radeaux avec des bovins. Le gave d'Aspe est demeuré sans entrave, il permet mieux la survivance de cette tradition fort bien documentée sur le site du centre culturel du pays d'Orthe et celui de l'Union scientifique d'Aquitaine. - Alliaire officinale. Radelage en vallée d'Aspe. -

Ceux-ci rapportent (en résumé) que cette activité essentiellement tournée vers les chantiers navals s'est déroulée un peu partout sur les cours d'eau européens du Moyen-Age jusqu'au XIXe siècle. Les ports de la côte basco-landaise (en fonction des divagations de l'Adour) s'approvisionnaient en hêtres et en sapins acheminés depuis Iraty, Arette, Lhers, Issaux, Gabas, Sainte-Engrâce, le Pack et le Benou. Colbert a préféré les sapins de la forêt d'Issaux, à 25 km d'Oloron. Au siècle précédent, c'était le port d'Athas, en vallée d'Aspe, qui servait de point de départ au convoi, avec des arbres qui avaient été sciés dans la forêt du Pack et transitaient par le vertigineux Chemin de la Mâture. La forêt du Benou fournissait les espars, pour les leviers qui soulevaient les fûts à canon. Pour ce travail pénible et dangereux, on faisait appel aux bûcherons basques qui travaillaient de mars à juin-juillet, nourris de farine de millocq ou blé de Turquie (ancien nom du maïs) qui, délayée dans un peu d'eau, formait une galette qu'ils faisaient cuire sous la cendre. Le soir ils buvaient une soupe d'orties blanches et de mauves. - Tressage technique de la "gargouille". -

En 1813, le Conservateur Dralet contate qu'en forêt d'Issaux, il ne reste plus que le sol nu et défriché. Mais en 1875, 60 ans plus tard, elle est redevenue une forêt magnifique dans laquelle on exploite "un grand nombre de sapins de 30 à 40 m de hauteur". Par contre, je n'ai pas souvenir d'avoir vu le moindre sapin en me rendant en 2001 de la vallée d'Aspe à la vallée d'Ossau, à pied, par le Chemin de la Mâture. Il n'y avait, me semble-t-il, que des pâturages, tout comme sur le plateau du Benou, où je me rappelle nettement y avoir contemplé, en mai 2008, des apprentis parapentistes en train de s'élancer d'une colline herbeuse. Voici donc une seconde activité humaine, la charpenterie de marine, qui a profondément transformé l'aspect de nos montagnes. Une troisième est évoquée à travers un fait divers paru dans la presse écrite : le bois d'oeuvre pour le bâtiment (charpente et menuiserie) et les machines à vapeur (pour celles approvisionnées en bois ou charbon de bois). - Des hêtres écorcés (intempéries, maladies, insectes ?). -

La République des Pyrénées, 17 avril 2010. Le week-end dernier, probablement pendant la nuit, la chaudière près du pont de l'Arpet a été volée, sans doute après découpage au chalumeau. C'est un élément de notre patrimoine qui va terminer sa vie en morceau de ferraille et de fonte. Jean Bourdaa, maire de Lées-Athas, ne cachait pas son « indignation devant la dégradation et le vol d'un morceau de notre patrimoine historique ». En effet, c'est en 1884 que cette machine à vapeur a été montée à dos de mulets depuis Athas, puis installée en forêt d'Issaux, permettant d'actionner une scie pour la scierie créée par M. Cazaux. Le syndicat d'Issaux, qui regroupe les communes de Lées-Athas, Osse-en-Aspe et Lourdios, a déposé une plainte auprès de la gendarmerie de Bedous. - Photo : Une machine à vapeur de plus d'un siècle a été dérobée au pont de l'Arpet. © gérard debouverie -

Faute de fleurs à nous montrer, Dimitri reprend ses appeaux dès qu'il perçoit le chant d'un des petits oiseaux qui volètent sur les arbres aux délicates feuilles printanières frissonnantes sous les cristaux de neige. Nous voyons ainsi se percher sur un fil électrique le pipit des arbres, petit migrateur venu d'Afrique, aux plumes grivelées (mouchetées comme une grive) dont nous avons aperçu un cousin, le pipit pioncelle, sur les flancs du Pic d'Anie en juin dernier. Bien des oiseaux souffrent de ces intempéries, et il n'est pas rare de trouver en Europe en ce moment des hirondelles mortes. - Dimitri appelle les oiseaux avec ses appeaux. -

La Montagne, Landos, 9 mai 2010. Les hirondelles victimes du froid et de la neige. Partout en Auvergne, les habitants s'étonnent, ces derniers jours, de retrouver des hirondelles mortes, parfois par dizaines. Une information qui n'a pas échappé à la Ligue de protection des oiseaux d'Auvergne (LPO), basée à Lavoute-Chilhac. Son chargé d'étude, Franck Chastagnol, explique : « L'épisode climatique, qui a duré trois jours la semaine dernière, a fait des ravages parmi l'espèce ». Fraîchement rentrée d'Afrique, l'hirondelle rustique, puisque c'est d'elle dont il s'agit, est une espèce insectivore. « Le froid et la neige l'ont empêchée de trouver de la nourriture », d'où l'hécatombe, constatée surtout en milieu rural, où l'oiseau trouve son habitat.

Le traquet motteux, ou cul blanc, qui volète près de nous, doit son nom à sa prédilection pour les situations en vue, car il se juche sur des éminences, buttes ou rochers. Il peut nicher jusqu'au cercle polaire à partir de fin mars et en avril, puis il regagne en septembre et octobre ses lieux d'hivernage jusqu'en Afrique équatoriale. Auparavant, il avait une répartition climatique plus méridionale, qui évolue vers le Nord avec le réchauffement de l'Europe. Plus étonnant, ceux d'Amérique du Nord et de Sibérie Orientale vont également hiverner en Afrique, parcourant pour cela de très grandes distances. Les traquets motteux du Canada et du Groenland se dirigent vers le sud-est jusqu'en Europe, puis bifurquent vers l'Afrique. En revanche, ceux d'Alaska franchissent le détroit de Béring et traversent ensuite toute l'Asie et l'Europe pour arriver sur leurs lieux d'hivernage. Pourtant, il ne pèse que 17 à 30 g et il emmagasine des graisses qui atteignent 30% de son poids avant la migration : cela implique qu'il consomme un gramme de graisse pour mille kilomètres de vol. C'est un véritable champion, qui ne s'alimente pas pendant ce long trajet, il vit sur ses réserves. Certains partent de Marseille et traversent d'un trait la Méditerranée et le Sahara !

Sur le site de Nord Nature Environnement, une page consacrée à la migration des oiseaux explique comment ceux-ci trouvent la force d'effectuer de si longs voyages et je complète ces informations à l'aide du site Naturaconsta. Pour préparer leur voyage, les oiseaux accumulent une grosse quantité d’énergie sous forme de graisse sous-cutanée. Avant le départ, ils passent beaucoup de temps à se nourrir afin d’accumuler les lipides nécessaires pour la première étape de la migration. Certains individus vont jusqu’à doubler leur poids ! Cette capacité d’accumulation d’énergie est une des adaptations physiologiques spécifiques de l’oiseau. La graisse s'amoncelle dans la cavité abdominale, depuis la fosse claviculaire jusqu’aux flancs de l’oiseau quand celui-ci est très gras. Elle se place juste sous la peau de l’abdomen et se voit par transparence tellement la peau est fine – autre adaptation spécifique de l’oiseau pour le vol car elle représente un gain de poids. Les lipides (graisses) produisent 6 fois plus d’énergie que les glucides (sucres, amidon, glycogène) ; si la même quantité d’énergie devait être stockée sous forme de glucides le poids des réserves empêcherait l’oiseau de s’envoler. Les capacités d’accumulation sont telles que l’oiseau peut augmenter son poids de 20 à 50 % en 8 jours. Ces réserves seront brûlées au fil de la migration. Elles doivent permettre un long voyage sans escale. - Photo ci-dessus : Sceau de Salomon et à droite : Orchis bouffon. -

Nous nous posons la question de savoir si l'Airbus A380, par exemple, est aussi performant. A vide, il pèse 267 t, au décollage, 560 t au maximum, son réservoir contient 248 t de carburant et il peut transporter au maximum 90 t de charge utile, avec 525 à 853 passagers suivant la configuration (3 classes standards ou classe économique unique). L'A380-800 a un rayon d'action de 15 200 kilomètres, ce qui lui permet de voler de New York jusqu'à Hong Kong sans escale, à la vitesse de 900 km/h (Mach 0,85). Si on le compare au minuscule traquet motteux, il est au moins 18 millions de fois plus lourd (en comparaison d'un traquet motteux de 30 g), mais il ne nécessite "que" 16 millions de fois plus de carburant. Pour faire une meilleure comparaison du bilan énergétique, je pense qu'il faudrait ajouter toute l'énergie nécessaire pour extraire les matériaux, les transporter et les transformer pour construire un Airbus. Je n'ai pas les éléments pour le faire, mais j'imagine que le rapport ne serait plus si favorable à nos techniques d'ingénierie. D'autre part, nous payons notre ingéniosité industrielle au prix fort : les pollutions et nuisances engendrées à tous les stades de la production et de l'exploitation, qui mènent inexorablement au réchauffement planétaire, à la dégradation de l'environnement, de notre cadre de vie, de notre santé... - Photo : Les bourgeons des conifères. -

Poursuivant notre promenade tranquille dans le paysage enneigé, nous écoutons encore (et essayons d'observer) le loriot, très discret, petit migrateur tardif qui vient d'Afrique tropicale et ne peut pas nicher à Lescun, qui est juste un lieu de passage pour lui. Le mâle est jaune vif tandis que la femelle est plus pâle. Nous apprenons à différencier l'accenteur mouchet au plumage rayé du moineau plus arrondi. Des corneilles traversent le ciel, pressées. En sous-bois, nous découvrons l'original sceau de Salomon, aux fleurs blanches suspendues en un chapelet de clochettes oblongues, ainsi surnommé à cause de la marque que laissent les tiges sur le rhizome, semblable à l’anneau magique qui donna des pouvoirs au roi Salomon, selon la légende. Il résiste à des températures négatives jusqu'à -20°C. Il faut prendre garde à ses fruits noirs, responsables de troubles digestifs et cardiaques parfois graves, pouvant être mortels lors de l’ingestion par des enfants. Dimitri amuse Marie avec un appeau multi-usage, qui imite aussi bien le cochon que la poule ou le chevreuil femelle ! Il nous signale la présence de la fauvette, le passage de deux pics noirs (le plus grand pic d'Europe), le chant de la grive musicienne et du pinson qui prononce un long discours terminé par une "virgule" sonore, ainsi que celui de la fauvette à tête noire, très dynamique. Plus loin, sur fond de merle noir, on distingue les mélodies de la mésange charbonnière et de la mésange noire. - Photo : Pommier en fleurs. -

A ce propos, il nous conseille la lecture d'un des livres de l'ornithologue mondialement connu Jean Dorst, "Les oiseaux ne sont pas tombés du ciel". Pour la petite histoire, alors que celui-ci venait juste d'être embauché comme assistant au laboratoire du Muséum national d'histoire naturelle, il démontra dans sa thèse que l'éclat et la couleur des plumes de colibri ne sont pas liés à un phénomène de réflexion ou d'absorption pigmentaire mais à un phénomène d'interférences optiques. Etant amené par son travail à parcourir le monde entier, il devint un témoin privilégié de la dégradation des milieux naturels, et fut appelé comme expert sur les effets de la déforestation au Népal ou les conséquences de l'assèchement des marais au Brésil, s'impliqua dans la protection des animaux et végétaux rares de la région méditerranéenne, souligna l'importance des biotopes aquatiques d'Afrique dans les migrations des oiseaux d'eau d'Europe et d'Asie, et le rôle international des parcs naturels pour la préservation d'espèces et d'habitats menacés.

Il écrivit "Avant que nature ne meure" et ultérieurement une version abrégée "La nature dénaturée" qui mettent en exergue l'exploitation dévastatrice des ressources naturelles et le firent connaître mondialement. Il croyait à une "écologie politique", c'est-à-dire à la nécessité d'une ligne d'action à long terme, réconciliant l'homme et la nature, amenant à réfléchir sur les grandes questions que sont la place de l'homme et son avenir sur notre planète, notamment par rapport à un développement incontrôlé et aux conséquences de la surpopulation. - Traces des insectes sous l'écorce disparue d'un hêtre. -

Nous observons le long du sentier des hêtres profondément blessés, à l'écorce arrachée. Les sillons creusés par les insectes sont visibles sur le bois mort. Ils ont attiré la convoitise des pics, dont il existe de nombreuses espèces différentes en Europe, le pic noir creusant les plus grands trous dans les troncs. Alors que nous observons deux craves à bec rouge au cri aigu caractéristique, je distingue un mouvement sur la crête derrière nous : c'est un chevreuil ! Chacun se rue sur ses jumelles et nous le voyons évoluer péniblement (mais tranquillement) dans la neige profonde, à la recherche de quelques brins d'herbes et rameaux aux feuilles tendres. Un gypaète barbu plane majestueusement au loin dans le ciel. C'est le géant des Pyrénées, avec 2,80 m d'envergure. Il fait l'objet d'un programme de conservation depuis une quinzaine d'années. Ses ailes coudées, sa silhouette plus fine et sa queue en pointe permettent de le distinguer du vautour fauve. A cause d'une battue illégale au sanglier, un couple répertorié n'a pas réussi à se reproduire près de chez nous. Ils ont besoin de lieux tranquilles. - Photo : Le chevreuil. Ci-contre : Papillon en train de butiner. -

En France, il y a 70 couples de percnoptères, 30 de gypaètes (80 en Aragon), et 520 de vautours fauves, surtout installés dans les Pyrénées atlantiques (300 couples sur l'Auñamendi, le Baïgoura, l'Iparla, les Aldudes). Des plumes de rouge-queue gisent sur le sol. Des milans royaux tournoient au-dessus de nos têtes. Une palombe se dirige vers les fermes en contrebas. Un geai des chênes vole curieusement de façon saccadée en virgules successives, il bat des ailes quelques dizièmes de secondes, puis il les regroupe pour continuer sur son aire, ce qui le fait descendre, et recommence, ses battements le faisant remonter légèrement, et ainsi de suite. Un épervier plane aux côtés des vautours, tandis qu'une buse transite (vole en ligne droite) et qu'un vautour fauve pompe (plane en spirale dans une masse d'air ascendante).

Nous observons encore des chocards à bec jaune (les mêmes que ceux du Zabozé) et l'appeau fait s'approcher un petit roitelet triple bandeau, petit oiseau de 5 g à la tête couronnée. C'est le plus petit oiseau d'Europe. Cette boucle matinale a finalement été un peu longue, nous avons profité de l'amélioration du temps et de l'apparition du soleil pour traîner. La faim me fait ralentir dans la dernière montée vers le village, et je m'accorde des pauses en essayant de saisir sur le vif mes amis les papillons, qui évoluent bien plus près de moi que le majestueux gypaète. Je ne sais pas si c'est à cause des frimas, mais je les trouve aussi chaudement emmitouflés dans leur fourrure que moi dans mes vêtements, c'est étonnant ! J'apprends que leurs sensilles (poils minuscules) vus au microscope électronique ressemblent à des éponges percées de nombreux pores où pénètrent les molécules odorantes qui stimulent les terminaisons nerveuses. Il est probable que certaines sensilles ne décèlent que des odeurs particulières, par exemple une phéromone alors que d’autres sont sensibles à plusieurs odeurs, celles des plantes hôtes par exemple.

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Guides naturalistes : Dimitri Marguerat et François-Olivier Chabot - Groupe : 18 personnes (Cathy, Pascal, Jean-François, Jean-Pierre, Reine, Danie, Jacques, Françoise, Fabienne, Serge, Anne-Marie, Jacqueline, Françoise, Pierre, Catherine, Marie, Isabelle, Philippe).

Lescun

Peña Oroel et San Juan de la Peña

13 au 17 mai 2010