« Cette période de médiocre activité cynégétique m’a
incité, nous écrit un lecteur du Chasseur Français, à faire chez moi une
revue d’armes, et, lorsque je dis chez moi, j’entends aussi bien mon domicile
urbain que ma maison des champs. Pour peu que l’on appartienne à une famille de
chasseurs, on se trouve à la tête d’une collection de musée, et l’on reste
confondu en présence d’autant de bouches à feu portatives : quelques-unes
font figure de souvenirs, d’autres ont leur place tout indiquée dans une panoplie
décorative, mais une catégorie largement représentée est celle des armes de la
fin du siècle dernier, mises de côté à leur heure et conservées on ne sait trop
pourquoi. Y a-t-il lieu de les verser à la ferraille ? Certaines
valent-elles un remplacement du canon ? Quel est le meilleur parti à en
tirer ? Vous obligeriez certainement un certain nombre de vos lecteurs, en
leur indiquant dans une causerie ce que l’on peut faire de mieux d’un tel
arsenal ... »
Collectionneur nous-même, nous serions disposé à examiner
cette question d’un point de vue plutôt conservateur : toutefois, il faut
savoir se débarrasser des choses inutiles. Examinons donc les véritables motifs
de réforme des armes de chasse, comme nous le demande notre correspondant. Nous
négligerons, puisqu’il nous y invite, les pièces de collection et les
souvenirs, toutes choses éminemment personnelles.
Réduisons donc l’examen à ce que l’armurerie a produit
depuis la dernière moitié du XIXe siècle : ce sont, comme le
fait remarquer notre correspondant, les échantillons de beaucoup les plus
abondants.
L’arme sans bascule, dite à piston, n’a aucune valeur
pratique ; seule, une exécution extra-soignée peut la sauver de la
ferraille. Il existe, dans cette catégorie d’armes, d’admirables crosses à la
Française, chefs-d’œuvre de sculpteurs sur bois, qui, indépendamment de toutes
qualités balistiques, en font de véritables objets d’art, non seulement à
conserver, mais encore à acquérir lorsque l’on a la chance de les rencontrer.
Les fusils à bascule, utilisant la cartouche à broche, n’ont
pour ainsi dire plus aucun intérêt, étant donné que les douilles de ce système
seront introuvables d’ici quelques années. À moins d’une exécution
particulièrement soignée les rendant intéressants pour certains détails, ces fusils
ne valent guère que la mise au rebut.
Les armes à percussion centrale, à chiens extérieurs,
méritent un examen plus attentif. Bien que démodés, nous pouvons leur trouver
encore quelque utilisation. En général, ils pêcheront toujours par les
canons ; plus ou moins gravés à l’intérieur, il s’agit de voir ce que nous
pouvons décider.
Lorsque le dommage n’est pas très important, on peut tenter
un léger réalésage. Mais on se souviendra que cette opération, si elle facilite
l’entretien ultérieur, diminue l’épaisseur du métal et peut offrir des risques
sérieux quant à la résistance de l’arme. Il convient donc d’apprécier dans
quelles mesures elle est raisonnable et si quelques atteintes trop graves ne la
rendent pas illusoire. Seul, le praticien décidera en connaissance de cause. Ne
pas prendre en considération l’amélioration du groupement, ceci étant
secondaire dans les armes de cette catégorie qui peuvent tout au plus prétendre
à quelque service occasionnel.
Le remplacement d’un canon n’a aucun intérêt sur une arme à
chiens extérieurs : on engagerait une dépense relativement importante pour
ne posséder, en fin de compte, qu’une arme démodée.
Si l’état des canons nous inspire des inquiétudes
définitives, nous pourrons envisager l’utilisation de l’arme comme fusil
porte-tubes.
On trouve en effet dans le commerce des tubes réducteurs
permettant la transformation des calibres les plus usuels en petits calibres.
Beaucoup de chasseurs hésitent devant cette adaptation en raison de
l’encrassement de l’arme et des nettoyages consécutifs : si l’on dispose
d’un fusil dont le canon est définitivement sacrifié, on peut le transformer à
peu de frais en fusil double de petit calibre, et même en arme rayée à
l’occasion : c’est une manière avantageuse de donner ses invalides à notre
vieux serviteur. Examinons enfin le cas des fusils à chiens intérieurs dits
hammerless. Parfois une arme fine méritera-t-elle le remplacement du
canon ; si cette opération est jugée inopportune, nous pourrons encore
songer au porte-tubes. Ici il s’agit de ne mettre à la ferraille que les cas
désespérés.
Enfin, lorsque la détérioration des canons ne porte que sur
les derniers centimètres du côté de la bouche, en peut procéder à un
raccourcissement de l’arme parfois assez important. Certains chasseurs tirent
un excellent parti pour le tir rapproché, sous bois, de canons rognés à 60 ou
65 centimètres. On obtient ainsi un groupement large et même parfois très
large, en même temps qu’une mise en joue singulièrement facile due à la fois à
l’allégement, à la prépondérance de crosse et au raccourcissement du canon. Un
de nos lecteurs nous signale avoir été très satisfait, pour cette utilisation
spéciale, d’une arme rognée à 58 centimètres. Dans un cas semblable, il est
prudent de rogner progressivement avec essai du groupement obtenu.
Quant aux canons profondément gravés à la sortie des
chambres et dans la partie correspondant à peu près à la longueur du devant de
bois, ils devront être dirigés vers la ferraille, leur usage étant
particulièrement dangereux.
Que faire maintenant des armes rayées ? S’il s’agit
d’armes de provenance étrangère dont les munitions n’existent plus dans le
commerce (cas d’un certain nombre de calibres américains), leur valeur est à
peu près nulle, quel que soit leur état. S’il s’agit d’armes de calibres
usuels, mais dont les rayures sont en mauvais état et la précision déficiente,
il en sera encore de même : ici la réforme sera presque toujours la règle.
Notons enfin que, lorsqu’un chasseur désire se défaire d’une
arme en bon état, mais dont le modèle a cessé de lui plaire, il trouvera chez
le vendeur de l’arme neuve qu’il désire acquérir les meilleures conditions de
reprise possibles et que, pour ceux qui n’ont pas l’âme du collectionneur,
c’est encore la solution de choix.
M. MARCHAND,
Ingénieur E. C. P.
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