Cathy, Jean-Louis chez Cédric et Loreto, avec Jonathan, Alexis et Marie | Un bateau dans le ciel |
Séjour du 24 octobre au 7 novembre 2012 |
Une fois franchie la terrasse encombrée, nous nous engageons sur le chemin de terre creusé de deux ornières et bosselé de grosses pierres que nous tâtons à l'aveugle de la pointe du pied. De l'enclos où sont réunis pour la nuit poules, coqs, canards, lapins et chèvres, aucun son ne s'élève. Dans la prairie voisine, les grillons s'éveillent et stridulent par intermittence, toujours au-delà d'un cercle invisible qui se déplace avec nous. Pour éviter la chute, nous nous appliquons à suivre le chemin qui oblique vers la petite route de campagne, encore invisible, mais dont nous distinguons le halo des lampadaires en enfilade. Sur notre droite, derrière les silhouettes du cerisier et des châtaigniers qui surplombent les terrasses sculptées dans la montagne, nous apercevons tout en bas sur la côte la ville de Puerto de la Cruz qui scintille de mille feux. - Photos : Lune gibbeuse croissante - Icod de los Vinos, jeunes s'entraînant aux "tablas" en prévision de la fête de San Andrés -.
Au-delà, nous devinons une bande à l'obscurité moins dense que la terre, superposition de mer et de nuages en strates espacées, plus ou moins diffuses, qui s'atténue à l'horizon en une transition insensible vers une obscurité d'une autre nature, plus fluide, ouverte vers l'univers infini piqueté d'étoiles. C'est curieux, bien que nous soyons déjà très haut, cette séparation indécise entre ciel et mer se situe à l'horizontale, à la hauteur de nos yeux. Nous y distinguons quelques rares lumières éparses dont nous essayons de comprendre la source. Incrédules, nous réalisons qu'il doit s'agir des feux de position de navires en attente, à une altitude apparente telle qu'ils semblent en lévitation dans le ciel. - Photo : Pneus, Icod de los Vinos, jeunes s'entraînant aux "tablas" de la San Andrés -.
Alors que nous amorçons la rude montée, le pied plus alerte sur la chaussée lisse mais le souffle plus court, nous entendons un grondement accompagné d'un crissement qui provient de la route du Teide sur laquelle nous allons déboucher. Un sport original excite les jeunes du Nord de l'île : ils se fabriquent des chars de fortune avec les moyens du bord et dévalent les routes quasiment sans gouvernail ni frein ! Evidemment, ils n'ont aucune lumière pour les signaler, et l'on entend parfois un long coup de klaxon d'un conducteur ulcéré qui les a évités de justesse. Un clip clop sonore de sabots ferrés dans la nuit précède la vision étonnante d'un cavalier qui se serre avec nous prudemment dans un renfoncement de la route pour éviter de se faire percuter par les bolides devancés par cet effrayant vacarme.
Certains prennent simplement des planches dont ils rendent glissante la face en contact avec la chaussée en la recouvrant de graisse, de cire ou en y enfonçant des capsules de bière. D'autres n'hésitent pas à y adjoindre des roulements à billes ou des roues, la paire antérieure étant fixée à une barre poussée de gauche ou de droite avec les pieds ou maniée par une ficelle comme les rênes d'une monture. Pour freiner, de gros rectangles sont découpés dans des pneus de voiture pour éviter de brûler la semelle des chaussures et la plante des pieds ! Jonathan, qui séjourne un mois et demi chez son frère Cédric avec son ami Alexis pour y faire du WWOOFING (World-Wide Opportunities on Organic Farms), teste le char confectionné par le jeune voisin Samuel en prévision de la fête de San Andrés. Descendu sans encombre jusqu'au lieu convenu, il lève les bras, tout joyeux, sans prendre garde que son bolide, muni de roues, continue d'avancer sur son aire au ralenti. Brusquement, la pente s'infléchit de nouveau et la vitesse s'accroît vertigineusement. Dans un hurlement, il cherche à freiner, Cédric galopant à sa rescousse, et il réussit par miracle à s'échapper en sautant, manquant de justesse de s'écraser contre un mur ! - Photos : Affiche et reportages de la fête de San Andrés sur Internet. -
A Icod de los Vinos, où nous nous rendons pour visiter la "Cueva del Viento" (grotte du vent), nous voyons des pneus qui barrent impunément la moitié de la route. C'est la jeune génération qui s'y essaye déjà quelques semaines avant l'échéance sur des planches de récupération, avec un trajet plus court et en plein jour. Je précise qu'à Tenerife, très peu de routes sont en lacets : l'immense majorité va "tout schuss" en suivant des pentes vertigineuses. Lorsqu'il y a un méplat, nous ne voyons pas où nous plongeons (et encore moins s'il y a une voiture qui arrive en face sur la route étroite). A l'inverse, lorsque nous montons, nous avons l'impression que la voiture va basculer en arrière, il n'y a pas intérêt à perdre l'élan et caler en plein milieu ! - Photos : Reportages de la fête de San Andrés sur Internet. -
En fouillant un peu sur Internet, je trouve l'origine de cette coutume plutôt casse-cou. "Autrefois, à Icod de los Vinos, de larges planches servaient de plate-forme pour transporter le bois depuis la scierie qui se trouvait dans le quartier San Antonio situé sur la partie haute de la ville, jusqu'au quartier San Marcos et au port en contrebas, où oeuvraient les charpentiers et menuisiers qui approvisionnaient principalement le secteur du bâtiment. C'était les animaux de charge qui faisaient glisser ces traîneaux rudimentaires sur lesquels étaient juchés des hommes qui dirigeaient les piles de bois avec des gaffes de hêtre."
Je déduis de cette information que les jeunes du Nord de Tenerife miment ainsi sans le savoir un des stades opératoires du déboisement systématique qui fut effectué par les colons durant des siècles. Des autochtones ont rapporté à Cédric qu'il était possible autrefois de parcourir toute la longueur de l'île en passant d'un arbre à l'autre, sans mettre pied à terre. Cette image est à nuancer, car, bien que cette île ne soit pas bien grande, elle se caractérise par des micro-climats très diversifiés suivant l'orientation et le relief, qui engendrent une végétation spécifique, fonction de l'ensoleillement, de la pluviosité, de l'altitude et de l'exposition aux vents alizés. - Photo : Paysage vers le Sud-Est et les "orgues" depuis la propriété de Cédric et Loreto. -
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