La décision ministérielle maintenant à la terre les
agriculteurs des classes 1912, 1913, 1914, 1915 témoigne de l’intérêt que le
Gouvernement attache à la production agricole.
Contrairement à ce qu’on pourrait croire, cette mesure
n’accroît pas le nombre des travailleurs, car très peu d’agriculteurs,
appartenant à ces classes, avaient été appelés sous les drapeaux ; ils
étaient pourvus d’un fascicule qui les maintenait jusqu’à nouvel avis dans
leurs foyers.
Néanmoins, cette décision, qui a reçu son plein effet le 1er mars,
est importante et constitue une nouveauté en ce sens qu’il s’agit d’une
véritable mobilisation agricole, d’une affectation spéciale à la terre. Il y a
maintenant des affectés spéciaux en agriculture, comme il y en a dans
l’industrie.
Étant placés, dans chaque département, sous le contrôle d’un
officier contrôleur de la main-d’œuvre agricole, lui-même en contact permanent
avec le Comité départemental de la Production agricole, ces mobilisés doivent
consacrer tout leur temps à la culture, et on a la certitude qu’ils ne seront
soustraits à leurs occupations, ni pour aller à l’usine, ni pour entrer dans
les formations de défense passive, ni pour venir dans un dépôt exécuter des
besognes militaires d’un intérêt souvent assez relatif.
On ne saurait trop insister sur la nécessité primordiale de
maintenir la production à un niveau satisfaisant ; c’est un des éléments
de la Défense nationale, dont nous devons nous préoccuper, dès maintenant, à
quelque classe de la société que nous appartenions.
L’abondance des produits de toute sorte dont nous disposons
ne doit pas nous faire oublier qu’ils proviennent pour une partie importante de
l’étranger et qu’il faut les acheter. Intensifions donc toutes nos productions
nationales, nous y gagnerons certainement.
Nous avons appris avec regret que des fermières, s’étant
trouvées seules dans leur exploitation, avaient vendu leur cheptel et abandonné
la ferme pour venir en ville. On comprend bien que le départ du chef de famille
entraîne de graves conséquences et qu’elle peut obliger ceux qui restent à
réduire le nombre des animaux à entretenir et la surface à cultiver. Mais cela
ne justifie pas un abandon total de la ferme. L’entr’aide entre voisins
s’organise ; et puis il n’est pas interdit de supposer que d’autres classes
seront renvoyées à la terre lorsque nous aurons reçu de nos colonies l’aide que
nous en attendons.
Si la ferme produit moins momentanément, ceux qui l’exploitent
en tirent cependant ce qui est nécessaire à leur subsistance et vendent le
surplus, tandis qu’en venant en ville, ils constituent une charge nouvelle et
des bouches à nourrir.
Il n’est peut-être pas inutile de faire aussi remarquer que
le régime des détachements temporaires, qui s’applique aux militaires des
classes 1916 à 1919 inclus, ne bénéficie qu’aux propriétaires exploitants,
fermiers, ou métayers. S’ils abandonnent leur domaine, ils perdent en même
temps leur titre de producteurs et ne peuvent plus solliciter le détachement
temporaire, grâce auquel ils sont renvoyés chez eux pour une période d’une
durée de dix à soixante jours, renouvelable. N’ayant plus de domaines à
cultiver, ils rentrent dans la catégorie des ouvriers agricoles et
travailleront en équipes, chez les autres.
Les cultivateurs et cultivatrices qui se cramponneront à la
terre seront récompensés de leur ténacité par la vente des produits obtenus à
des prix rémunérateurs. La baisse constatée au début de la mobilisation, et
provoquée par un afflux sur les marchés locaux de marchandises que le manque de
wagons ne permettait pas de transporter, est enrayée.
Il n’y a aucune crainte de surproduction. Nous n’aurons
jamais trop de blé, trop d’avoine pour nourrir les chevaux qui tirent nos
voitures régimentaires et nos pièces de 75, trop de betteraves dont on tire le
sucre indispensable à l’alimentation et l’alcool avec lequel on fabrique la
poudre. Nous en dirons autant des pommes de terre et des haricots qui
constituent les légumes essentiels à l’alimentation du soldat. Quant à la
viande, on connaît les mesures de restriction qui ont été prises et qui, à
notre avis, sont d’ailleurs insuffisantes, pour sauvegarder l’avenir de notre
troupeau bovin.
La viande de porc sera de plus en plus consommée et les prix
sont en hausse marquée. Les poulets et tous les animaux de basse-cour seront très
recherchés également. Rien ne fait prévoir une baisse, et c’est pourquoi nous
sommes absolument convaincus que tous ceux qui s’orienteront vers la production
des produits alimentaires d’origine nationale n’auront pas à le regretter.
Les services du Ravitaillement général suivent, pour la
fixation des prix des denrées achetées constamment par l’Intendance, une
politique de soutien, et ils ont adopté pour certaines d’entre elles le système
de la prime mensuelle qui, appliqué au blé, donne depuis trois ans de bons
résultats.
On verra par les renseignements qui suivent que les prix
sont avantageux.
Les avoines jaunes ou blanches sont fixées à 93 francs
le quintal métrique et les avoines grises à 100 francs pour l’ensemble du
territoire, rendues en vrac, aux centres de réception.
Jusqu’au 31 juillet 1940, ces prix seront majorés d’une
prime mensuelle de conservation de un franc, la première de ces primes étant
acquise depuis le 1er février 1940.
Les pommes de terre à chair blanche (genre Institut de
Beauvais) dont les prix étaient au début de 35 à 42 francs le quintal,
sont maintenant payées de 40 à 47 francs.
Les pommes de terre à chair jaune (genre Esterlingen, Bintge)
vont de 50 à 55 francs.
Jusqu’au 31 mai 1940, ces prix seront majorés d’une
prime mensuelle de conservation de 2 francs par quintal, la première de
ces primes étant acquise le 1er février 1940.
Pour les haricots, les prix évoluent entre 400 francs
le quintal en vrac pour les cocos blancs des Landes et les flageolets blancs
d’Étampes, jusqu’à 500 francs pour les chevriers.
Jusqu’au 31 août prochain, la prime mensuelle de
conservation est de 3 francs par quintal, à compter du 1er février.
En ce qui concerne les fourrages, une modification
intéressante a été apportée aux tarifs primitivement appliqués ; c’est la
création d’une indemnité de transport qui est de 50 centimes par quintal
lorsque la distance de l’exploitation au centre de réception est supérieure à 5 kilomètres
et de 1 franc pour les distances supérieures à 7 kilomètres.
Cette indemnité sera bien vue de la part des montagnards qui
sont souvent obligés de conduire à de longues distances, par des chemins
accidentés et avec des moyens de transport réduits, des quantités importantes
de pailles et de foins.
Ces primes s’ajoutent au prix de la paille de blé qui peut
être payée de 23 à 31 francs le quintal, suivant la qualité de la paille
d’avoine et de seigle payée de 20 à 28 francs, du foin de prairies
naturelles fixé à 48 francs, et du foin de prairies artificielles qui est
de 55 francs.
En outre, une prime mensuelle de conservation de 60 centimes
par quintal existe pour les foins jusqu’au 30 juin et de 50 centimes
par quintal pour les pailles jusqu’au 31 août, la première de ces primes
étant acquise depuis le 1er février.
Nous avons tenu à donner ces indications pour bien montrer
l’importance que le Ministère de l’Agriculture, dont dépend le ravitaillement,
attache à la juste rémunération que le producteur doit pouvoir retirer de ses
efforts. Il ne faut pas s’attendre à une hausse perpétuelle qui irait
finalement à rencontre de l’intérêt général en provoquant des majorations
excessives qui se répercuteraient sur le prix de la vie déjà lui-même influencé
par les prix des marchandises importées de l’étranger.
Mais on veillera à ce que les produits agricoles soient
toujours à un prix rémunérateur et normal.
Ceci étant acquis, produisons au maximum.
P. GUIGNOT,
Ingénieur agronome.
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