Cathy, Jean-Louis chez Cédric et Loreto, avec Jonathan, Alexis et Marie | Un bateau dans le ciel |
Séjour du 24 octobre au 7 novembre 2012 |
La "Memoria Digital de Canarias" publie une étude fort intéressante, "Evolución y aprovechamiento de los bosques termófilos (los Montes Bajos) de la Isla de Tenerife", qui permet d'imaginer la végétation avant l'arrivée de l'homme, puis son évolution avec la première colonisation par les Guanches qui ont accosté avec leur bétail et leurs coutumes d'Afrique du Nord, et enfin la dégradation considérable et systématique opérée par les colons européens et qui se poursuit à l'heure actuelle.
D'après cette source, c'est le Genévrier de Phénicie (la sabina) qui a le plus souffert de ces invasions humaines, puisqu'il se trouvait dans les zones basses de l'île. Arbrisseau de un à huit mètres, d'une longévité supérieure à 500 ans, il a des vertus médicinales reconnues. Il était accompagné d'un cortège floristique de caractère méditerranéen, comme l'olivier (acebuches) et le pistachier de l'Atlas (almácigos) et occupait une situation intermédiaire entre la végétation côtière semi-aride (composée de "cardón" -Euphorbia canariensis- semblable à un cactus en candélabre et de "tabaibas" -Euphorbia balsamifera, Euphorbia atropurpurea, Euphorbia regis-jubae-) et l'étage plus humide de la laurisylve (forêt de lauriers), à laquelle succède la pinède à plus haute altitude, constituée de cistes et de pins canariens. - Photo : Vue sur le jardin potager et le village d'Aguamansa -.
Certaines espèces ont une plus large aire de répartition altitudinale, comme la "mocanera" (Visnea mocanera), un arbuste d'une espèce paléo-arctique endémique qui mesure jusqu'à 8 m de haut, le "peralillo" (Maytenus canariensis), buisson également endémique, la "hierbamora" ou "hediondo"" (Bosea yervamora), arbuste de 3 m aux vertus médicinales, le jasmin, le "granadillo" (Hypericum canariense) aux fleurs jaunes, endémique, devenu une plante ornementale introduite en Australie, Nouvelle Zélande, Etats-Unis et Hawaï, pays où elle devient invasive, et enfin la "norsa" (tamier commun - Dioscorea communis -), plante grimpante de la famille des ignames qui pousse aussi au Pays basque. Aux étages inférieurs et sur les versants exposés au Sud, c'est la végétation aride qui prend désormais la place du Genévrier de Phénicie, avec le "tasaigo" (Rubia fruticosa), la "tabaiba amarga" (Euphorbia obtusifolia ssp. regis-jubae) et l'"acebuche" (olivier - Olea europaea ssp. cerasiformis). Aux altitudes supérieures exposées au N-NE et affectées par l'humidité des vents alisés, on trouve le "fayal-brezal" dominé par la "faya" (Myrica faya) (qui fait partie des 100 espèces exotiques les plus invasives, hors de son lieu d'origine de la Macaronésie) et le "brezo arbóreo" (bruyère arborescente -Erica arborea). - Photo : Une plante arbustive sauvage de la propriété dont les baies sont très appréciées des oiseaux -.
Le fayal-brezal ou Monteverde (montagne verte) s'étendait naturellement en une étroite bande entre la laurisylve et sa transition vers la pinède, entre 1100 et 1500 m, généralement sur les versants nord ou ombragés de ces îles montagneuses. En raison de la dégradation et déforestation opérée par l'homme, il s'est accru aux dépens de la laurisylve (forêt de lauriers remontant au tertiaire qui a disparu il y a des millions d’années du bassin méditerranéen) qui s'éteint par endroits, à force de tailles successives et abusives. La faya est plus exigeante en humidité que la bruyère arborescente, ce qui explique sa disparition progressive en altitude, seule la bruyère arborescente demeurant en bosquets mixtes avec le pin. - Photo : Le prunier recommence à fleurir en novembre après la pluie -.
Ces éléments permettent d'avoir un oeil critique sur Tenerife, car le nord de l'île a un aspect, malgré tout, très vert et arboré, et il n'est pas aisé pour quelqu'un de non averti de distinguer un environnement dégradé d'un paysage à la végétation originelle, qui en réalité ne subsiste que dans les lieux les moins accessibles. Parallèlement, des buissons de thym et cistes (Cisto- Micromerietea hyssopifoliae), "tomillares- juagarzales", se substituent en milieux découverts, lorsque disparaît le facteur limitant leur prolifération que constituent la présence et l'ombre du genévrier de Phénicie. - Photo : Pin canarien sur fond de nuage -.
Les chercheurs supposent que les colonnes de fumées aperçues par les premiers Européens provenaient déjà d'incendies provoqués par les aborigènes pour accroître les pâturages pour le bétail et les terrains pour leur agriculture débutante. Ils coupaient en outre le bois des arbres et arbustes pour fabriquer des armes, bâtons de commandement, lances de berger, civières pour le transport des morts, bols et autres accessoires. Bien entendu, la modification du paysage fut infime par rapport à celle qui sera opérée ensuite par les colons européens. Les premiers d'entre eux témoignent justement de la présence alors très importante de palmeraies déjà mentionnées par le Romain Pline qui précisait que ces palmiers donnaient des dattes. A Tenerife, les plus grandes étaient à La Matanza, La Victoria, Santa Úrsula, Buenavista et la "Valle del Palmar" où elles ont aujourd'hui pratiquement disparu.
Les Guanches en utilisaient les fibres végétales pour se chausser, se vêtir et tresser des cordes, ils mangeaient les fruits et les jeunes pousses. Ils en extrayaient le "guarapo" et le miel de palme, ce qui ne se fait plus qu'à La Gomera, mais se pratiquait aussi à Tenerife jusqu'au siècle passé. Le Père Viera rapporte que le jus de palme était transformé en liqueur dont les anciens habitants des îles obtenaient du vin, du vinaigre, du miel et du sucre. Un seul palmier fournissait une pleine barrique de miel. Un de ces arbres de grande longévité, surnommé "palmier de la conquête", grandissait dans un jardin de La Orotava où se rendaient la majorité des voyageurs en visite sur Tenerife. Il fut déraciné par un ouragan le 3 janvier 1918.
Autre arbre emblématique, le drago (draconnier) était l'arbre sacré par excellence pour les Guanches. Son bois, moelleux et léger, assurait la protection des guerriers qui se disaient que les couteaux et lances qui s'y enfonçaient ne pouvaient en être retirés que difficilement. Outre ces boucliers, ils en faisaient également des bâtons de commandement (añepas), des tambours, etc. Don Leoncio Rodríguez rapporte que la sève (sang du drago), de couleur tirant vers le rouge, jouait aussi un rôle important dans la médecine aborigène. La résine qui en résultait était utilisée pour préserver la peau des animaux. Ce produit, déjà connu des Romains, est mentionné dans les chroniques de Juan de Bethencourt (1360-1425), avant la conquête des îles de La Palma et de Tenerife : "il y avait dans les bois des dragos qui produisaient du sang de dragon". - Photo : Texture intérieure d'un drago cassé sur la promenade côtière -.
Le seul qui remonte sans doute à l'époque des Guanches est à La Orotava. De nombreux naturalistes et voyageurs des siècles passés le mentionnent, comme le fit le Français André-Pierre Ledru dans son livre "Voyage aux Isles de Tenerife, La Trinité, Saint-Thomas, Sainte Croix et Porto-Ricco" publié en 1810, ou don José de Bethencourt. Francis Bory de Saint Vincent, naturaliste et explorateur français, publie en 1803 à Paris le livre "Essais sur les Isles Fortunées et l'antique Atlantide, ou Précis de I'Histoire générale de l'archipel des Canaries", où l'on peut lire à la rubrique Botanique du chapitre sur l'histoire naturelle des Canaries que "le tronc de ce vénérable drago de La Orotava faisait dix pieds de haut et trente six de circonférence ; il se divisait au-dessus en douze branches qui se séparaient régulièrement à l'oblique, comme les baleines d'une ombrelle". - Photos : Jonathan et Marie devant le drago historique d'Icod de los Vinos - Un jeune pin canarien de la propriété mort-né à cause de la sécheresse estivale -.
L'orobal (Withania aristata) était utilisé pour produire du feu. Les Guanches utilisaient deux bois durs, l'un fixe, solide, et l'autre lisse, aiguisé et apte pour le mouvement de va et vient ou giratoire, pour produire la flamme. Il en demeure l'expression : "Orobal, que da fuego natural (Orobal, qui donne du feu naturel)". Parmi les arbres qui formaient la végétation de transition, il ne faut pas oublier l'olivier, dont la grande qualité de son bois dur et léger lui valait la préférence pour la fabrication des bâtons de commandement (añepas) et des armes de jet (banots). La tradition s'en est conservée jusqu'à nous par le biais du jeu du bâton et dans la sentence "Al acebuche no hay palo que lo luche (Face à l'olivier, il n'y a aucun bâton qui vaille)". Il est possible aussi que ses fruits, les olives sauvages (acebuchinas), aient été consommés, mais ce n'est pas prouvé de façon irréfutable. - Illustrations : Fédération de saut du berger canarien. -
"Juego del palo" et "salto del pastor" (jeu du bâton et saut du berger) : Le jeu du bâton canarien est un affrontement amical entre deux adversaires armés de bâtons qui s´affrontent comme à l'escrime, mais en évitant à chaque instant de se faire mal. L´attaquant - appelé "mandado"- tente de montrer à son adversaire les parties de son corps qui sont à découvert sans qu´il y ait réellement contact - ou un contact "marqué" -, pendant que l´autre joueur construit sa défense - appelée "atajiado" -. Le saut du berger était déjà pratiqué, avec une grandre habileté, par les aborigènes canariens pour se déplacer d’un endroit à l’autre à travers les précipices et les zones abruptes des îles. Ils s'aidaient d’un long bâton de bois à pointe de métal appelée «regatón». C'était l’outil de travail des bergers. Aujourd’hui, cette pratique est uniquement ludique. Le 24 août 2012, un jeune de 20 ans a été blessé pendant qu'il s'entraînait à San Juan de la Rambla : son bâton s'est brisé et il s'est enfoncé la pointe dans la poitrine. Emmené en hélicoptère à l'hôpital, on a diagnostiqué un poumon percé, mais sa vie ne semblait pas en danger. Selon la présidente de la fédération, 99% des accidents provoquent des blessures dans la moitié basse du corps et depuis 2001, il n'y a eu à déplorer que deux accidents par rupture de lance. Par ailleurs, la présidente trouve anormal que la rupture se soit opérée en haut et non en bas de la lance, où converge le poids du corps.
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