La question de l’éclairage des bicyclettes reste toujours
assez mal résolue, tant par les cyclistes que par l’Administration. Or, pendant
la guerre, l’occultation des lumières a encore augmenté les difficultés qu’on
trouve à distinguer les cyclistes roulant dans l’obscurité.
Mais peut-être ne résout-on pas bien ce problème, parce
qu’on le pose mal, particulièrement en établissant une analogie entre le cas de
la bicyclette et celui de l’automobile. Il faut d’abord les distinguer ;
car le mode d’éclairage doit répondre aux besoins assez différents qu’ont
bicyclette et auto pendant la nuit.
L’auto, rapide, massive, doit éclairer son chemin ;
il faut que le conducteur voie devant lui, à une bonne centaine de mètres, pour
se diriger dans le sens de la chaussée et pour éviter les obstacles. Son
éclairage puissant le signale aussi aux autres usagers de la route ; mais
on peut dire que c’est secondairement, par bénéfice du principe : Qui peut
le plus, peut le moins.
Le cycliste a surtout besoin d’être vu. Par sa masse
médiocre et sa vitesse réduite, il ne constitue pas un grand danger pour les
autres usagers de la route ; quand ceux-ci l’aperçoivent, ils ont le temps
de se garer, et tout se passe fort bien, si le cycliste observe le principe
fondamental du Code de la route : tenir sa droite.
Cette vitesse réduite permet au cycliste lui-même de suivre
facilement son chemin, même dans la nuit noire ; un éclairage puissant,
analogue à celui des autos et des motos, lui apporterait par son prix, son
poids et la nécessité d’être soi-même le moteur de la dynamo, beaucoup plus
d’inconvénients que d’avantages. Les éclairages électriques qu’il peut se
permettre ne peuvent avoir une grande portée, et servent surtout à le signaler.
C’est bien, d’ailleurs, comme appareils de signalisation
pendant la nuit, que les lanternes ont été jadis imposées à tous les
véhicules. Et c’est leur vitesse qui a nécessité que les automobiles éclairent,
par surcroît, le chemin qu’elles ont à suivre. Tout en laissant aux cyclistes
la faculté d’utiliser un éclairage de luxe, on doit ne les astreindre
légalement qu’à un éclairage de signalisation.
Mais, ainsi limité, le problème présente encore des
difficultés. On se plaint d’abord que beaucoup de cyclistes ne s’éclairent
d’aucune façon, et que d’autres croient se mettre en règle avec des réflecteurs
de verre taillé, ou des feux rouges minuscules ; de telle sorte que
l’automobiliste ne peut les apercevoir, et s’émeut à chaque instant de leur
arriver dessus inopinément. Il arrive aussi que le cycliste, bien et dûment
éclairé à l’avant et à l’arrière, devient invisible quand il vire pour
traverser la route ; de même, quand il s’arrête ou ralentit sensiblement,
sa magnéto cesse de fournir la lumière. Et, pour toutes ces raisons, les autos
écraseraient un nombre assez considérable d’imprudents cyclistes. Mais il y a
quelque exagération sur ce dernier point.
Comme l’invisibilité du cycliste tient beaucoup aux
vêtements sombres qu’ouvriers et paysans portent généralement on a conseillé le
port du maillot, du brassard ou du foulard de couleur blanche ; et
l’efficacité du procédé a été sanctionnée par la récente obligation de peindre
en blanc le garde-boue arrière, même des bicyclettes qu’on ne sort jamais la
nuit.
Cette disposition n’apporte pas une bien plus grande sécurité ;
on ne peut l’assimiler à celle qui résulte d’un veston ou d’un maillot tout
blanc, seule solution qui, par l’étendue de la surface claire, donne quelques
résultats dans cet ordre d’idées. Il n’y a qu’à essayer de distinguer un
garde-boue blanchi à 20 mètres dans la nuit noire, pour se rendre compte
que cette nouvelle réglementation n’est guère heureuse. Le moindre lumignon et
même le cataphote rouge en verre taillé se voient beaucoup mieux.
Faudrait-il donc imposer la dynamo actionnée par le pédalage,
avec feu blanc avant, feu rouge arrière et pile de réserve pour éclairer à
l’arrêt ? C’est un système de luxe, adopté par les pratiquants fervents du
cyclisme, par ceux qui circulent souvent de nuit, par goût ou par profession.
Mais c’est un peu excessif de prix et de complication, pour ceux qui ne se
promènent que de jour ou qui ne disposent que d’une vieille bicyclette qui,
souvent, vaut à peine le prix de ce système d’éclairage.
Il est facile de remarquer que les cyclistes non éclairés
sont des « utilitaires économiquement faibles », ou bien des
promeneurs qui n’ont pu rentrer chez eux avant la tombée de la nuit.
La crainte de la contravention leur a suggéré depuis
longtemps le meilleur éclairage de signalisation : c’est le lampion qui
remplit en somme fort bien le rôle qu’on lui fait tenir. De couleur rouge, tenu
ou placé à la poignée gauche du guidon, ce lampion signale, en effet, le
cycliste de très loin et nettement ; il le signale même d’une façon
particulière, spécifique, car, aperçu sur la route, il est, 99 fois
sur 100, fixé à une bicyclette ; piétons comme automobilistes ne
peuvent s’y tromper. Enfin, au moment de la manœuvre dangereuse, le virage à
gauche, le lampion continue à signaler.
Certes, la lanterne vénitienne de papier, celle des « Quatorze
juillet », ne peut être préconisée que comme pis-aller, en cas de surprise
par la nuit ou de panne de l’éclairage électrique. Car ce lampion prend feu
facilement et s’éteint sous grand vent.
Mais il y a des lampions en toile ignifugée et à monture
métallique. Si on les garnit généralement d’une bougie, rien ne s’oppose à ce
qu’on y mette une petite torche électrique de diamètre convenable, ni même
qu’on les éclaire à l’aide d’une ampoule servie de courant par la petite dynamo
sur roue avant.
Je ne conseille donc pas la lanterne vénitienne comme
supérieure aux éclairages électriques. Ce que je recommande, c’est la
signalisation à l’aide d’un lampion rouge, fixé au guidon à gauche, lampion
qui, en cas d’urgence, peut être éclairé par une bougie, mais qui le sera de
préférence par une source électrique. Mon opinion se fonde sur la grande
visibilité de ce manchon rouge dans toutes les positions, et sur le fait qu’il
est déjà « caractéristique » d’une bicyclette.
Comme on trouve des lampions à très bas prix et que rien ne
s’oppose à ce qu’on en fabrique de luxueux, aucun cycliste n’aurait d’excuse à
n’être pas éclairé la nuit. Et cette solution serait certainement mieux
accueillie et plus efficace que celle des garde-boue et des disques blancs.
Dr RUFFIER.
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